Les patients immunosupprimés ont un haut risque de présenter des complications gastrointestinales associées à une mortalité élevée si elles ne sont pas diagnostiquées et traitées dans les meilleurs délais. Des examens de dépistage et des interventions prophylactiques systématiques sont rarement recommandés. Les patients en attente d'un organe et dans la mesure de leur opérabilité basée sur les risques anesthésiologiques, devraient être investigués et idéalement opérés dès les premiers symptômes ou complications. Pour les patients greffés, un haut degré de suspicion pour toute symptomatologie digestive même minime, l'utilisation large de l'imagerie et le recours rapide à une exploration chirurgicale en cas de besoin sont les garants d'un résultat optimal, d'une préservation de la fonction de l'organe greffé et de la survie du patient.
En Suisse en 2003, 473 patients ont bénéficié d'une greffe d'organe pour 1209 patients en liste d'attente (Rapport annuel de Swisstransplant).1 La morbidité et la mortalité d'une intervention chirurgicale viscérale en urgence est liée principalement à l'immunosuppression, qui va modifier le tableau clinique et interférer avec le processus de cicatrisation. Le but de cette revue est de revoir différents problèmes liés aux greffes et de tenter de répondre à la problématique des interventions prophylactiques avant ou après une greffe d'organe. Il faut d'emblée relever que la revue de la littérature montre principalement des analyses rétrospectives de larges collectifs de patients transplantés ou des cumuls de case reports, dont le niveau d'évidence est souvent insuffisant. La conduite d'une anesthésie chez un patient greffé, sujet débordant le propos de cette présentation, a été revue récemment par Toivonen.2
La cicatrisation d'une lésion tissulaire passe globalement par trois étapes :3 le stade inflammatoire, le stade de prolifération et le stade de maturation. Ce dernier sera celui du remodelage, c'est-à-dire du dépôt de collagène, principalement par les fibroblastes. La contraction des plaies sera effectuée par les fibroblastes et les myofibroblastes. Les processus de cicatrisation diffèrent selon les tissus. Dans le tube digestif la sous-muqueuse est la couche la plus résistante. Dans son processus de réparation, la composition en collagène est différente de celle de la peau et sa production assurée non seulement par des fibroblastes mais aussi et surtout par les cellules musculaires lisses. La séreuse en tant que revêtement richement vascularisé joue aussi un rôle important. Ces différences essentielles font que la résistance aux forces de stress est plus rapidement acquise dans la cicatrisation du tube digestif que dans celle de la peau ou de la paroi. Des observations tant cliniques qu'expérimentales ont ainsi montré que les corticoïdes à haute dose n'ont pas d'effet significatif sur la cicatrisation du tube digestif contrairement à celle de la peau.3 La réépithélialisation de la muqueuse digestive n'est pas influencée par les immunosuppresseurs, car le processus est assuré par une restitution épithéliale directe. Lors d'une chirurgie élective chez le patient greffé, les règles habituelles de sécurité conditionnant la confection d'une anastomose digestive doivent évidemment être respectées : oxygénation et vascularisation optimales, absence de tension et de milieu septique.4 En cas d'infection locorégionale ou systémique, la prolifération cellulaire, nécessaire aux conditions idéales de la cicatrisation aux étapes de l'inflammation et de la prolifération est diminuée, de même que les réactions générales et locorégionales. Le taux de complications liées à la paroi abdominale a été évalué entre 4,8 et 16,7%,5 les nouveaux médicaments immunosuppresseurs n'ayant pas modifié significativement ce taux. Le poids (BMI > 30), les réopérations et l'âge (> 50 ans) sont par contre des facteurs de risque significatifs.5
Chez le patient greffé, les problèmes d'évaluation objective du risque septique sont difficiles à appréhender. Les règles qui prévalent sont :
Les traitements immunosuppresseurs sont associés à des complications dans le tractus gastro-intestinal (tableau 1) soit comme agents étiologiques soit comme facteurs aggravants.6 La diminution des défenses immunitaires favorise les infections, qu'elles soient virales, fongiques, bactériennes, parasitaires ou à Helicobacter pylori. Les infections à CMV (oesophagite, gastrite, duodénite, colite, pancréatite, cholécystite) représentent un vaste problème en partie lié à l'intensité de l'immunosuppresseur et au status de la sérologie CMV receveur (R) - donneur (D). Des programmes de traitement prophylactiques7,8 varient selon les centres de transplantation (au CHUV à Lausanne : valganciclovir si D+ ou R+ et valaciclovir si D-R-). La gastrite et la colite à CMV peuvent se compliquer de perforations associées à une mortalité élevée (tableau 2). Des diarrhées ont été significativement associées au tacrolimus et au mycophenolate mofetil (MMF) avec un effet dose-dépendant.6
L'augmentation discrète mais significative des pathologies des voies biliaires est d'origine multifactorielle, la cyclosporine étant par exemple associée à une réduction du flux biliaire. La cholécystectomie par laparoscopie s'est rapidement imposée comme technique de choix.9 Une pancréatite aiguë peut être secondaire à l'immunosuppression (corticoïdes et azathioprine : quatre fois plus fréquent qu'avec cyclosporine), à une lithiase biliaire ou à une infection à CMV, avec une mortalité variable mais pouvant atteindre 100%. Les perforations intestinales (tableau 2) peuvent être dues aux corticoïdes à haute dose, à une maladie diverticulaire ou à une infection à CMV, de mauvais pronostic. Un traitement non opératoire des ulcères gastroduodénaux est possible selon la méthode de Taylor (traitement médicamenteux et drainage gastrique par une sonde) avec succès dans plus de 50% des cas dans une étude prospective de patients non immunospprimés.10 En fonction de la pathologie sous-jacente, les options chirurgicales sont la suture simple (laparotomie ou laparoscopie) et plus rarement la vagotomie-pyloroplastie et la gastrectomie partielle.
Le posttransplantation lymphoproliferative disorder (PTLD) peut atteindre 3 à 10% des patients transplantés, en particulier ceux qui sont infectés de novo par le virus Epstein Bar. Environ 50% des atteintes apparaissent au niveau abdominal, atteignant le foie, la vésicule biliaire, la rate, le pancréas, la surrénale, par ordre de fréquence. L'atteinte des reins natifs ou transplantés se présente en général sous la forme d'une masse rénale ou para rénale. L'atteinte de l'intestin grêle, plus fréquente que celle du côlon, se présente sous la forme d'une hémorragie digestive ou d'une perforation. Le diagnostic sera réalisé par le bilan radiologique,11 une endoscopie et des biopsies. Le traitement inclut la diminution de l'immunosuppression, l'administration d'anticorps monoclonaux anti-CD 20 (rituximab), une résection chirurgicale le cas échéant et une chimiothérapie.
La pathologie gastro-intestinale la plus redoutée chez le patient transplanté rénal est la perforation colique. En effet l'immunosuppression par son efficacité anti-inflammatoire masque les symptômes et les signes cliniques du sepsis abdominal. Remine a montré, par exemple, que le délai moyen entre les symptômes et le traitement chirurgical d'une telle perforation était de deux jours pour les doses quotidiennes de 20 mg ou moins de prednisone et de huit jours pour celles de plus de 20 mg.12 Les manifestations cliniques sont en majorité la fièvre et les douleurs abdominales, moins de 20% présentent des signes péritonéaux.13 L'incidence des perforations coliques chez les greffés rénaux est en moyenne de 0,9%, l'origine principale étant la diverticulite du sigmoïde, suivie par la colite ischémique, le mégacolon toxique et les lésions iatrogènes.12-15 La mortalité élevée de ces perforations (globalement 48%)14 a diminué selon les séries d'environ 60% à moins de 20% sur le dernier quart de siècle, en raison de multiples progrès : meilleur diagnostic, sanction chirurgicale précoce, imagerie (en particulier recours facile au CT-scan), antibiothérapie plus efficace, diminution des dosages de corticostéroïdes dans les schémas d'immunosuppression en particulier depuis l'introduction de la cyclosporine12 ou du tacrolimus. L'augmentation du risque général de perforation colique chez le transplanté rénal pourrait être attribué en partie à un phénomène ischémique secondaire à une athéromatose aggravée par des années de dialyse et atteignant spécialement les vaisseaux mésentériques.10 Une attention particulière devrait donc être portée aux douleurs abdominales chez les patients de plus de 40 ans avec greffe à donneur cadavérique et une longue histoire de dialyse.
Les résultats contradictoires concernant l'efficacité du dépistage et de la colectomie prophylactique lors de diverticulose colique ont incité l'American Society of Transplantation16 à ne pas recommander d'investigations systématiques ni de colectomie prophylactique en dehors des patients symptomatiques avant ou après la greffe et quel que soit le groupe à risque (maladie polykystique autosomique dominante (MPKAD)17 ou diabétique).
Des perforations coliques idiopathiques du colon sigmoïde ont été décrites, dont l'étiologie pourrait être une diminution multifactorielle de la solidité de la paroi colique du transplanté, principalement dans le sigmoïde.14 Le risque de développer un cancer colorectal ne semble pas significativement majoré et ne justifie pas de proposer systématiquement de colonoscopie dans le suivi.6
Lithiase biliaire et cholécystite aiguë : la découverte d'une lithiase asymptomatique n'est pas une indication à pratiquer une cholécystectomie prophylactique, comme l'ont démontré Greenstein18 et Melvin19. Les patients greffés rénaux n'ont pas d'augmentation de risque de développer une pathologie biliaire, lorsqu'on les compare aux patients non transplantés. Seule l'étude de Graham20 a montré une incidence élevée de cholécystectomies pour cholécystite dans une population de greffés rénaux, avec 14% de morbidité et 20% de perte des greffons. Pour la majorité des autres publications, les rares patients devenus symptomatiques après greffe rénale ont bénéficié d'une cholécystectomie si possible par laparoscopie, avec des suites similaires à celles de patients non transplantés. En l'absence d'étude contrôlée comparant la cholécystectomie prophylactique avec la surveillance simple, il n'existe actuellement pas de consensus, y compris pour les patients diabétiques.16
Les patients greffés présentent un risque légèrement accru de maladie ulcéreuse en raison des corticostéroïdes et de possibles surinfections à candida, CMV ou à HSV. Le dépistage systématique de l'Helicobacter pylori n'est pas nécessaire, pas plus qu'une sogastroduodénoscopie systématique. Ces examens devraient être recommandés pour les patients avec antécédents de syndromes dyspeptiques ou symptomatiques.17
Un malade sur deux atteint de MPKAD risque de développer une insuffisance rénale terminale, ce qui représente 7 à 15% de la population des transplantés rénaux. L'indication à pratiquer une néphrectomie prétransplantation uni ou bilatérale est retenue en cas de maladie symptomatique (accidents évolutifs avec hémorragie), de surinfections (6%) ou de manque de place pour le greffon en raison du volume des reins21 (figure 1).
Les patients avec greffes cardiaques et pulmonaires isolées ou combinées représentent un groupe à risque de développer des complications abdominales septiques, pour lesquelles une intervention chirurgicale n'est pas toujours possible. Dans une série de 349 greffés cardiaques (1985-1996) Bhatia a recensé 54 patients ayant nécessité 94 interventions chirurgicales. Dix-huit patients ont été opérés pour une pathologie des voies biliaires : deux sur les cinq opérés pour cholécystite aiguë sont décédés, mais aucun de ceux opérés pour une cholécystectomie élective. Aucune mortalité n'a été observée parmi les treize patients opérés pour une pathologie intestinale grêle ou colorectale aiguë.22 Dans une revue récente de plusieurs séries publiées de transplantés pulmonaires,23 l'incidence globale des abdomen aigus était de 9,6% pour un total de 1167 patients, avec une mortalité variant entre 0 et 63% selon les séries. La conclusion principale est que l'exploration chirurgicale peut être envisagée pour des interventions raisonnablement bien tolérées.
Dans la population des greffés cardiaques, la prévalence de la cholélithiase a été estimée à 30 à 40% pour les adultes et 15,6% chez les enfants. Cette pathologie est observée dans 16 à 22% des patients dans le bilan pré greffe et s'élève à 30 à 55% après transplantation.24,25 L'immunosuppression, la vagotomie et l'ischémie durant la transplantation ont été évoqués comme facteurs prédisposant. Les cholécystectomies en urgence sont associées à une mortalité de 36 à 40% (0% en électif) et à des hospitalisations prolongées (douze jours, contre deux en électif). Des échographies systématiques et une cholécystectomie avant la greffe (rarement possible en raison des risques opératoires), ou après stabilisation dans la période post-transplantation pour les patients symptomatiques, ont été proposées,22,42-45 mais la cholécystectomie prophylactique reste controversée.24,26
Chez les enfants l'incidence de la lithiase biliaire est plus faible que chez l'adulte et en raison d'une excellente tolérance, Sakopoulos propose une cholécystectomie systématiquement (patient symptomatique ou non) dans le suivi après transplantation cardiaque.27
La diverticulite est rapportée moins fréquemment après greffe cardio-pulmonaire qu'après greffe rénale. Selon les publications, l'incidence moyenne est de 1,6% avec une mortalité de 15% (revue de sept séries collectant 1254 patients).28 Sur cette base un dépistage de routine et une colectomie prophylactique ne sont pas justifiés.
Les patients avec mucoviscidose sont particulièrement à risque pour les complications gastro-intestinales, déjà bien connues dans cette maladie. Dans ce groupe, 20% présentent des obstructions intestinales, qui sont en principe prévenues par des lavements avec des solutions d'électrolytes, le recours à la chirurgie étant rare.29 Il n'existe actuellement pas de consensus pour la cholécystectomie prophylactique chez ces patients.
On peut tout d'abord distinguer les complications septiques spécifiques comme les problèmes anastomotiques biliaires.30,31 Egawa et coll. ont observé 18,2% de complications anastomotiques dans un collectif de 391 patients greffés de 1990 à 1998, lié aux fuites anastomotiques, à une infection à CMV, à des complications vasculaires artérielles, au sexe masculin et aux enfants avec incompatibilité ABO.31
L'incidence de la maladie ulcéreuse gastroduodénale est de 2,5 à 15% des patients transplantés hépatiques. La présence d'Helicobacter pylori est un important facteur de risque pour la perforation duodénale ulcéreuse et nécessite donc son éradication chez les greffés.32
Les perforations intestinales font appel aux mêmes mécanismes que pour les greffes des autres organes déjà cités. Dans sa revue des complications abdominales septiques, Caraceni 30 observe que les perforations coliques surviennent surtout dans la période post-opératoire immédiate, en majorité sur diverticulite du colon sigmoïde. Ces perforations sont plus fréquentes chez les enfants (8,3 à 14%) que chez les adultes (1 à 5,3%).33 L'incidence du problème ne permet pas de justifier des colectomies prophylactiques pré ou post-transplantation.
Alors que le risque de cancer colorectal n'est pas significativement augmenté chez les patients immunosupprimés en général,6 les patients avec cholangite sclérosante et RCUH ont un risque augmenté de 12,5 fois de développer un cancer du colon et un dépistage régulier après transplantation a été recommandé par Fabia.34
Dans une revue de 542 patients transplantés médullaires sur une période de dix ans,35 on a constaté une incidence de 17% de complications gastro-intestinales, dont 58% ont nécessité une intervention chirurgicale. Il s'agissait surtout de cholécystites, de douleurs abdominales d'origine X, d'occlusions intestinales et d'appendicites. Les problèmes principaux rencontrés étaient d'une part le diagnostic différentiel avec une pathologie médicale (Graft Versus Host Disease, Syndrome de Buddd Chiari) pouvant être traitée conservativement et, d'autre part, des patients fortement immunosupprimés, pancytopéniques avec une mortalité élevée après laparotomie exploratrice. Avec un taux de 15%, les enfants greffés de moelle ont plus de risque de développer une cholécystite que les adultes, et ce tardivement après la greffe (six mois en moyenne). Cependant un dépistage systématique n'est pas recommandé, vu le faible taux de complications.36
Les patients immunosupprimés après une transplantation ont un haut risque de présenter des complications gastro-intestinales liées directement à l'immunosuppression, ou masquées et aggravées par cette dernière. La cholécystite aiguë et la perforation intestinale sont associées à une mortalité élevée si elles ne sont pas diagnostiquées et traitées dans les meilleurs délais. Des examens de dépistage et des interventions prophylactiques systématiques sont rarement recommandés, en raison de l'amélioration de la prise en charge chirurgicale en urgence et du risque non négligeable des mesures diagnostiques (par exemple colonoscopie) et des interventions coliques.
Les patients en attente d'un organe et dans la mesure de leur opérabilité basée sur les risques anesthésiologiques, devraient idéalement être opérés dès les premiers symptômes ou complications. Pour les patients greffés, un haut degré de suspicion pour toute symptomatologie digestive même minime, l'utilisation large de l'imagerie et le recours rapide à une exploration chirurgicale en cas de besoin sont les garants d'un résultat optimal, d'une préservation de la fonction de l'organe greffé et de la survie du patient.