Il était une époque où l'exercice de la médecine ressemblait beaucoup à la vie dans une grande famille dont les membres socialement en vue et souvent nantis gagnaient leur vie et leur notoriété en soignant les riches tout en s'occupant des classes communes pour renforcer leur image. De plus, comme l'avenir des médecins reposait sur la cooptation, ils assuraient la continuité de ce système sans se poser de questions en enseignant gratuitement leur art aux plus novices. A ceci s'ajoutait évidemment qu'ils se préparaient également tous à passer élégamment la main (et sans commission de «pas-de-porte») dès que la sagesse ou leurs moyens leur permettaient une digne retraite.Aujourd'hui et dans les hôpitaux en particulier, la précarité est évidente pour de nombreux internes : les bouteilles de cognac sont vides et les cigares ont disparu des salles de garde. Exposés à des parcours aussi chaotiques que ceux des gardiens des piscines municipales, menacés par de continuelles restructurations, révocables d'un trait de plume par les ministres de la Santé, les internes connaissent des lendemains qui déchantent. D'ailleurs, qui dit vraiment leurs peurs de ne pas en savoir assez ou de se tromper ? Qui écoute les travaux d'Hercule imposés parfois par d'arrogants confrères qui contraignent ces commis d'office à assumer sur le champ des fonctions qu'ils ne connaissaient pas la veille ? Qui dénonce les flux et reflux des courtisans selon que la faveur du prince se rapproche ou s'éloigne ? Qui tente de faciliter leurs déménagements itératifs et d'atténuer les corvées des courriers administratifs qui s'accumulent sur leurs épaules ?En dépit de tout cela, de nouveaux étudiants se présentent chaque année dans les facultés de médecine. Il faut d'abord rendre hommage à leur courage. Toutefois, concernant les internes hospitaliers de demain, plusieurs questions s'imposent maintenant que leur charge horaire tend à s'uniformiser d'un bout à l'autre du pays sous l'effet de la loi fédérale sur le travail (LTr) introduite dès le 1er janvier 2005 : 1) si les besoins hospitaliers ne fléchissent pas brutalement et si ces médecins sont mieux organisés que nous, ne pourrait-on pas voir bientôt leur valeur marchande prendre très significativement l'ascenseur ? Et les enjeux dépassent la question financière puisqu'ils pourraient également concerner des revendications sur les conditions de travail ; 2) la concurrence entre les hôpitaux améliorera-t-elle vraiment la qualité de la vie des internes ou ne laissera-t-elle aux hôpitaux les moins chics ceux des services publics et de la périphérie par exemple que les médecins les plus désintéressés sur le plan salarial ? 3) finalement, quelles seront les répercussions de ces changements sur les soins délivrés aux malades et sur le temps accordé aux entretiens avec les proches ? Quel que soit ce que nous réserve l'avenir et à terme il a toujours raison la formation et la pratique de la médecine ne seront pas faciles à moderniser. Bonne semaine.