Ces lignes sont écrites sur l'île de Malte où, en cette mi-septembre, est organisée la deuxième conférence européenne sur la grippe. En d'autres temps, l'affaire eut été de maigre importance médiatique. Des industriels du vaccin antigrippal et des producteurs de médicaments antiviraux auraient, dans le désert, prêché pour une meilleure protection des populations de la vieille Europe. On se serait contenté de reprendre les textes des années précédentes en actualisant le cocktail des souches virales incluses dans le vaccin destiné aux froidures à venir. Mais tout, en cet automne 2005, est bouleversé.Mais pour l'heure comment ne pas voir que l'actualité de cette réunion de Malte, île célèbre pour son faucon, tient aux nouvelles menaces inhérentes aux oiseaux sauvages et aux virus aviaires qu'ils véhiculent depuis qu'existent les uns et les autres. «Le virus de la grippe aviaire pourrait être propagé par les oiseaux sauvages ; état d'alerte et mesures préventives sont indispensables dans les pays situés le long des voies migratoires». Tel est ainsi le titre d'un document que viennent conjointement de publier, depuis son siège de Rome, la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations) et l'OIE (Office international des épizooties) ; un document qu'il importe de lire pour prendre la mesure du soubassement rationnel de l'affolement ambiant.Qu'on en juge. «Le virus mortel de la grippe aviaire, qui sévit dans plusieurs pays d'Asie, pourrait être propagé par les oiseaux sauvages au Moyen-Orient, en Europe, en Asie du Sud et en Afrique, met en garde aujourd'hui la FAO. Les oiseaux provenant de Sibérie où le virus H5N1 a été récemment détecté pourraient, à terme, transporter le virus vers la mer Caspienne et la mer Noire. Ces régions ainsi que les pays balkaniques pourraient offrir au virus une porte d'entrée vers l'Europe centrale.»La FAO se dit tout particulièrement préoccupée par le fait que les pays pauvres du sud-est de l'Europe, où les oiseaux sauvages se mêlent à ceux du nord de l'Europe, seraient dans l'incapacité de détecter et de gérer d'éventuelles flambées de grippe aviaire. Pour Joseph Domenech, vétérinaire en chef à la FAO, il importe de savoir que les voies migratoires passent également par l'Azerbaïdjan, l'Iran, l'Irak, la Géorgie, l'Ukraine et quelques pays méditerranéens où des flambées de grippe aviaire ne sont pas à écarter. «L'Inde et le Bangladesh, actuellement non infectés, sont également menacés. Le Bangladesh et, dans une moindre mesure, l'Inde, abritent un grand nombre de canards de basse-cour, souligne-t-on encore auprès de la FAO. Ces deux pays, situés le long des principales routes migratoires, pourraient se transformer en une vaste région où la grippe aviaire serait endémique.»Comment mieux dire que l'influenza aviaire est un problème aux dimensions internationales qui nécessite certainement une réponse internationale vigoureuse ? On rappelle aussi, depuis le beau siège romain de la FAO que la grippe aviaire a tué plus de 60 personnes en Asie depuis 2003 et plus de 140 millions de volatiles sont morts ou ont été abattus dans le cadre des efforts visant à circonscrire les épizooties. Et puis, bien évidemment, ce constat épidémiologique aviaire : jusqu'à une date récente, les flambées de grippe aviaire se produisaient en Indonésie, au Viêtnam, en Thaïlande, au Laos, au Cambodge et en Chine. Mais en juillet dernier, la Russie et le Kazakhstan ont confirmé la présence du virus H5N1 chez des poulets et des oiseaux sauvages. En Mongolie, quelque 90 oiseaux migrateurs ont été trouvés morts dans deux lacs durant le mois d'août 2005.Entre avril et juin 2005, plus de 6000 oiseaux migrateurs sont morts du fait du virus H5N1 dans la réserve naturelle du lac Qinghai, en Chine. Au Tibet, 133 poules pondeuses ont été victimes du même virus. Ces nouvelles flambées témoignent du fait que cette souche aviaire H5N1 hautement pathogène se propage progressivement vers le nord-ouest et qu'elle n'est plus confinée à l'Asie du Sud-Est. En Russie et au Kazakhstan, l'infection se produit du fait de contacts entre animaux de basse-cour et oiseaux aquatiques sauvages, indique M. Domenech.Et encore : «La FAO exhorte les pays affectés et la communauté internationale à combattre le virus à la source, soit chez les volailles. Aussi longtemps que le virus H5N1 sera présent chez les volailles, il continuera de menacer les êtres humains. Aussi avons-nous mis en place plusieurs réseaux régionaux en Asie afin d'améliorer la collaboration entre pays.»La FAO et l'OIE ont développé une stratégie de contrôle de la grippe aviaire en Asie qui coûtera plus de 100 millions de dollars (surveillance, diagnostic et autres mesures de contrôle, y compris la vaccination). Jusqu'ici, les bailleurs de fonds ont promis quelque 25 millions de dollars pour soutenir cette stratégie. A Malte, sur cette île «où les nuits sont plus douces que le lait», on a moins parlé des oiseaux que des malheurs qu'ils promettent aux hommes.(A suivre)