Le Dr Jean-François Coindet (1774-1834) doit sa notoriété à l'introduction de l'iode comme traitement du goitre en 1820 à Genève. Les succès furent nombreux. La survenue chez de rares patients de symptômes d'un dysfonctionnement thyroïdien valut cependant à Coindet l'hostilité de certains confrères et d'autres milieux genevois influents. La récente parution en version intégrale de l'autobiographie d'Augustin-Pyramus de Candolle, le célèbre botaniste, contient quelques informations nouvelles sur le rôle du Dr Jean-Pierre Colladon dans l'Affaire de l'iode.Présentons brièvement les deux protagonistes principaux. L'un, J.-F. Coindet (1774-1834) fait ses premières études à l'Académie de Genève, puis se rend à Edimbourg étudier la médecine. En 1796, il s'y marie et sa femme donne naissance à son fils Jean-Charles, qui deviendra aussi médecin. Après obtention du doctorat en 1797, puis deux ans de perfectionnement à Paris, J.-F. Coindet revient s'installer dans sa ville natale. A côté de sa pratique médicale, il devient médecin de l'hôpital, ainsi que médecin des prisons et des épidémies pour le département du Léman. Il dirige aussi le Bureau de bienfaisance et fait partie de la Société de la vaccine. L'autre, le docteur Jean-Pierre Colladon (1769-1842) fait des études littéraires à Göttingen, puis médicales à Edimbourg. Il pratique un temps en France, où il est l'un des premiers à introduire l'inoculation de la vaccine, puis revient lui aussi exercer sa profession à Genève, où il est un membre actif de la Société médico-chirurgicale ; il publie quelques notes sur le choléra et les bains.C'est en 1819 que Coindet suggère que le principe actif de l'éponge calcinée ou du varech, utilisés de longue date dans le traitement du goitre, devait être l'iode, découvert par Bernard Courtois en 1811. L'analyse chimique des extraits ayant confirmé cette hypothèse, il fait préparer des solutions iodées iodure de potassium, solution d'iodure iodée ou iode dissous dans l'alcool par le pharmacien Auguste Le Royer. Coindet en prescrit des gouttes à doses croissantes, commençant par environ 0,1 gramme par jour durant la première semaine, 0,15 la seconde, puis 0,2 la troisième et les suivantes. Le résultat ne se fait pas attendre : en peu de semaines, le goitre se ramollit puis diminue de volume. En juillet 1820, il publie ses premiers résultats et peut affirmer que l'iode constitue un des plus puissants remèdes dont la chimie moderne ait enrichi la matière médicale.1Pourtant, cette puissance même se révèle rapidement problématique, car les goitreux se précipitent en masse chez les pharmaciens. En décembre 1820, lors d'une séance de la Société susmentionnée, le Dr Jean-Pierre Colladon rapporte qu'il en a prescrit à neuf patients et observé des effets néfastes chez six d'entre eux. Dans plusieurs cas l'iode avait produit des douleurs gastriques, chez une patiente de la bonne société le mal avait même produit une affection broncho-pulmonaire qui s'avérera fatale deux mois plus tard. Colladon conclut que l'iode est un dangereux poison, même si, dans un premier temps, ses effets paraissent favorables.2En janvier 1821, l'assemblée des médecins, des chirurgiens et des pharmaciens, saisie par les autorités genevoises, propose d'exiger que la vente de l'iode soit interdite en l'absence d'une prescription médicale et le gouvernement se rallie à cet avis. En même temps, les rédacteurs de la Bibliothèque universelle, où avait paru en été 1820 l'article de Coindet, vont plus loin en publiant un avis aux lecteurs qui comporte les lignes suivantes : «On nous a adressé diverses observations sur le danger de l'utilisation (de l'iode), lors même qu'il est administré par un médecin prudent et avec les précautions convenables. D'après ces observations, il paraîtrait que certaines constitutions sont gravement affectées par les mêmes doses que d'autres sujets prennent impunément.» Ils proposent en conséquence qu'en attendant d'en savoir davantage, «il sera prudent de suspendre son opinion en même temps que l'usage de ce remède.»Coindet, se sentant directement visé, fait paraître en février 1821 un nouvel article 3 où il se défend en évoquant les quelque 150 malades qu'il a traités avec succès. En se basant sur les ventes d'iode réalisées par les pharmaciens, il estime que près d'un millier de Genevois en ont bénéficié. Il n'exclut pas l'occurrence exceptionnelle de symptômes iodiques, qu'il attribue à un dosage excessif ou, écrit-il, à un effet de saturation. Celui-ci se traduit par les symptômes suivants : accélération du pouls, palpitations, toux sèche fréquente, insomnie, amaigrissement rapide, perte de force. C'est là la première description des principaux symptômes de l'hyperthyroïdie. Dans les cas qui présentent ces signes, Coindet conseille d'interrompre la prise d'iode et de ne l'administrer à dose réduite qu'après récupération, et ce pour des périodes limitées et sous surveillance médicale régulière.Pour circonvenir les effets irritants de l'iode sur l'estomac, il fait des expériences positives en remplaçant les gouttes par des frictions du cou avec une pommade iodée ; parmi 22 patients soignés de cette manière, la moitié a été complètement guérie, l'autre partiellement.4Jean-Charles Coindet, rentré à Genève en 1823 à l'issue d'études médicales également entreprises à Edimbourg, trouva son père très découragé, car rendu comptable d'accidents qu'on ne pouvait loyalement imputer qu'à des imprudences où il n'avait aucune part. Blessé dans des affections qui lui étaient chères et dans sa réputation de médecin éclairé et attentif, il était résolu à discontinuer ses recherches.5En fait, si J.-F. Coindet n'a plus publié par la suite, il n'avait jamais été un auteur prolifique. En 1800, il avait donné à la Bibliothèque britannique un article sur l'inoculation de la vaccine. En 1816, il remporta le concours de la Société royale de médecine de Bordeaux sur l'hydrocéphalie interne, dont résultera un livre imprimé en 1817. La même année, il devient chroniqueur médical à la Bibliothèque universelle où il succède à Louis Odier et y fait paraître des extraits de son ouvrage. Ses publications sur l'action thérapeutique de l'iode dans le goitre et ses complications, mentionnées plus haut, lui valurent non seulement des ennuis, mais aussi la reconnaissance que constitue l'obtention en 1831 d'un grand prix de l'Académie des sciences de Paris, doté d'une belle somme d'argent. Le dernier article de Coindet sur l'emploi de la quinine dans les fièvres intermittentes date de 1823, l'année où les Drs Coindet père et fils, ainsi que quatre autres médecins, créent pour concurrencer la Société médico-chirurgicale, la Société médicale à Genève, qui existe encore.J.-F. Coindet meurt en 1834, dans sa soixantième année, sans savoir que le traitement du goitre par l'iode ne trouvera sa justification rationnelle qu'au début du XXe siècle, dans la découverte de la capacité qu'a la thyroïde d'accumuler l'iode et de l'insérer dans les hormones thyroïdiennes. Ces données balaient les ultimes réticences des opposants et permettront l'acceptation d'un moyen simple et efficace de prévention du goitre, par l'adjonction de minimes quantités d'iode au sel de cuisine.Durant l'hiver 1835-36, l'illustre botaniste Augustin-Pyramus de Candolle (1778-1841) souffre de problèmes de santé qu'il décrit dans son autobiographie, publiée 21 ans après sa mort par son fils Alphonse. Soucieux de présenter les souvenirs de son père sous un jour favorable, il omit plusieurs passages et ne laissa subsister que la première lettre du nom de certaines personnes. Le lecteur des Mémoires et souvenirs apprend ainsi qu'Augustin-Pyramus souffrait d'un goitre interne, qu'un certain docteur C. le traita avec des pilules et que des symptômes d'hyperthyroïdie apparurent après quelques semaines : faiblesse, irritation nerveuse, amaigrissement, inappétence, insomnie, incapacité de fermer les yeux. Certains ont cru reconnaître Coindet dans ce docteur C., alors même qu'il était mort deux ans auparavant. Ce n'était pas non plus son fils Jean-Charles, mais bien Jean-Pierre Colladon, comme l'atteste un passage des Mémoires et souvenirs, partiellement supprimé dans l'édition de 1862. «Je consultai le docteur Colladon sur mon état, lequel me soumit à un traitement par l'éponge brûlée. Je lui représentai qu'il y a cinq à six espèces d'éponges dans le commerce, qu'elles devaient contenir des quantités d'iode différentes, que de plus le degré de calcination devait encore modifier la dose de l'iode, et qu'il y avait donc de grandes incertitudes sur la dose réelle d'iode contenu dans les pilules préparées ; et que pour ces motifs je préférerais l'iode préparé à la manière de Coindet. Le docteur Colladon, qui détestait Coindet, m'assura que l'éponge était très inoffensive et qu'il l'avait employée très souvent sans accident.»6 De Candolle avait raison de se méfier, d'autant plus qu'il ignorait que les pilules prescrites par Colladon renfermaient également de l'extrait de ciguë et de l'extrait de saponine. Le traitement, mal supporté, dut être arrêté. De Candolle s'en remit et
devait décéder cinq ans plus tard d'insuffisance cardiaque. Le fait que de Candolle présenta suite à l'ingestion d'éponge calcinée et de manière réversible les signes caractéristiques d'une saturation à l'iode d'un Jod-Basedow selon la terminologie introduite ultérieurement par Theodor Kocher constituait une manière de revanche de Coindet sur Colladon ; de plus, ce post-scriptum à l'Affaire de l'iode annonçait la victoire future des thérapies basées sur l'utilisation de produits chimiquement purs, et la relégation dans l'histoire périmée des traitements «doux» au moyen d'extraits de plusieurs plantes, à la composition complexe et variable en qualité comme en quantité.Bibliographie1 Coindet JF. Découverte d'un nouveau remède contre le goitre. Bibliothèque universelle, Sciences et arts, Genève, 1820;14:190-8, et Annales de Chimie et de Physique, Paris, 1820;15:49-59.2 Olivier J. Les origines de la Société médicale de Genève et le Dr J.-F. Coindet. Revue médicale de la Suisse romande 1948;68:326-33.3 Coindet JF. Nouvelles études sur l'iode et sur les précautions à prendre dans le traitement du goitre par ce nouveau remède. Bibliothèque universelle, Sciences et arts, 1921;16:140-52, et Annales de Chimie et de Physique, 1821;16:252-66.4 Coindet JF. Note sur l'administration de l'iode par friction et sur l'administration de ce médicament dans les scrophules et quelques maladies du système lymphatique. Bibliothèque universelle, Sciences et arts, 1821;16:320-7.5 Rilliet F. Mémoire sur l'iodisme constitutionnel. Paris : Masson, 1860;60.6 De Candolle A-P. Mémoires et souvenirs, Bibliothèque d'histoire des sciences. Genève : Georg, 2003;511.* à lire** à lire absolument