Le personnel médical subit fréquemment des accidents par piqûre, coupure ou exposition de muqueuses avec du matériel potentiellement infectieux et risque ainsi d'être infecté par le VIH, le virus de l'hépatite B et celui de l'hépatite C. Toutes les mesures techniques, organisationelles et de protection personelle nécessaires doivent être mises en place pour les éviter. Une promotion de la vaccination contre l'hépatite B est importante. Lorsqu'un évènement survient, une prise en charge rapide est indiquée pour évaluer le risque lié à l'exposition et l'indication à une prophylaxie post-exposition (thérapie anti-rétrovirale, rappel vaccinal et immunoglobulines contre l'hépatite B). Lorsqu'il y a eu exposition certaine à un des virus, l'information détaillée du patient et son suivi doivent être assurés par un spécialiste.
Le personnel de santé est un groupe à risque en ce qui concerne les maladies transmissibles par le sang et les liquides biologiques, essentiellement l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH), le virus de l'hépatite B (VHB) et le virus de l'hépatite C (VHC). En Suisse, entre 1997 et 2000, 2685 cas d'exposition à du matériel souillé ont été rapportés aux centres de références de Lausanne et Zurich.1 Même si le risque d'une transmission virale est faible, tous les événements doivent être pris en charge rapidement pour évaluer l'indication à une prophylaxie post-exposition (PEP), à savoir une thérapie anti-rétrovirale pour le VIH ou l'administration d'une dose de vaccin et/ou d'immunoglobulines pour l'hépatite B. Chaque médecin peut être confronté à la gestion immédiate de cas d'accidents professionnels et doit connaître dans leurs grandes lignes la procédure de leur prise en charge, afin de pouvoir mettre en oeuvre les mesures urgentes et référer si nécessaire les patients à une structure spécialisée (service hospitalier de médecine du personnel, infectiologue).
Un grand nombre d'accidents professionnels pourraient être évités grâce à la mise en place de mesures de prévention d'ordre technique, organisationnel et personnel. Une liste de ces mesures proposée par la SUVA se trouve dans le tableau 1. Il est de la responsabilité des établissements de soins, des cabinets médicaux et de chaque professionnel de la santé de les appliquer.
Une exposition est considérée comme significative s'il y a eu contact avec du sang ou un liquide biologique (essentiellement s'il est macroscopiquement contaminé par du sang), soit par piqûre ou coupure, soit par exposition d'une muqueuse (yeux, bouche) ou de la peau visiblement lésée. Le risque est influencé par les facteurs mentionnés dans le tableau 2. Une exposition de la peau visiblement saine n'est significative que si le contact est prolongé (plusieurs minutes), si la surface est supérieure à 5 cm2 et si le patient-source présente une virémie haute (pour le VIH, essentiellement primo-infection ou stade terminal du SIDA).4
En Suisse, deux cas certains et un cas probable de séroconversion suite à un accident percutané ont été rapportés jusqu'en 2002.5 La quantification du risque apparaît dans le tableau 3. La séroconversion survient presque toujours dans les douze semaines qui suivent la transmission du virus, mais l'administration d'une PEP peut occasionnellement la retarder jusqu'à six mois, exceptionnellement neuf mois.
Le risque de transmission du virus et d'hépatite clinique est fortement influencé par la quantité de matériel infectieux en circulation, dont le marqueur principal est la présence de l'antigène HBe (tableau 3). Il faut relever que ce virus peut survivre plus d'une semaine dans du sang séché,8 contrairement au VIH qui est très fragile. Depuis l'introduction de la vaccination, la prévalence de l'hépatite B chronique dans le secteur médical a sensiblement diminué (auparavant, prévalence jusqu'à dix fois celle de la population générale). Il n'y a pas eu de séroconversion suite à un accident avec du matériel souillé en Suisse entre 1997 et 2000.1
La prévalence de l'infection par le VHC chez le personnel du secteur de la santé est semblable à celle de la population générale (0,5-1%). Néanmoins, dans les hôpitaux suisses, six cas de séroconversion suite à un accident percutané ont été rapportés entre 1997 et 2001.9 Le risque de transmission du VHC est beaucoup plus élevé que celui du VIH (tableau 3) et on ne peut pas le prévenir par la vaccination, comme pour l'hépatite B. Il s'agit donc du virus susceptible de présenter quantitativement le problème le plus grand, et le nombre d'accident professionnel avec transmission du VHC pourrait être sous-estimé.9
En cas d'exposition à du matériel souillé, il est nécessaire de prendre des mesures rapidement, comme décrit dans le tableau 4. Le médecin consulté doit déterminer s'il s'agit d'une exposition significative, évaluer le risque que le patient-source soit infecté (en questionnant le patient, son médecin-traitant ou en étudiant le dossier médical), poser si nécessaire l'indication à une PEP qui doit débuter le plus vite possible et organiser le suivi.
Si le patient-source est VIH positif connu, il faut connaître le traitement actuel et les traitements antérieurs avec d'éventuelles résistances ou des échecs thérapeutiques pour adapter la PEP.
Si le patient-source est inconnu, il faut essayer d'estimer le risque que le matériel à l'origine de la blessure ait été utilisé chez un patient infecté par le VIH ou le VHB.
VIH
L'administration d'une PEP par zidovudine seule durant quatre semaines diminue le risque d'acquisition de l'infection de 70%.10 Avec les bi- et trithérapies préconisées actuellement, les résultats sont probablement encore meilleurs. La première dose doit idéalement être administrée dans un délai de deux heures. Un traitement commencé plus de 48 à 72 heures après l'exposition n'est vraisemblablement plus efficace et ne devrait être administré qu'après exposition majeure et sur avis d'un infectiologue.7 Le choix des médicaments doit se faire par un spécialiste en tenant compte de l'histoire du traitement du patient-source. Si ça n'est pas possible, un traitement standard associant Combivir ® (2x1 cpr/j) et Viracept ® (2x5 cpr/j) ou Combivir ® et Kaletra ® (2x3 caps/j) doit être introduit sans délai ; si le patient-source est traité avec succès, on choisira toutefois de préférence son traitement (sauf Viramune ®). La durée de la PEP est de quatre semaines, mais elle peut probablement être diminuée à deux semaines en cas d'accident à bas risque si le traitement est une trithérapie et qu'il est mal suppporté. Les effets secondaires sont très fréquents et dépendent de la combinaison utilisée. L'employé doit avoir accès dans les meilleurs délais à un spécialiste pour un «debriefing» (avec notamment quantification du risque, qui est heureusement presque toujours beaucoup plus bas que les personnes exposées ne l'imaginent) et pour le suivi.
VHB
La PEP de l'hépatite B peut faire appel au vaccin et/ou aux immunoglobulines et est assez complexe. Elle est présentée dans le tableau 6.11
Lorsque les immunoglobulines sont indiquées, elles doivent être commencées rapidement, si possible dans les 24 heures, en tout cas dans les 72 heures. De cette façon, le risque de séroconversion peut être réduit de 75 à 95%.11 Le vaccin doit être injecté dans le muscle deltoïde et il faut éviter d'injecter les immunoglobulines au même endroit.
VHC
Il n'existe pas de PEP pour l'hépatite C. En cas d'infection, un traitement à la phase aiguë de l'infection (généralement trois mois après la séroconversion, pour laisser au patient la chance d'éliminer spontanément le virus, ce qui arrive dans 15-25% des cas) 6 permet une guérison chez environ 90% des patients. Un avis spécialisé est requis.
Les employés ayant été exposés au VIH, au VHB ou au VHC de manière certaine ou avec une probabilité non négligeable doivent être suivis cliniquement et biologiquement, avec des sérologies après 3 et 6 mois (éventuellement 9 mois pour le VIH en cas de PEP). Pour le VHC, les transaminases doivent être contrôlées tous les mois durant 3 mois et une PCR doit être réalisée si elles s'élèvent. Une éventuelle toxicité de la PEP anti-VIH doit être monitorée.
Sur le modèle d'une étude épidémiologique sur les accidents professionnels par exposition percutanée réalisée en 1995 dans sept hôpitaux suisses (dont l'Hôpital cantonal de Fribourg),12 nous avons réévalué la situation dans notre établissement en 2002. Nous avons constaté que 90% du personnel était vacciné contre l'hépatite B, contre 82% sept ans plus tôt. Malheureusement, c'est au sein du personnel infirmier que la couverture est la plus basse alors que c'est dans ce groupe qu'on trouve l'incidence d'accidents professionnels la plus élevée (0,44 accident/4 semaines/infirmière contre 0,22 pour les médecins). Dans la moitié des cas, la réponse à la vaccination n'était pas connue. Environ un tiers des accidents est survenu dans un contexte de fatigue ou de stress et il a été estimé que 16% des évènements auraient pu être évités si les recommandations de la SUVA avaient été suivies ; la situation ne s'est malheureusement pas sensiblement améliorée depuis 1995. En ce qui concerne la déclaration des accidents, nous avons constaté de grosses lacunes : près de 50% des évènements ne sont pas déclarés, dont la moitié en raison d'un «manque de temps» (un chiffre qui a augmenté de 10% en sept ans) ou parce que l'employé a estimé que le patient-source n'était pas à risque. Dans 10% des cas, la déclaration n'a pas été faite parce que les accidents étaient jugés trop fréquents.
Les accidents professionnels avec exposition potentielle au VIH, au VHB ou au VHC sont fréquents et souvent banalisés par les intéressés eux-même. Dans les hôpitaux et les cabinets médicaux, des progrès doivent encore être faits dans les domaines de la formation du personnel (mesures préventives et marche à suivre en cas d'accident), de l'amélioration de la sécurité des gestes à risque et de la prise en charge des personnes ayant subi un accident. Heureusement, la transmission des virus est rare (encore pourrait-elle être sous-estimée, notamment pour l'hépatite C), mais elle peut avoir des conséquences très graves. Bien que cet article ne puisse pas prétendre, du fait de son caractère succint, servir de guide pour la gestion pratique des accidents professionnels, nous espérons qu'il sensibilisera les médecins à l'importance du problème et les incitera à consulter les sources plus complètes citées en référence.