Les taux de césariennes a atteint 29% en Suisse, avec des différences importantes entre hôpitaux publics et privés, sans explication simple à ce constat. L'exigence de sécurité ne peut en être la seule excuse, la césarienne comportant des risques à court et à long terme. Nous tentons de comprendre les raisons de cette épidémie et discutons les bénéfices et les risques de la césarienne. Cette intervention ne doit être pratiquée que sur indication médicale. La demande maternelle est acceptable à la condition d'un véritable consentement éclairé. Si les progrès de la chirurgie et l'anesthésie loco-régionale ont rendu l'intervention plus sûre, elle ne doit pas être banalisée. Le respect de la physiologie est le premier devoir de l'obstétricien, répondant au souhait des femmes. Les hôpitaux et cliniques doivent publier leur taux de césariennes.
La proportion des accouchements par césarienne augmente partout dans le monde, aussi bien dans les pays développés que dans les autres. Selon l'Office Fédéral de la Statistique, 29% des accouchements dans les hôpitaux suisses ont eu lieu par césarienne en 2003 (communiqué de presse N° 0351-0507-40 du 12 août 2005). A titre de comparaison, toujours en 2003, cette proportion était de 28% aux Etat-Unis,1 pourtant réputés pour leur taux élevé de césariennes. En Angleterre, la proportion de naissances par césariennes est passée de 12,5% en 1990 à 18,3% en 1999.2 La maternité des Hôpitaux Universitaires de Genève est la première de Suisse, avec près de 4000 naissances annuelles. En 2004, 21% des accouchements y ont été réalisés par césarienne, pour 14% en 1996. Ce taux était à son nadir (9%) en 1989. On peut déduire des chiffres communiqués par l'Office Fédéral de la Statistique que plus de 40% des accouchements ont lieu par césarienne dans les cliniques privées à Genève.
Comment en sommes-nous arrivés là, alors que nous avons à cur et sommes convaincus d'accomplir notre travail en professionnels soucieux de minimiser la morbidité maternelle et périnatale ? Un premier constat décevant : il n'existe pas de réponse univoque à cette question. Il convient de distinguer les premières césariennes des césariennes pratiquées chez des femmes ayant déjà subi une telle intervention. L'augmentation des premières césariennes est en partie due aux présentations podaliques, de 58% accouchées dans notre service par césarienne en 1989 à 92% en 2004. Les césariennes itératives représentaient 14% des indications en1989 pour 46% en 2004. Les accouchements par voie basse après césariennes ont chuté de 52% en 1989 à 38% en 2004. Cette proportion était de 16% en 2003 aux Etat-Unis.1 Nous avons plus tendance aujourd'hui à accoucher les grands prématurés par césarienne, en raison des progrès des soins néonatals. Enfin, il semble que l'obstétricien lui-même soit un des principaux facteurs de risque.3 Les provocations de l'accouchement de convenance sont également en cause.4 La césarienne sur demande maternelle, sans indication médicale, reste marginale chez nous.
Quel est le taux idéal de césarienne ? L'augmentation du taux de césariennes s'accompagne-t-elle d'un bénéfice pour la mère et le nouveau-né, ou éventuellement pour le médecin ?
Les accouchements dits difficiles, par ventouse ou forceps sur une présentation ftale haute ne sont plus guère admis de nos jours. L'art de la mécanique obstétricale n'est plus une fin en soi à une époque où l'on privilégie la sécurité.
Dans notre service, les accouchements instrumentés ont diminué de 21% en 1989 à 19% en 1996 et 17% en 2004. Les déchirures périnéales atteignant le sphincter anal ont chuté de 6% en 1989, puis 5% en 1996 à 2% en 2004. La proportion des nouveau-nés avec un pH artériel de naissance l 7,10 témoignant d'une hypoxémie périnatale est passée de 5,8% en 1989 à 7,8% en 1996 et à 3,2% en 2004. On voit par ces chiffres que l'augmentation des césariennes dans notre service s'accompagne d'une diminution des accouchements instrumentés, et d'une réduction d'environ 50% des lésions périnéales graves ainsi que des hypoxies périnatales. Toutefois, aucune corrélation entre le taux de césariennes et le handicap moteur cérébral n'a pu être démontrée dans la littérature.5
Le bénéfice d'une intervention devrait être évalué par une étude expérimentale de type essai randomisé. La justification la plus fréquente des défenseurs d'un recours rapide à la césarienne est la diminution des risques néonatals. A notre connaissance, seules deux études ont montré un tel bénéfice. La césarienne permet de réduire le risque d'infection verticale par le VIH de deux à trois fois.6 Cependant, avec les progrès des traitements antiviraux, le bénéfice de la césarienne chez les femmes séropositives est remis en cause. Les ftus en présentation podalique accouchés par césarienne élective ont trois fois moins de risques de morbidité périnatale sévère ou de décès.7 Après deux ans, les enfants nés par césarienne ou après tentative de voie basse ne montrent pas de différence de mortalité ni de handicap neuro-développemental.8
La césarienne peut également bénéficier à la mère. Les obstétriciens et sages-femmes ont pris conscience du risque de lésions périnéales compliquées entraînant des séquelles maternelles sous forme d'incontinence urinaire, fécale, ou de prolapsus. Une proportion non négligeable d'obstétriciens anglais souhaiterait d'ailleurs pour eux/elles-mêmes ou leur conjoint une césarienne élective pour accoucher à terme d'une grossesse sans complications.9 Cette opinion n'est pas partagée par tous : 7% des obstétriciens irlandais10 et seulement 1% des danois11 font la même réponse.
Les déchirures périnéales touchant le sphincter anal sont plus fréquentes que l'on pense généralement. Aux 2 à 5 % des déchirures diagnostiquées cliniquement s'ajoutent les lésions occultes. Nous avons montré que ces lésions méconnues après l'accouchement pourraient toucher 28% des femmes, dont la moitié se plaint d'incontinence, principalement aux gaz.12 Une échographie endo-anale pratiquée lors de la suture périnéale permet de détecter et réparer plus de lésions sphinctériennes et de réduire l'incidence d'incontinence sévère.13 Cependant, l'accouchement par voie basse n'est pas le seul responsable des problèmes d'incontinence urinaire ou anale et des prolapsus génitaux. Cinq cent quarante femmes ayant subi une déchirure sphinctérienne ont répondu à un questionnaire standardisé que nous leur avons adressé dix-huit ans après l'accouchement : la proportion des incontinences fécales sévères attribuable à une déchirure sphinctérienne est de 4% pour les primipares et de 14% pour les multipares. Chez les primipares, une césarienne élective aurait potentiellement réduit le risque d'incontinence de 9,4% à 9,0% et 250 césariennes auraient été nécessaires pour prévenir un cas d'incontinence. Chez les multipares, une césarienne élective aurait réduit le risque d'incontinence de 3,9% à 3,3% et 167 césariennes auraient été nécessaires pour prévenir un cas d'incontinence.14 Ces femmes ayant subi une lésion du sphincter anal lors de l'accouchement n'étaient pas à risque plus élevé d'incontinence urinaire ni de problèmes sexuels.15
La césarienne comporte des risques immédiats et à long terme, pour la mère comme pour le foetus. Les organes adjacents à l'utérus peuvent être lésés (vessie, intestin grêle, vaisseaux). Les endométrites, infections urinaires et abcès de parois sont les complications bactériennes les plus fréquentes. Les hémorragies peuvent conduire à l'hystérectomie, les thromboses se compliquer d'embolie pulmonaire. Les accidents d'anesthésie sont rares, plus fréquents en cas de narcose que d'anesthésie locorégionale. Pour cent mille, la mortalité maternelle est de deux femmes lors d'un accouchement par voie basse, six pour une césarienne avant le travail et dix-huit pour une césarienne en cours de travail. Le risque relatif de décéder en cas de césarienne, élective ou en urgence, est de six fois par rapport à la voie vaginale. Ces chiffres sont toutefois à relativiser, la différence de risque de décès entre voie basse et césarienne élective étant de 3,8 pour cent mille accouchements.16 Enfin, pour le nouveau-né, la césarienne augmente le risque de détresse respiratoire, même à terme.17
Les risques à long terme de la césarienne ne sont pas négligeables. Une incidence accrue de placentas praevia, accreta, d'adhérences a été rapportée.18 Le seul essai randomisé comparant tentative d'accouchement par voie basse et césarienne élective avec un suivi maternel (Term Breech Trial) n'a pas montré de différences de morbidité maternelle entre ces deux groupes à trois mois ni à deux ans.19,20 Malgré sa taille, cette étude ne peut mettre en évidence des complications peu fréquentes.
C'est surtout lors d'une grossesse ultérieure que les complications sont craintes. Le risque le mieux connu est celui de la rupture utérine en cours de travail. L'estimation de la fréquence de cette complication est stable dans plusieurs études, incluant plus de 140 000 tentatives d'accouchement par voie basse après césarienne.21 La rupture utérine est une complication potentiellement catastrophique pour la mère (risque d'anémie, de lésions chirurgicales, d'hystérectomie, de décès) ou le nouveau-né (asphyxie, handicap, décès).22,23 Même si les risques d'asphyxie (0,15%) ou de décès périnatals (0,4 pour mille) sont faibles, ils ne peuvent être passés sous silence compte tenu de leur gravité.21 Il existe peu de facteurs pronostiques de la rupture utérine. Comparé à la césarienne élective, le risque relatif de rupture utérine est de trois fois en cas de travail spontané, cinq en cas d'induction sans prostaglandines, et de seize en cas d'utilisation de prostaglandines !22 La mesure échographique du segment inférieur de l'utérus pourrait permettre de mieux évaluer ce risque.24
Si dans le années 1980, le mot d'ordre chez les obstétriciens était once a cesarean section, always a trial of labor, sans revenir au fameux once a cesarean, always cesarean, la recommandation actuelle devrait être de toujours informer les femmes des risques immédiats et à long terme d'une césarienne afin qu'elles puissent prendre une décision éclairée quant au mode d'accouchement.
Une autre complication à long terme de la césarienne a été récemment rapportée : le risque de mort in utero inexpliquée pourrait être deux fois plus élevé après césarienne qu'après un accouchement par voie basse.25 Toutes ces informations devraient bien entendu être données avant la première césarienne lorsque son indication n'est pas impérative.
La césarienne, intervention bien codifiée et généralement sûre, comporte certains risques qui, bien que faibles, peuvent avoir des conséquences graves. Elle ne devrait donc être pratiquée que sur indication médicale. Parmi les indications reconnues, citons la dystocie foeto-pelvienne, la souffrance ftale aiguë ou chronique, la présentation podalique après échec de version céphalique externe, certaines infections maternelles (VIH, primo-infection herpétique), les antécédents de césarienne et de rares pathologies maternelles (anévrisme cérébral, etc.). La demande maternelle de césarienne est aujourd'hui une indication largement acceptée. Le rôle de l'obstétricien n'est pas d'acquiescer sans argumenter. Il doit mettre les risques de l'intervention en lumière, afin que le consentement à l'acte thérapeutique soit véritablement éclairé. Sans indication impérative, les risques même très rares ne doivent pas être occultés. L'obstétricien doit informer le couple que l'intervention est pour lui potentiellement plus facile, du moins quant à sa planification, et plus rémunératrice qu'un accouchement par voie basse.
Diverses étapes de la césarienne sont évaluées par des essais randomisés, dont certains en cours. Une technique minimalement invasive sera préférée, avec incision de Pfannenstiel, incision utérine transverse basse, antibioprophylaxie après clampage du cordon ombilical.26 Le saignement est moindre en cas de délivrance spontanée du placenta.27 L'utérus peut être suturé en un plan 28 et les péritoines laissés ouverts.29,30 La suture du plan sous-cutané n'est recommandée que si ce dernier a une épaisseur de plus de 2 cm.31 L'alimentation per os peut être reprise dès dissipation des effets de l'anesthésie. Une thromboprophylaxie par héparine de bas poids moléculaire est recommandée. Parallèlement à cette simplification de la chirurgie, l'anesthésie loco-régionale a contribué à une meilleure sécurité de l'intervention dont les suites sont aujourd'hui plus simples que dans le passé.
Le recours facile à la césarienne n'est pas une réponse au désir légitime des couples à une sécurité optimale lors de l'accouchement. Exception faite des indications reconnues, si la césarienne permet de prévenir certains risques, c'est généralement au prix d'un nombre inacceptable d'interventions supplémentaires. La césarienne ne doit donc être réalisée que sur indication médicale. La demande maternelle est acceptable, mais doit être discutée sans complaisance et les risques, mêmes rares, exposés. Compte tenu des complications possibles lors d'un futur accouchement, il faut dans la mesure du possible éviter la première césarienne en respectant la physiologie. On se rappellera que la provocation de l'accouchement augmente le risque de césarienne.4 Une tentative de voie basse après césarienne n'est pas contre-indiquée, mais ce projet doit tenir compte des facteurs de risques et du souhait des parents. Dans ce cas les prostaglandines doivent être évitées.
L'accouchement par voie basse a longtemps été et restera le meilleur choix pour les femmes et les nouveau-nés. Il permet l'intimité des premiers contacts avec le nouveau-né et représente certainement le souhait des femmes, à de rares exceptions près. Aux obstétriciens d'honorer la confiance que leur font les couples. Dans cet esprit, publier leur taux de césarienne sera une marque de transparence bienvenue de la part des hôpitaux et cliniques.