Malgré les discordes qu'elle peut susciter, la discussion concernant les horaires de travail des médecins s'impose. Elle était récemment au centre des entretiens de la Société médicale de Beaulieu.1 Deux courants nourrissent ce débat. D'une part, les médecins se portent moins bien que le reste de la population : on le sait depuis que l'on se pose la question. Premier enjeu difficile que de regarder ainsi en face notre propre vulnérabilité. Surtout après tous nos efforts pour résister à ces intempéries que nous acceptons dans notre quotidien. Mais ce n'est pas le plus dur. Car d'autre part, un médecin reposé commet moins d'erreurs qu'un médecin épuisé. Là encore, on n'est pas entièrement surpris. La deuxième difficulté est donc qu'il va falloir contempler la possibilité que notre dévouement puisse avoir pour ainsi dire des effets secondaires. Comment ? Les sacrifices, ce temps et ces efforts que nous offrons à nos patients présents et futurs ? Cette abnégation qui rend notre profession si légitimement admirable ? Une source possible de risque ? On conçoit que l'on puisse se sentir un brin agressé par le sujet de la discussion. Et que l'on puisse avoir rapidement envie de changer, poliment, de sujet.Mais justement, changer de sujet est problématique. Ne rien tenter pour améliorer la santé de nos confrères n'est pas anodin. Même si l'on souhaite faire abstraction de la nôtre, qui est pourtant aussi en jeu. Mener une réflexion sur la sécurité des soins en faisant abstraction des conditions de travail pouvant nous rendre plus susceptibles de commettre des erreurs, ce n'est pas banal non plus. Nous méritons la confiance de nos patients dans la mesure où ce genre de préoccupation est pris au sérieux.On l'a vu, une certaine réticence à aborder ce thème est parfaitement compréhensible. Il est donc également compréhensible que cette discussion ne vienne pas spontanément. Il a souvent fallu un événement déclenchant pour la mettre en route. Et c'est là que nous sommes mieux lotis qu'autrui. Car les possibilités ne sont pas légion : à moins qu'une alarme ne soit sonnée avant, la discussion s'impose suite à un événement suffisamment tragique pour porter la question sur la place publique. La mort d'une patiente fut un des événements déclencheurs à New York. En Angleterre dans les années 90, c'est de la mort d'un interne que l'on parlait. Et aborder ce débat en réaction à une tragédie n'est pas tout à fait la même chose que de l'aborder avant. Si on nous fait confiance, c'est en partie justement parce qu'on s'attend à ce que nous prenions nos responsabilités un peu mieux que ça.L'Association des médecins d'institution de Genève (AMIG), et les autres associations similaires qui provoquent ce débat en Suisse, nous veulent donc du bien. Tout contraints que nous puissions nous sentir à traiter d'un sujet que nous pourrions vouloir poliment éviter, nous devrions être reconnaissants. C'est une bonne occasion d'aborder cette question. Nettement meilleure que les alternatives.1 17 e Entretiens de Beaulieu : «Vaut il encore la peine d'être médecin aujourd'hui ?» Samedi 5 novembre 2005, Genève.