On ne rappellera pas ici que les maladies auto-immunes (au premier rang desquelles la polyarthrite rhumatoïde, le diabète insulinodépendant ou la sclérose en plaques et qui affectent plus de 5% de la population mondiale) sont la conséquence d'une réaction de défense anormale du système immunitaire d'un individu dont l'organisme en vient à attaquer certains de ses propres tissus ou organes. On ne rappellera pas non plus que l'on saisit encore mal les raisons de ce déséquilibre qui emprunte volontiers (pourquoi donc ?) aux métaphores militaires. Une équipe de chercheurs français travaillant notamment à l'Inserm et à l'hôpital Bicêtre du Kremlin-Bicêtre (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) estime aujourd'hui être en mesure d'apporter la démonstration dans un modèle particulier de maladie auto-immune (le syndrome de Sjögren) la nature du rôle joué par certaines des protéines (protéines de «défense») contre les infections dans la survenue ainsi que dans l'entretien de ces pathologies invalidantes. A l'Inserm, on estime en outre que ce travail (publié outre-Atlantique dans les Proceedings of the National Academy of Science) «suggère un scénario faisant intervenir facteurs d'environnement et facteurs génétiques».Le syndrome de Gougerot-Sjögren (ou syndrome de Sjögren du nom de l'ophtalmologiste Henrik Sjögren qui en a fourni la première description) affecte entre 0,1 à 0,2% de la population mondiale, arrive, en termes de fréquence, au deuxième rang des maladies auto-immunes affectant plusieurs organes (maladies auto-immunes systémiques), après la polyarthrite rhumatoïde. Il se manifeste par une sécheresse très invalidante de la bouche et des yeux, des douleurs diffuses, une inflammation des articulations, une grande fatigue, des atteintes de différents organes (peau, poumons, reins, cerveau, etc.). Il est d'autre part associé à un risque de lymphome situé entre 20 à 40 fois plus élevé que dans la population générale.Le syndrome de Sjögren se présente sous deux formes peut-on lire sur le site de l'«Association française du Goujerot-Sjögren et des syndromes secs» : le syndrome «primaire» (la maladie existant par elle-même, non associée avec aucune autre affection) et le syndrome «secondaire» correspondant à une maladie qui se développe en présence d'une autre affection auto-immune (la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux disséminé ou une vascularite). «Plus d'un million de personnes aux Etats-Unis ont un syndrome de Sjögren. Plus de 90% d'entre elles sont des femmes. La maladie peut affecter des personnes de n'importe quelle race ou de n'importe quel âge, peut-on également lire sur ce site.» Le diagnostic repose sur plusieurs facteurs, comme la présence d'une sécheresse oculaire (détectée par un ophtalmologiste par la mesure de la production des larmes ou en examinant soigneusement la cornée) ou par certains tests de laboratoire (qui suggèrent que la sécheresse oculaire et buccale serait due à des mécanismes auto-immuns) ou encore après biopsie de la lèvre interne (pratiquée dans certains cas pour affirmer le diagnostic de syndrome de Sjögren primaire).Concernant l'hypothèse de l'interaction entre des facteurs génétiques et environnementaux le rôle, chez ces derniers, des infections est suspecté depuis longtemps. «Le rôle majeur des interférons vient d'être mis en évidence dans le syndrome de Sjögren, considéré comme un modèle de maladie auto-immune systémique, dans les travaux menés par les unités Inserm U802 (IFR Bicêtre) et U567 (Institut Cochin, Paris), en collaboration avec le service de rhumatologie de l'hôpital Bicêtre (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) et l'Université Paris-Sud XI, précise-t-on auprès de l'Inserm. Ces équipes ont effectué des prélèvements dans les organes affectés par la maladie (tissus salivaires et oculaires) et ont comparé ces prélèvements à ceux effectués chez des sujets sains, grâce à la technique innovante et puissante des puces à ADN qui permet l'étude simultanée de plusieurs milliers de gènes. Les résultats ont montré, chez les malades, une surexpression de nombreux gènes dont il est établi que l'expression est liée à la présence d'interférons, protéines de défense contre les infections virales.»On ajoute que les auteurs ont ensuite recherché la présence de cellules dont le rôle est de sécréter l'interféron après une infection virale ou bactérienne : les cellules dendritiques plasmacytoïdes. Si ces cellules permettant une défense rapide contre les infections sont bien présentes dans les tissus salivaires de tous les malades étudiés, elles n'ont jamais été trouvées chez les sujets sains.Dans ce modèle de maladie auto-immune, le rôle de l'interféron, qui avait été mis récemment en évidence dans le lupus érythémateux disséminé, vient donc d'être démontré. Les chercheurs proposent un scénario expliquant le déclenchement puis la persistance des maladies auto-immunes : rôle initial d'un facteur environnemental, probablement d'une infection virale, conduisant à la sécrétion des interférons. Chez des individus ayant certains facteurs de risque génétiques, cette sécrétion d'interférons active le système immunitaire qui provoque et entretient l'agression des organes cibles.«Ces découvertes, précise-t-on auprès de l'Inserm, offrent de nouveaux espoirs pour le traitement des maladies auto-immunes avec la perspective de nouveaux médicaments bloquant l'action des interférons, actuellement en cours d'essai clinique.» On ajoute aussi que le fait de «bloquer» l'action de l'interféron peut entraîner des effets indésirables infectieux, voire perturber certaines défenses anticancéreuses. Faudrait-il, dès lors, choisir entre pathologie auto-immune et cancer ? L'avenir pour le traitement des maladies auto-immunes dépendant de l'interféron réside peut-être dans l'utilisation d'inhibiteurs non de l'interféron lui-même mais des molécules induites par l'interféron, l'un des meilleurs candidats étant la cytokine BAFF (B-cell Activating Factor of the TNF Family) ou BlyS (B Lymphocyte Stimulator) qui est produite en excès dans de nombreuses maladies auto-immunes. La question demeure ouverte.Références Gottenberg J-E, Cagnard N, Lucchesi C, et al. Activation of IFN pathways and plasmacytoid dendritic cell recruitment in target organs of primary Sjögren's syndrome. Proc Natl Acad Sci U.S.A. 2006;103:2770. http://www.pnas.org/cgi/content/full/103/8/2770