L'adhésion thérapeutique est un facteur dynamique important à promouvoir chez la personne âgée et polymédiquée. Les déterminants de la non-adhésion sont vastes et leur identification est indispensable pour une prise en charge appropriée. Le patient doit être associé aux décisions thérapeutiques. Ses perspectives de vie et ses représentations de la maladie et du traitement doivent être évaluées. La question de la prise médicamenteuse doit être abordée en amont de tout problème par des questions ouvertes et informatives. Les barrières d'ordre fonctionnel et organisationnel doivent être évaluées tout au long du traitement. Dans le cadre d'un soutien de l'adhésion, une approche pluridisciplinaire est souhaitable afin d'associer les compétences complémentaires de chaque professionnel de la santé (médecin, pharmacien, infirmière, etc.).
Les professionnels de la santé soignent de plus en plus de patients ambulatoires âgés, voire très âgés (L 80 ans). Cette tranche d'âge se caractérise par une grande hétérogénéité en termes de santé physique et mentale. D'autre part, leurs traitements sont complexes étant donné leur polypathologie fréquente, ce qui les rend cliniquement très vulnérables.
L'adhésion thérapeutique est un paramètre important à promouvoir chez la personne âgée. Elle s'avère souvent régulière chez les personnes retraitées, autonomes, qui ont développé une alliance thérapeutique avec leur médecin et dont le traitement est bien introduit dans leur routine. Elle s'avère beaucoup plus problématique chez les personnes très âgées et polymédiquées souffrant de problèmes cognitifs, fonctionnels, psychologiques ou d'isolement social.
Selon la littérature, la fréquence de la non-adhésion chez la personne âgée souffrant de pathologies cliniques sévères, notamment cardiovasculaires, concerne 40 à 60% de la population analysée.1,2 La non-adhésion peut résulter en une simple inefficacité thérapeutique ou peut mettre la vie du patient en danger. Mais elle engendre aussi une péjoration de la qualité de vie du patient âgé du fait de la non-atteinte des objectifs thérapeutiques générant des consultations et des investigations supplémentaires ainsi qu'une intensification évitable du traitement avec escalade du risque iatrogène.3-5 D'autre part, la non-adhésion thérapeutique engendre des coûts importants notamment en termes d'hospitalisations récurrentes et d'institutionnalisation. Une étude en Allemagne a montré que 23,5% des hospitalisations pour décompensation d'une insuffisance cardiaque chronique sont liés à un problème d'adhésion.6
Les déterminants de la non-adhésion sont vastes chez la personne âgée 2 (tableau 1). La non-adhésion est souvent involontaire, mais parfois aussi intentionnelle. Certains patients ne perçoivent pas le besoin du traitement sans pour autant en parler à leur médecin. L'identification de l'étiologie de la non-adhésion est indissociable d'une prise en charge ultérieure appropriée. Si elle est involontaire, la résolution des barrières pratiques peut résoudre la problématique (tableau 2). Si elle est intentionnelle, une bonne perception de la problématique du patient est nécessaire à la redéfinition commune d'un plan thérapeutique auquel le patient pourra adhérer.
Le patient décide de prendre ou non son traitement. Il est donc essentiel de l'associer aux décisions thérapeutiques et de lui communiquer suffisamment d'informations.7 Le niveau d'information souhaité est variable d'un patient âgé à l'autre et il est du ressort du professionnel d'évaluer les besoins individuels. D'autre part, les représentations que se fait le patient âgé de son état de santé, de sa maladie et, par conséquent de son traitement, peuvent être très différentes de celles des professionnels de soins. Parfois occultées, les perceptions du patient âgé ne sont alors pas considérées dans la prise en charge proposée par les professionnels de santé qui risque par conséquent d'échouer. Les représentations de la maladie du patient sont façonnées par la maladie elle-même (par les croyances des patients au sujet de son origine, son décours temporel, ses manifestations cliniques, ses conséquences au quotidien), son parcours de vie, par l'histoire de ses proches, mais aussi par toutes autres sources d'information. Quant au traitement médicamenteux proposé, le patient y adhère si sa perception de la nécessité du traitement outrepasse son expérience des effets secondaires à court et long termes. Ceci est d'autant plus vrai que les patients âgés sont très à risque d'effets indésirables dus à la polymédication et aux modifications physiologiques liées à l'âge. Le patient interprète d'une façon cognitive et émotionnelle les informations reçues par les professionnels et y intègre sa propre expérience des symptômes et effets indésirables pour ensuite décider s'il prendra ou continuera à prendre le traitement prescrit dans sa totalité.8,9 Le souci des patients âgés concernant les effets secondaires médicamenteux à long terme est réel. Ils craignent un phénomène de dépendance et de diminution d'efficacité avec le temps notamment au sujet des médicaments cardiovasculaires. Ne sont pas rares les patients qui ainsi décident d'interrompre leur traitement momentanément afin de «purger» leur corps. Le patient a des attentes spécifiques vis-à-vis du traitement, de sa durée et de son but ; si elles ne sont pas satisfaites, le risque de non-adhésion est important. Accepter sans jugement les croyances des patients au sujet des traitements proposés permet au professionnel d'aider le patient à prendre une décision thérapeutique éclairée. En effet, les professionnels qui ont une meilleure compréhension des perspectives du patient sont mieux à même de communiquer correctement une information et de mettre en place un soutien adapté. Il est ainsi important d'encourager les patients âgés à poser des questions.10 En outre, le style de communication du professionnel est important (langage adapté et gestuelle d'ouverture).
Dès que le patient âgé est motivé à mener son traitement à bien, les barrières d'ordres fonctionnel et organisationnel doivent être considérées tout au long du traitement. En effet, l'adhésion n'est pas une caractéristique de personnalité stable, mais est un paramètre dynamique qui fluctue selon les circonstances de la vie.
Une étude qualitative en France a montré que le niveau de compréhension du traitement est diminué, voire très altéré, chez plus de la moitié des patients âgés en moyenne de 83 ans, que les formes liquides (sirop ou comprimés effervescents) ne sont pas forcément plus appréciées que les formes solides, que les désagréments majeurs du traitement sont liés au goût du médicament, à la difficulté d'ouvrir les emballages ou de déblistérer, à la taille des comprimés et au problème d'identification des comprimés.11 Une étude suédoise (n = 621 patients âgés de 77 ans et plus) a montré que 25% des patients de plus de 85 ans avaient de la peine à ouvrir la boîte de médicaments, 20% d'entre eux avaient de la peine à lire les instructions et plus de 25% des patients âgés de 77 ans et plus avaient de la peine à comprendre les instructions transmises.12 Une étude genevoise s'est intéressée aux ordonnances de sortie en hôpital gériatrique ; le traitement type d'un patient de 85 ans est de 8 comprimés à avaler par jour et 30% des patients doivent couper certains comprimés pour respecter les posologies !
Un prérequis au soutien de l'adhésion thérapeutique est l'adéquation du traitement aux besoins et possibilités du patient (tableau 3).13 Le soutien de l'adhésion doit répondre aux problèmes spécifiques du patient en s'intéressant aux différentes barrières qu'il rencontre. Dans le cadre d'une alliance thérapeutique, le traitement est prescrit lorsque le patient est prêt selon la notion de readiness to treatment.14 Il est dispensé tout en étant accompagné d'une information claire et suffisante garantissant sa bonne utilisation. Le patient doit être à même de pouvoir identifier chaque médicament (son emballage et sa forme galénique), de savoir quelle est son indication (pour dormir, pour la tension, pour le cur), de savoir exactement à quel moment de la journée le prendre, comment le prendre et que faire en cas d'oublis. Il est important que le patient âgé manipule les médicaments à la pharmacie lors de la première délivrance, puis épisodiquement, afin de s'assurer du bon maniement des dispositifs d'administration de médicaments et de la galénique proposés. Il peut être important d'impliquer un membre de la famille afin que la personne âgée soit acceptée par les siens avec sa maladie et son traitement et qu'un tiers puisse l'aider à la gestion du traitement à domicile si nécessaire. Les premiers mois de traitement sont particulièrement essentiels, car il s'agit d'une période test pour le patient. Il est alors recommandé de tirer profit de cette période afin d'évaluer les croyances du patient face à ce traitement et comment il intègre son traitement au quotidien. Il s'agit ensuite d'effectuer un suivi à long terme approprié et sensible aux modifications de capacités de gestion du traitement du patient âgé qui peuvent survenir rapidement. Une attention particulière doit être accordée aux situations à risque telles que les modifications de traitements/posologies qui peuvent déstabiliser un équilibre précaire, les changements de vie ou les sorties d'hôpital (cf. vignette clinique n° 1). Il est en effet très fréquent que les patients sortent d'une hospitalisation ou d'un séjour de réadaptation confus par une prescription modifiée (notamment en fonction des médicaments de la liste hospitalière). Il est alors nécessaire d'effectuer un bilan de traitement (par exemple, que tous les médicaments à domicile soient retournés chez le pharmacien au moment de la délivrance de l'ordonnance de sortie) et que les partenaires se concertent si nécessaire. Cette étape est particulièrement importante du fait que le médecin traitant ne reverra son patient que dans les jours qui suivent.
La question de la bonne prise médicamenteuse devrait être abordée à fréquence régulière et de façon informative. En effet, si le sujet n'est abordé qu'en cas de suspicion de non-adhésion, la discussion sera difficile et sera souvent vécue par les professionnels comme tabou. De son côté, le patient aura de la peine à parler de ses difficultés si le sujet est abordé exclusivement face à un problème ; il se sentira en effet fautif alors même que le professionnel partage la responsabilité de la situation. Ainsi, la question de la prise médicamenteuse doit être abordée dès le début de la prise en charge par quelques questions ouvertes et informatives et grâce à des techniques d'entretien motivationnel (tableau 4).
Le patient ambulatoire triangule entre différents professionnels de soins tels que le médecin de premier recours, le pharmacien, l'infirmière à domicile et les spécialistes. Chaque professionnel détient des informations pertinentes et synergiques à la compréhension du patient dans son contexte. Dans le cadre du soutien de l'adhésion thérapeutique, une approche pluridisciplinaire est indispensable afin d'associer les compétences diverses et complémentaires de chaque professionnel de la santé (par exemple, le pharmacien peut informer le médecin de l'historique médicamenteux précis du patient ; le pharmacien ou l'infirmière peut mettre en place un soutien spécifique de l'adhésion thérapeutique sur prescription médicale). Des collaborations de proximité sont ainsi extrêmement intéressantes pour le patient âgé et peuvent, dans certaines situations, différer une institutionnalisation indésirée (cf. vignette clinique n° 2). Le patient âgé bénéficie ainsi d'un projet de soins concerté, d'un plan de traitement personnalisé et d'un suivi attentif respectant ses désirs et objectifs de vie.15
Un homme de 78 ans présente une ordonnance de sortie d'hôpital à son pharmacien comprenant un traitement per os de prednisone pour une décompensation d'une BPCO. Les doses de prednisone sont dégressives sur 23 jours de 30 à 5 mg/j par paliers de 5 mg. Le pharmacien doit lui délivrer un dosage à 20 mg et à 5 mg de prednisone. Certains jours, le patient devra casser des comprimés de 20 et 5 mg en deux. De plus, les boîtes et les comprimés des deux dosages sont similaires. Il est d'emblée évident que le patient nécessite une explication approfondie du plan thérapeutique. Pour ce faire, un plan est imprimé sous forme d'un tableau explicatif des dosages jour après jour. Lorsque le tableau est discuté avec le patient, ce dernier sort une loupe de sa poche, mais la lecture et la compréhension restent difficiles malgré une taille d'écriture adéquate. D'autre part, le patient est malentendant et est très confus face à la prescription. Il est impossible de lui délivrer un semainier, car il ne peut pas se déplacer à la pharmacie chaque semaine pour le remplir. Une solution est trouvée et des sachets contenant chacun une dose journalière de prednisone sont délivrés ; sur chacun est inscrit en gros caractères le jour de la semaine et la date du jour. Le patient comprend alors le plan de traitement et manifeste clairement sa satisfaction. La prise en charge du patient a été adéquate, mais aurait pu être facilitée par une meilleure coordination entre le médecin prescripteur et le pharmacien.
Une patiente de 84 ans souffre de différentes pathologies cardiaques sévères, d'hypertension, de diabète de type II, d'hypercholestérolémie, d'une insuffisance rénale chronique modérée, d'un état dépressif modéré. Elle chute fréquemment à domicile où elle vit seule, souffre d'une dégradation cognitive avec des troubles mnésiques en augmentation. Ses capacités physiques sont amoindries (tremblements et cataracte). Elle souffre d'angoisse liée au fait que sa famille aimerait l'institutionnaliser. Depuis 2000, elle est hospitalisée fréquemment (2 fois/année) en raison de malaises cardiovasculaires. Son traitement est complexe et comprend plus de dix médicaments chroniques. De plus, les changements thérapeutiques sont fréquents, soit dix à vingt par année. Une prise en charge est organisée d'abord entre le médecin et le pharmacien, puis avec le recours d'une infirmière à domicile afin de maintenir l'autonomie de la patiente. Le médecin voit souvent la patiente en consultation et lui délivre un plan de traitement adapté à ses besoins lors de tout changement thérapeutique (figure 1). Le pharmacien monitore l'évolution des prescriptions en portant une attention particulière : 1) aux renouvellements réguliers de ses médicaments vitaux, 2) à une bonne manipulation des médicaments et 3) aux ordonnances de sortie d'hôpital qui comportent de nombreuses modifications thérapeutiques (par exemple, prescription de digoxine 0,125 mg/j chez cette patiente insuffisante rénale alors que sa prescription habituelle était de 0,125 mg 5 j/7). Alors que la patiente refusait auparavant systématiquement une infirmière à domicile, elle adhère à l'idée en 2005. L'infirmière peut ainsi préparer son semainier une fois et la peser 2 fois par semaine afin de monitorer une éventuelle rétention d'eau. Cette patiente, fragilisée par son état de santé délicat et par une situation familiale difficile, peut être maintenue à domicile grâce notamment à une bonne coordination des soins ambulatoires.