Poursuivons un instant notre propos sur la possible évolution de la position du Vatican quant à l'usage qui, selon lui, peut ou non être fait du préservatif masculin, ce voile de latex que l'Eglise catholique a depuis qu'il existe officiellement toujours mis à l'Index, épidémie de sida ou pas (Revue Médicale Suisse du 10 mai). Et, pour ce faire, retrouvons la trace de quelques événements et déclarations qui ne manquent pas, ici, d'aider à prendre la mesure de ce que pourrait être une telle évolution. Qui dira, ici, la richesse et la puissance de la mémoire informatisée des mémoires des minutes journalistiques ?C'était il y a précisément dix-huit ans. En mai 1988, on savait tout ou presque des voies de transmission de l'infection par ce nouveau virus (responsable d'une pathologie encore alors désignée par la presse francophone comme étant le «SIDA»). A cette époque, les autorités catholiques condamnaient, sans nuance aucune, le possible recours aux préservatifs à des fins préventives. «A Johannesburg, la conférence épiscopale sud-africaine a estimé, le lundi 9 mai, que la campagne gouvernementale qui a déjà coûté 500 000 dollars en faveur de l'utilisation des préservatifs était aussi «odieuse» que la maladie elle-même. La conférence épiscopale sud-africaine déclare «tout autant odieux le fléau du SIDA, qui détruit tant de vies humaines, que la réponse du gouvernement sud-africain qui prend des dispositions pour ce qu'on appelle le sexe sans risque, de manière indiscriminée, avec l'utilisation du préservatif», écrivions-nous alors dans les colonnes du Monde. Aux Etats-Unis, les évêques catholiques appellent les adolescents à ne pas utiliser les contraceptifs masculins et à attendre le mariage pour avoir une activité sexuelle. Critiquant la distribution de contraceptifs aux adolescents, les évêques américains ont expliqué qu'elle «présume que les jeunes se livreront à des activités sexuelles et ne peuvent atteindre le contrôle de soi qui leur donnera une saine croissance physique et spirituelle». «Nous savons, ont-ils conclu, que de meilleures solutions existent.» Attendre le mariage pour avoir une activité sexuelle ? Il y aurait un certain sel à proposer cette interrogation comme sujet de réflexion philosophique aux futurs bacheliers.Mais restons en 1988. Quelques mois plus tard nous osions, avec notre confrère Henri Tincq, déjà spécialiste des questions religieuses au Monde, mettre à la question Mgr Jullien, archevêque de Rennes, sur la première campagne de publicité sur les préservatifs masculins pour enrayer l'extension de l'épidémie de sida, décidée par Claude Evin, alors ministre français de la Santé. Dix-huit ans plus tard, écoutons Mgr Jullien : «A la question dramatique : sida ? On répond aussitôt préservatif ! On comprend que des responsables y cèdent. Quand il y a un incendie, on pare au plus pressé, on fait la part du feu. Mais on s'attaque aux conséquences du fléau, pas à ses causes. Pire, on joue aux pompiers-pyromanes, car en proposant comme seule parade au sida le préservatif, on lui fait une large publicité et, ce faisant, on incite à la multiplication des rapports sexuels hors mariage. A long terme, n'est-on pas en train de répandre à la fois la crainte de la contamination et les risques de contagion ? Pour rester dans la métaphore, en essayant d'éteindre l'incendie, on multiplie les appels d'air. (
) A force de présenter comme normale des relations sexuelles préconjugales, on va en favoriser la fréquence et la précocité, et donc multiplier les risques. (
) Dites-moi où et quand, dans ce pays, on pose les questions de fond ? Celle de la violence et du sexe à la télévision, par exemple ? Celle de la sexualité déconnectée de l'amour ? De l'amour déconnecté du mariage ? Du mariage déconnecté de la famille ? Des ferments de désintégration menacent aujourd'hui la personne elle-même et au-delà toute la communauté humaine.» Ainsi donc d'autres sujets de réflexion philosophique émergent. La sexualité peut-elle sans risque être déconnectée de l'amour ? Peut-on sans risque considérer comme normales des relations sexuelles préconjugales ?En 1988, interrogé sur l'intérêt, sur ce thème, du possible usage du recours au sulfureux concept du «moindre mal» Mgr Jullien répondait : «Le moindre mal reste un mal, avec le risque de le justifier à la longue. Je viens de dire que la diffusion massive de préservatifs masculins risque de renforcer le péril majeur. Ne comptez pas sur moi pour approuver nos pratiques sociales d'aujourd'hui. On ne peut pas distribuer des préservatifs à la sortie du lycée et en même temps prétendre aider les jeunes à redécouvrir une conception de l'amour et de la relation charnelle fondée sur la liberté vraie. (
) En chaire ou dans les médias, je dois dire tout ce que je viens de dire. Au confessionnal, je dois rappeler la loi morale, mais je ne puis m'en contenter. Cet homme séropositif utilise des préservatifs avec son épouse depuis qu'il sait le risque d'engendrer, dans tous les sens du mot, des drames en série ; que faire ? Si c'est, pour lui, un premier pas vers une attitude responsable, je dois en prendre acte ; mais je dois l'aider à aller progressivement jusqu'au bout de sa véritable responsabilité.» Les chaires et les confessionnaux sont désertés, les médias omniprésents. Quant aux préservatifs dans les lycées
(A suivre)