Les coûts de la santé inquiètent de plus en plus. Ils grimpent en flèche. Nous assistons ces dernières années à un phénomène d'explosion et, jusqu'ici, il faut bien reconnaître que la plupart des mesures visant à en limiter l'ampleur ont échoué.Cependant, si on se tourne vers le passé, il est aisé de s'apercevoir que la dérive ne date pas d'hier même si la tendance était dissimulée par le jeu des subventions cachées. A l'époque en effet, il semblait plus facile de puiser discrètement dans d'autres budgets pour atténuer les déficits des caisses-maladie. Bref, nos politiques finançaient allègrement par l'impôt, les spécialistes de la question s'accordent communément pour affirmer que l'envolée se faisait sentir à la fin des années 60 déjà.Ces dernières décennies, régulièrement, le poids moyen des coûts de la santé a ainsi passé d'environ 4% du PIB dans les années 70, à 8% en moyenne dans les pays de l'OCDE. Cette évolution est d'ailleurs tout à fait comparable aux Etats-Unis, ce qui tend à prouver que les évolutions des dépenses en santé des pays occidentaux sont indépendantes des régulations politiques. Ce dernier point démontre combien le secteur de la santé échappe aux règles économiques habituelles qui affirment que la consommation se ralentit avec la saturation du marché. Contrairement aux ventes des grille-pain ou des micro-ondes qui connaissent toutes les deux un effet plafond une fois que les ménages sont équipés, la demande en santé, elle, constitue une valeur supérieure qui ne connaît pas de fléchissement.Deux spécialistes américains ont modélisé mathématiquement les données actuelles (Robert Hall and Charles Jones, The Value of Life and the Rise in Health Spending. National Bureau of Economic Research, Working Papers 10737, 2004). Calculs à l'appui, ils parviennent au douloureux constat que les coûts de la santé dépasseront probablement les 30% du PIB des Etats-Unis d'ici à 2050. Transposé aux réalités d'un porte-monnaie helvétique, ce que nous investirons à cette date dans la santé devrait donc être bien supérieur à la somme de ce que dépense aujourd'hui une famille pour son logement (environ 20% du revenu) et pour les loisirs, l'éducation et la culture (10%).Evidemment, ce scénario est théorique. Les auteurs sont toutefois des gens sérieux et réputés. Ils ont de plus cherché à parfaire leur modèle en y intégrant nombre de paramètres pertinents tels que l'allongement de la durée de la vie, des indices relatifs à la croissance économique et à l'évolution de la productivité, mais aussi les bénéfices de divers progrès technologiques et les effets attendus des mesures de prévention primaire.Ces chiffres vous donnent le tournis ? Ils ne sont pourtant que la projection de ce que nous vivons déjà quotidiennement dans nos hôpitaux/cabinets de consultation : plus le bien-être matériel de la société s'améliore, plus les patients sont désireux de consommer pour vivre mieux et pour survivre le plus longtemps possible. Ces prochaines années, c'est sûr que la santé deviendra progressivement le premier secteur de consommation des ménages.En clair, nous observons que l'envers du décor montre que toute mesure politique dans le domaine de la santé risque bien de devenir de plus en plus vaine sur le plan économique si nos responsables ne changent pas radicalement de stratégie. Qu'on arrête donc de flatter les citoyens avec des promesses qui ne visent qu'à faire baisser momentanément la tension du corps électoral. Après le bon vieux «demain on soigne gratis» (années 60), exigeons de nos politiques qu'ils renoncent à la mode du «rationalisons sans rationner».Mais l'enfer du décor, c'est encore autre chose. C'est réaliser que les événements de la politique sanitaire en Suisse suivent tous immanquablement le même schéma : 1) des assurés se plaignent de leur sort à un ministre de la Santé qui est satisfait du sien ; 2) le ministre et les assureurs (les seconds sont parfois les conseillers privilégiés du premier) expliquent qu'ils n'ont plus assez de grain à moudre et que c'est vers les administrateurs hospitaliers et vers les soignants qu'il faut se tourner ; 3) efficacement soutenus par les médias, les citoyens se rebiffent contre les professionnels de la santé qui sont accusés de faire des super-profits ; 4) de brutales restrictions sont décidées pour montrer au peuple qu'il est entendu ; 5) les soignants appellent à des formes variées de résistance : de la manifestation à la menace de grève, ou à la grève elle-même ; 6) la plupart des organes officiels appellent à la raison et des médiateurs sont désignés ; 7) la démonstration de force se produit quand même pour le plus grand bénéfice des compagnies de transports inter-régionaux mais au grand dam de ceux qui tombent malades ce jour-là ; 8) les défilés mobilisent plusieurs milliers de personnes selon les contestataires qui additionnent les manifestants, leurs familles et les badauds. Les autorités, elles, affirment n'avoir recensé que 150 individus puisqu'elles ne comptent que les policiers, les membres du comité organisateur et d'éventuels casseurs ; 9) le jour-même, le ministre tient des propos rassurants et d'influents politiciens déclarent réaliser pleinement les menaces qui pèsent sur le système de santé ; 10) les protestataires, eux, restent prudents. Mais comme ils ne peuvent pas s'opposer à la reprise du travail et à l'ouverture d'éventuelles négociations, ils font savoir qu'ils se réservent la possibilité de recourir à nouveau à des mesures exceptionnelles en cas de besoin ; 11) dans les mois qui suivent, la majorité des assurés ne voit aucune différence puisqu'elle n'aspire qu'à consommer davantage et que personne n'a osé dire qu'il faudra dorénavant réduire d'autres dépenses car les coûts de la santé, eux, poursuivent leur inexorable ascension
A suivre. Au moins si vous le pouvez.