Le diagnostic du statut en magnésium est difficile, faute de test économique, fiable et adapté à la pratique. Le magnésium sérique ne signale que des déficiences franches rares chez le sportif. Le magnésium érythrocytaire peut révéler une déficience subclinique, mais dont la signification réelle est très controversée. Le test de charge en magnésium constitue la référence, mais est trop lourd pour le cabinet.
Une alimentation équilibrée en quantité suffisante couvre les besoins des sportifs de tous niveaux. En cas de magnésiémie normale, les suppléments n'améliorent pas significativement les performances.
L'intérêt du magnésium dans le traitement des crampes musculaires à l'effort est exagéré. D'autres troubles électrolytiques liés à la déshydratation ou à l'hyperhydratation et l'insuffisance veineuse jouent certainement un rôle plus important.
Les recommandations en matière de santé et de prévention des maladies cardiovasculaires reposent aujourd'hui essentiellement sur la promotion d'une alimentation saine et d'une activité physique régulière. L'association d'une alimentation appropriée et de l'entraînement physique produit des effets synergiques tant dans l'optique de la santé que dans celle des performances physiques. Les acquisitions scientifiques de ces dernières décennies ont permis une meilleure compréhension des mécanismes physiologiques de la performance et en particulier du rôle des différents macro- et micronutriments dans les processus de fourniture d'énergie et de régulation du métabolisme, ainsi que dans la contraction musculaire. Les connaissances actuelles dans ce domaine sont cependant encore très incomplètes et très partielles et les recommandations contradictoires dans le domaine de l'alimentation sportive et plus particulièrement des suppléments alimentaires ne manquent pas.
Le magnésium ne fait pas exception à cette règle, bien qu'il joue un rôle pratiquement ubiquitaire dans de très nombreux processus métaboliques, notamment ceux liés à la production d'énergie et à la contraction musculaire. De plus, ses prétendues vertus curatives (crampes et lésions musculaires) l'ont plus ou moins imposé dans la panoplie de nombreux sportifs de tous niveaux. Cet article a pour objectif de faire le point sur l'état des connaissances actuelles à propos de la place à attribuer au magnésium dans l'alimentation et de l'utilité de la prise de suppléments dans le cadre de la pratique sportive.
Après le potassium, le magnésium est quantitativement l'électrolyte le plus important dans l'organisme. Il est un cofacteur essentiel dans de très nombreux processus métaboliques et intervient dans plus de 300 réactions enzymatiques. Le magnésium diminue la perméabilité membranaire par la formation de complexes avec les phospholipides et joue donc un rôle de stabilisateur de la membrane cellulaire. Il favorise l'activité de la pompe Na+/K+ et donc le transport du potassium dans la cellule. Le magnésium fonctionne également comme un bloqueur physiologique des canaux calciques.
Au niveau du système neuromusculaire, le magnésium exerce des effets atténuateurs. Il diminue l'excitabilité des neurones et ralentit la vitesse de conduction des impulsions électriques. En cas de concentrations plasmatiques faibles, il abaisse le seuil d'excitabilité axonal et augmente la vitesse de conduction, une situation pouvant se manifester par des crampes musculaires. Une déficience en magnésium peut aussi provoquer un découplage de la respiration cellulaire et diminuer le rendement du métabolisme énergétique. L'entrée du glucose dans les cellules dépend entre autres du magnésium, ce qui est important pour les sportifs, car une meilleure captation cellulaire de glucose favorise la glycolyse.
Le tableau 1 présente les dernières recommandations US pour les apports journaliers (RDA = recommended dietary allowance, RDI = recommended daily intake) de magnésium.
Certains auteurs privilégient des apports en fonction du poids, soit 6 mg/kg par jour en cas d'activité physique très intense.1 On rappellera que les RDA incluent d'une manière générale une «marge de sécurité» importante, de l'ordre du double de la déviation standard pour tenir compte des situations de besoins accrus.
La consommation journalière moyenne de magnésium dans la population tend à diminuer depuis le début du siècle dernier en raison de la teneur moindre en magnésium des aliments préparés industriellement. Divers travaux 2 ont montré que la consommation journalière moyenne de magnésium des adultes aux Etats-Unis ne représente qu'environ 75% de la RDA et que 75% de la population serait à risque pour une déficience en magnésium, soit marginale, soit franche (figure 1).
Les enquêtes alimentaires réalisées chez des sportifs à la recherche de carences ont donné des résultats variables (tableau 2).
D'une manière générale, les apports en magnésium sont proportionnels aux apports d'énergie. Autrement dit, pour autant que les sportifs aient une alimentation équilibrée et en quantité suffisante, une déficience en Mg est peu probable. Ce sont essentiellement les groupes de population ayant tendance à limiter leurs apports caloriques, soit en rapport avec le type d'activité sportive (par exemple gymnastique, course d'endurance longue), soit parce qu'ils suivent une diète pauvre en calories, qui sont les plus expo-sés et qu'il convient par conséquent de surveiller. La même remarque s'applique d'ailleurs à la plupart des autres nutriments essentiels, notamment le fer.
Les valeurs normales des concentrations de magnésium sont de l'ordre de 0,75-1,25 mmol/l dans le plasma ou le sérum et de 1,95-2,65 mmol/l dans les érythrocytes. Les concentrations plasmatiques de magnésium ionisé se situent entre 0,45 et 0,75 mmol/l et l'excrétion urinaire normale du magnésium varie de 2,5 à 5 mmol par jour. Le pool sérique de magnésium (extracellulaire) ne rend cependant compte que d'un pour cent des réserves totales de l'organisme et ne reflète donc que très partiellement les fluctuations de ces dernières. On rappellera qu'un magnésium sérique normal n'exclut pas un déficit marginal et qu'il n'est pas corrélé au magnésium érythrocytaire, si ce n'est en cas de déficience franche (figure 1). Il faut plusieurs valeurs de magnésium sérique inférieures à la norme pour conclure à une déficience. Une hypermagnésiémie reflète un statut en magnésium normal ou une surcharge. L'exercice physique influence lui-même les valeurs intra- et extracellulaires en provoquant un déplacement du magnésium du milieu extracellulaire vers le milieu intracellulaire. Cette redistribution est globalement proportionnelle à l'intensité et à la durée de l'activité physique,4 ce qui complique naturellement encore un peu plus l'appréciation des résultats de laboratoire.
La meilleure méthode pour évaluer le statut global en magnésium est aujourd'hui le test de charge en magnésium (magnesium loading test),5 qui consiste à perfuser une solution saline isotonique de sulfate de magnésium par voie intraveineuse sur 4 à 12 heures selon les auteurs (30 mmol ou 0,1 mmol par kg), puis à mesurer le magnésium excrété au cours des 24 à 48 heures suivant le début de la perfusion. Les sujets au statut en magnésium normal retiennent normalement 5-6% de la charge, tandis que les patients avec déficience peuvent en retenir jusqu'à 31-57%. Il va cependant sans dire que ce type de test invasif est trop lourd et trop onéreux pour convenir au dépistage de routine d'une déficience en magnésium. La figure 1 présente la classification de la déficience en magnésium basée sur le test de charge en magnésium décrit ci-dessus.
Selon certains auteurs, la prévalence dans la population sportive de l'hypomagnésiémie (c'est-à-dire une déficience franche) se situerait entre 20 et 25%,7 mais leurs travaux sont souvent mal documentés (critères utilisés, absence de tests répétés et de tests de charge) et ces chiffres sont par conséquent largement contestés. Ils ne correspondent en tous les cas pas à notre pratique clinique. La prévalence de la déficience marginale pourrait être plus importante, mais n'a pas fait l'objet d'études conclusives. Les pertes sudorales et urinaires de magnésium durant l'effort augmentent, mais dans une proportion trop faible pour affecter le statut global en magnésium de l'organisme.8
La teneur en magnésium de quelques aliments et eaux minérales courantes est présentée dans le tableau 3.
Au repos, seul un tiers de la quantité de magnésium ingérée est résorbé dans l'intestin. Une alimentation riche en hydrates de carbone, tel que normalement privilégiée par les athlètes d'endurance, et le régime végétarien améliorent le statut en magnésium. Un marathonien consommant 3500 kcal par jour, dont deux tiers d'hydrates de carbone, absorbe ainsi largement plus que les apports de magnésium recommandés. Un régime riche en graisse diminue en revanche la résorption intestinale de magnésium. Il existe d'autre part des interactions entre les différents sels minéraux et oligo-éléments en ce qui concerne leur résorption. Le calcium diminue la biodisponibilité du magnésium et du fer et le magnésium inhibe lui-même la résorption du calcium et du fer. En d'autres termes, un régime riche en produits laitiers, hyperprotidique, hyperlipidique et pauvre en hydrates de carbone tend à abaisser le statut en magnésium. A l'inverse, un régime riche en magnésium est susceptible d'accentuer un déficit en calcium.
Les nombreuses inconsistances dans les protocoles expérimentaux, le contrôle de la diète, ainsi que l'intensité et la durée de l'exercice ou de l'entraînement ne permettent pas de tirer des conclusions définitives quant à un éventuel effet ergogénique du magnésium sur la performance d'endurance. Brilla et coll.9 ont trouvé qu'une supplémentation prolonge la durée de l'effort jusqu'à épuisement, mais en général l'apport de suppléments de magnésium n'a produit aucun effet ergogénique en l'absence de déficience franche, même si certains paramètres isolés (augmentation du Mg plasmatique, diminution de la fréquence cardiaque durant l'exercice versus groupe contrôle) ont parfois été influencés.
Peu d'études ont été réalisées dans ce type d'effort. L'administration de suppléments de Mg à des patients carencés augmente la force, mais il n'y a pas d'arguments parlant en faveur de l'action ergogénique d'une supplémentation dans le cadre d'un statut normal.
Une déficience franche en magnésium peut certes se manifester par des crampes musculaires, mais on n'a pu mettre en évidence aucune relation entre la magnésiémie et l'incidence des crampes musculaires.10 Il existe certainement de nombreux autres facteurs intervenant dans l'étiologie des crampes. Les troubles électrolytiques d'autre nature, liés à la déshydratation, voire à l'hyperhydratation (hyponatrémie), et les troubles circulatoires veineux sont probablement bien plus fréquemment à l'origine du problème.
Quelques études contrôlées par placebo datant des années 80 et du début des années 90 avaient trouvé qu'une supplémentation de 250 à 360 mg/j d'aspartate, d'oxalate ou de picolinate de magnésium durant trois à quatre semaines pouvait provoquer une diminution de la lactatémie et de la consommation d'oxygène pendant l'effort,11 ainsi que de la force. Elles souffraient cependant de l'absence de critères fiables du statut en magnésium des sujets et les études plus récentes12 n'ont dans l'ensemble pas pu confirmer ces résultats.
Devant une symptomatologie de crampes à l'effort, l'administration empirique de suppléments de Mg (200-300 mg/j) donne des résultats très aléatoires dans la pratique clinique. Si l'on observe parfois une amélioration initiale, elle s'avère souvent passagère, que la supplémentation soit poursuivie ou non.
En l'état actuel des connaissances, on peut donc en déduire que les suppléments en magnésium n'ont pas d'effets significatifs sur la performance de sujets sans signes de déficience franche en Mg et que leur action thérapeutique dans les crampes musculaires liées à l'effort physique est probablement dans de nombreux cas plutôt du domaine de l'effet placebo.
Une déficience franche en Mg est très rare chez les sportifs, quel que soit leur niveau d'entraînement. Le diagnostic d'une déficience marginale en Mg reste délicat et nécessite le recours à des tests peu accessibles en pratique clinique. De plus, la signification en termes de capacité de performance d'une telle déficience marginale est très controversée. Quant au rôle de la carence en Mg dans les cas de crampes musculaires à l'effort auxquels nous sommes confrontés au cabinet, il semble largement surfait. Nous ferions bien d'en rechercher plutôt l'origine dans un état d'entraînement peut-être inadéquat, de mauvaises habitudes en matière de boissons durant l'exercice ou d'une insuffisance veineuse sous-jacente.
Une alimentation équilibrée et en quantités adéquates permet de couvrir les besoins de la très grande majorité de la population sportive, indépendamment de son niveau. La prise de suppléments isolés ne tient aucunement compte des interactions avec d'autres nutriments et expose donc à des déséquilibres dont on ignore encore souvent la nature exacte.