Poursuivons notre propos quant au foisonnement des récentes révélations concernant la pratique du dopage dans différents milieux sportifs (Revue Médicale Suisse du 23 août 2006). Sans doute lasserait-on à dresser ici la liste des têtes un jour couronnées dans les stades qui, durant l'été 2006, ont vu leurs médailles ternir. Une toute relative volonté politique de «faire le ménage» associée à une biologie appliquée au sang et non plus aux seules urines expliquent cette longue série de révélations comme, sans doute, celles qui suivront. On mesure encore mal l'impact de tout cela sur la perception du spectacle sportif par le plus grand nombre. La ferveur populaire que suscite le Tour de France sera-t-elle encore au rendez-vous de 2007 alors que le vainqueur 2006 vient d'être convaincu de s'être dopé à la testostérone ? Comment ne pas voir demain dans un record d'athlétisme battu le fruit d'une alchimie médicamenteuse suffisamment sophistiquée pour ne pas avoir pu être décelée par les bataillons en blouse blanche de la répression des fraudes sportives ?Beaucoup a été dit et écrit dans le sillage des révélations de telles pratiques. On évoque en général la nécessité de respecter une «éthique» du sport, sinon sa «noblesse». On se plaît à évoquer les temps jadis, un âge d'or où l'important était de participer tout en cherchant à sauter plus haut, à courir plus vite, à lancer plus loin. On applaudit à juste titre les athlètes qui, la main sur le cur, jurent qu'ils n'ont pas recours aux artifices moléculaires sur lesquels leurs concurrents ne crachent pas. Mais on se refuse généralement à une critique radicale de ce spectacle dont on commence à humer le sale parfum des coulisses. Evoquant le Tour de France 2006 (où ce qui aurait été hier un pur scandale et qui n'est aujourd'hui qu'un fait divers parmi tant d'autres) les responsables d'une chaîne de télévision allemande ont déclaré hésiter à reconduire leur contrat pour 2007 expliquant en substance qu'ils pensaient filmer une épreuve sportive et non un barnum sponsorisé par les multinationales pharmaceutiques. Deux conceptions, schématiquement, s'opposent qui renvoient à deux conceptions du monde. La première fait valoir que tricher est condamnable et que les tricheurs doivent être punis. La seconde soutient que seul le spectacle compte, que le dopage fait partie intégrante de la représentation et que ce sont les acteurs eux-mêmes qui (comme nombre de leurs collègues évoluant dans le monde de la musique, de la chanson et du cinéma) souhaitent avoir accès à des substances interdites. Mais on comprend bien vite que brosser ainsi le tableau contemporain ne traduit pas la complexité de la situation. Si tricher est condamnable encore faut-il s'entendre sur la tricherie. Quelle différence entre la prise d'érythropoïétine et les modifications de l'hématocrite induites par un séjour en altitude ? Jusqu'où respecter les inégalités individuelles ? Comment ne pas compenser les dégâts en tout genre causés par une pratique sportive intensive pour ne pas écrire inhumaine ? Quiconque prend modestement de la peine et du plaisir à la pratique régulière de la bicyclette ne peut sans frémir prendre connaissance des moyennes kilométriques des cyclistes professionnels.Nous faut-il faire une croix sur la quête collective de l'esprit sain dans un corps sain ? Et de quels corps parlons-nous ? Comme pour mieux nourrir nos angoisses cette dépêche, datée du 27 août, en provenance du bureau londonien de l'Agence France-Presse : «Des joueurs du Championnat d'Angleterre de football ont prélevé des cellules souches de leurs bébés nouveau-nés afin de pouvoir éventuellement les utiliser plus tard pour soigner leurs propres blessures, révèle le Sunday Times. Cinq joueurs professionnels auraient congelé des cellules provenant du cordon ombilical, utilisables pour traiter des problèmes de cartilage ou de ligaments. Le Français Thierry Henry aurait stocké des cellules souches mais uniquement destinées, en cas de besoin, à son enfant, selon le journal dominical. "Nous avons décidé de conserver des cellules souches de notre nouveau-né pour des raisons thérapeutiques, à la fois pour nos enfants et pour moi-même" indique, dans le Sunday Times, un joueur ayant requis l'anonymat. "Si vous êtes sujet aux blessures, cela peut signifier la fin de votre carrière. Avoir des cellules souches un kit de réparation si vous voulez sous la main, c'est sensé", poursuit le joueur. Les cellules souches ont été congelées à Liverpool chez CryoGenesis International, l'une des sept banques commerciales de ce type existant en Grande-Bretagne. "C'est une expérimentation, a expliqué Paul Griffiths, directeur de la banque. Les cellules souches sont injectées directement dans le genou et, parce qu' elles ont le même code génétique, elles aident à la reconstruction".»Pouvait-on imaginer, au pays du pragmatisme, plus belle affaire aux confins du dopage et de la biologie, du fantasme et du cauchemar ? Mais comment ne pas voir ici le prolongement logique des actions qui tendent à réifier le corps humain et, partant, à mettre à mal son indisponibilité ? On assiste depuis plusieurs années, au développement dans de nombreux pays industrialisés d'entreprises privées proposant aux futurs parents la conservation par congélation des cellules contenues dans le sang du cordon ombilical. Ces propositions deviennent de plus en plus fréquentes et de mieux en mieux entendues avec la montée en puissance du discours scientifique et médiatique vantant les futures vertus des cellules souches. L'argumentaire est simple : «Conservez pour une somme modique les cellules souches du cordon ombilical de votre futur bébé, elles pourront, avec les progrès de la science le moment venu, le guérir des maladies dégénératives dont il pourra être atteint.» Esprit de famille et de lucre aidant, ces cellules permettront, demain, de continuer à marquer des buts, à faire vibrer les foules, à enrichir les marchands de bière. (A suivre)