La presbyacousie est une cause fréquente de déficit auditif chez la personne âgée. Elle résulte de la dégénérescence des cellules neurosensorielles de la cochlée ou des fibres du nerf auditif. Elle implique une moins bonne perception des sons de faible intensité, un pincement de la plage dynamique de l'oreille, le seuil d'intensité douloureuse restant au niveau d'une oreille saine, et des troubles de discrimination. Les appareils acoustiques ne permettent donc pas de restituer toutes les informations acoustiques. De plus, la tendance à leur miniaturisation n'est pas toujours adéquate, et les personnes âgées rencontrent souvent d'énormes difficultés à les manipuler. Cet article rapporte certaines des difficultés que rencontrent les personnes âgées souffrant d'une presbyacousie, dont l'entourage, famille ou personnel soignant, est souvent peu conscient.
On estime qu'environ 50% des personnes de plus de 70 ans souffrent de presbyacousie, un déficit auditif lié à l'âge. Sur le plan fonctionnel, il s'agit d'une perte d'audition de perception, généralement prédominante dans les fréquences aiguës. Elle s'accompagne d'une diminution de la plage dynamique, c'est-à-dire la plage entre le seuil d'audibilité minimale et le seuil de douleur. En effet, bien que le seuil d'audibilité minimale s'élève, le seuil de douleur reste inchangé, voire s'abaisse (figure 1). De plus, elle implique un trouble de discrimination : à l'audiogramme vocal (le malade répète des mots de deux syllabes qui lui sont dits à des intensités croissantes), la compréhension n'est plus de 100%, même à forte intensité. Au contraire, la compréhension du langage diminue à de fortes intensités (figure 2). Sur le plan histopathologique, il s'agit d'une dégénérescence de structures de la cochlée, plus spécifiquement, dans la plupart des cas, des cellules ciliées neurosensorielles de l'organe de Corti ou des neurones du ganglion spiral, neurones de premier ordre de la voie auditive afférente.1 Pour rappel, les cellules ciliées internes codent les sons en signaux électriques, transmis au cerveau via le nerf auditif. Elles sont au nombre de 3000 seulement, réparties sur la membrane basilaire de l'oreille interne comme les touches sur un clavier de piano (figure 3). Les cellules codant les fréquences aiguës sont à la base de la cochlée, près de la fenêtre ronde, et celles codant les fréquences graves à l'apex. Lorsqu'une cellule manque, la fréquence qu'elle codait peut être codée par les cellules voisines, à plus forte intensité 2 (figure 4). Cela revient à taper plus fort sur les touches restantes d'un clavier d'un vieux piano abîmé : la mélodie n'est plus tout à fait comparable à l'originale !
Actuellement, aucun traitement ne permet la repousse des cellules neurosensorielles perdues. Seul le recours à un appareil acoustique permet de réhabiliter la presbyacousie, ou l'implant cochléaire dans les cas les plus avancés. Pour les raisons évoquées plus haut, il faut bien comprendre que l'appareil acoustique ne permet pas de restituer la sélectivité fréquentielle de l'oreille saine.
La prescription d'appareils acoustiques est le fait d'experts en audiologie, médecins ORL ayant suivi un certains nombres de cours de formation obligatoire, reconnus par l'Assurance invalidité. Elle se fait en deux étapes. Dans la première étape, l'expert en audiologie évalue le degré de surdité et les besoins spécifiques du patient. Il désigne le type d'appareillage dont l'adaptation est laissée aux soins d'un acousticien diplômé, reconnu des assurances sociales. Dans la deuxième étape, l'expert en audiologie vérifie que l'appareil acoustique préconisé par l'acousticien est adéquat et corresponde à la prescription qu'il avait émise. Malgré tous les efforts de chacun, bon nombre d'appareils acoustiques ne sont pas utilisés et «restent au fond du tiroir», particulièrement chez les personnes âgées.
Cet article rapporte les difficultés rencontrées par les patients à l'usage de leur appareil, sur un ton parfois anecdotique, pour traduire au mieux leur désarroi. Il est plus facile de parler des bienfaits d'un moyen de réhabilitation que de ses inconvénients mais ceux-ci méritent d'être bien compris du corps médical et paramédical. Certes, quelques patients récemment appareillés disent «vous savez docteur, j'ai réalisé qu'il y avait encore des oiseaux à Genève», mais il n'en va malheureusement pas toujours ainsi. La publicité est souvent mensongère : on voit facilement ce grand-père qui porte un magnifique appareil acoustique, fièrement mis en évidence, sensé lui permettre de comprendre ses petits-enfants qui parlent tous en même temps, alors que la réalité n'est pas toujours aussi béate. Les anecdotes rapportées ici sont celles de patients revus pour la deuxième étape de l'adaptation. Les patients portent l'appareil depuis deux ou trois mois environ.
Pour l'essentiel, elles tiennent à la miniaturisation des appareils et aux difficultés de maniement, à la complexité des programmes de fonctionnement, au gain décevant apporté par les appareils en ambiance bruyante, et à la durée d'utilisation.
Avant l'apparition d'appareils auditifs fonctionnant électriquement, il y avait le cornet acoustique. On l'a tous un peu essayé, en mettant sa main autour du pavillon : ça aide un peu, mais ce n'est pas très performant. Puis sont arrivés les appareils auditifs électriques, dont un des premiers modèles était de la maison Oticon, au début du XXe siècle. Ces premiers appareils étaient lourds, encombrants, peu performants, quasi sans réglage possible. L'autonomie était limitée par la faible technologie en matière de piles. Par la suite, les appareils se sont améliorés progressivement, avec des performances grandissantes mais avec, comme corollaire, une miniaturisation de tous les éléments. Or, cette miniaturisation poussée à l'extrême constitue souvent un handicap supplémentaire pour les personnes âgées. Elles éprouvent des difficultés à manier et à mettre en place leur appareil, surtout lorsqu'il s'agit d'un appareil intracanalaire. Pensez à la gymnastique que doit faire un patient droitier, avec une arthrose et des troubles de la sensibilité des doigts pour mettre l'appareil dans l'oreille gauche. Quand il arrive enfin à s'en saisir, il cherche à l'engager dans le conduit auditif, mais en lui faisant faire le mouvement inverse au sens du conduit, ... quand il ne cherche pas à mettre l'appareil de droite dans l'oreille gauche ! Certes, les firmes signalent à quelle oreille est destiné l'appareil par un petit point de couleur sur la coque, rouge pour l'oreille droite, bleu pour la gauche. Mais il faut croire que toutes les personnes âgées ont une excellente vision, tant le signalement est petit.
Evidemment, la technologie des piles a aussi abouti à leur miniaturisation. Les personnes âgées ont des difficultés à les manipuler, à les entrer dans le boîtier, dans le bon sens (!) sans forcer au risque de le casser. Certaines ont même de la peine à voir les batteries ! Et malgré leur grand âge, de nombreux vieillards vivent seuls, avec une ou deux visites hebdomadaires d'un parent, auquel on oublie de demander de changer la pile. Il n'est donc pas rare de revoir des malentendants porter une prothèse qui ne fonctionne pas en raison d'une pile défectueuse ou parfois carrément absente.
Les techniques numériques ont permis d'équiper les appareils de programmes différents pour l'écoute de la parole, de la musique, du son ambiant, etc. Les patients, souvent alléchés par les propositions de l'acousticien, demandent à ce que leur appareil soit muni de toute la technologie possible. Malheureusement, même si l'acousticien a pris beaucoup de temps à expliquer les différents programmes, l'expérience montre que la personne âgée n'en utilisera rapidement plus qu'un seul, ayant oublié le fonctionnement et l'utilisation des autres. De plus, le changement de programme se fait par un mini-interrupteur dont la manipulation n'est pas forcément facile ou par une télécommande (toujours plus difficile à trouver sur le marché actuel) dont il faut se souvenir du mode d'emploi, généralement «résumé» dans un fascicule de dix pages au moins, en petite écriture.
Les appareils acoustiques ne constituent pas des oreilles artificielles. Ils ne sont que des amplificateurs, certes sophistiqués, qui transmettent les sons à des cellules neurosensorielles déficientes. Ils ne restituent que mal les possibilités de discrimination d'une oreille saine. Ainsi, dans une discussion en tête-à-tête, le patient peut-il être satisfait alors même que tout se brouille lorsqu'il est en ambiance bruyante, par exemple au restaurant. Et il ne sert à rien d'augmenter l'amplification pour que les sons les plus faibles du langage soient perçus car les sons forts du langage deviendront trop forts, et ne seront plus supportés. Ceci est lié à ce phénomène de «recrutement», la réduction de la plage dynamique de l'oreille. Un malentendant perçoit donc les sons forts aussi fortement qu'un sujet sain, voire davantage.
La conversation, les échanges avec autrui, restent un plaisir pour les personnes âgées. L'apport des appareils acoustiques est si mal compris d'une partie des soignants qu'il en résulte parfois des situations paradoxales. Ainsi, une personne âgée, vivant dans un home, s'est récemment plainte d'avoir été appareillée. Avant d'être appareillée, elle n'avait, pendant les collations prises en commun, qu'une seule personne en face d'elle, avec qui elle pouvait converser sans trop de difficulté. Considérant que l'audition était redevenue normale avec l'appareil, on l'avait déplacée à une plus grande table, avec plusieurs personnes, avec lesquelles la conversation était devenue impossible ! Il ne faut donc pas oublier qu'un malentendant appareillé reste avant tout un malentendant.
L'adaptation d'un deuxième appareil aide quelque peu, sans résoudre complètement le problème. Par contre, les problèmes de «maintenance» de l'appareil sont multipliés par deux !
Nous avons récemment observé que le taux de satisfaction ne dépendait pas directement de la durée quotidienne d'utilisation des appareils acoustiques.3 Par contre, il semble raisonnable d'encourager les patients à porter leurs appareils, en leur disant qu'ils n'imaginent pas ce qu'ils n'entendent pas, dans l'espoir de garder leur éveil et d'éviter un risque de replis sur eux-mêmes. Ne pas porter sa prothèse peut impliquer de ne pas entendre la sonnette de la porte d'entrée, et de rater une visite importante, comme celle que pourrait faire le Petit Prince de Saint-Exupéry à un malentendant, dans une interprétation libre que l'on doit au Pr Alain Morgon :4 «Bonjour Monsieur le Malentendant», dit le Petit Prince. «Attends» dit Monsieur le Malentendant, «Assieds-toi devant moi dans la lumière du matin, celle de l'espoir, pour que je te regarde parler». «M'entends-tu mieux maintenant ?» dit le Petit Prince, «je visite les planètes, je voulais te dire bonjour». «Attends !» dit le Malentendant «tu parles trop vite et je vais régler mes aides auditives». «Je suis venu» dit le Petit Prince «demander de tes nouvelles, savoir si tu as besoin de quelque chose». «J'avais besoin seulement de ta visite» dit le Malentendant. «Alors, au revoir» dit le Petit Prince.
Un récent bilan fait dans le Service de gériatrie des Hôpitaux universitaires de Genève montre que des troubles auditifs représentent 40% des motifs de consultation chez l'ORL. Dix pour cent des patients se voient proposer un appareillage acoustique, que seul un tiers accepte. Après l'avoir reçu, 20% ne le portent plus après quelques semaines. De ceux qui le portent, un quart l'utilise toute la journée, les autres de temps en temps. Si 66% des patients peuvent mettre l'appareil en place sans aide, les autres faisant appel aux membres de la famille ou au personnel hospitalier, seuls 15% peuvent changer les piles eux-mêmes.
Le port d'un appareil acoustique est encore très mal perçu de la population, même par des plus âgés. Comme le confirme notre bilan en gériatrie, on estime que seuls 20% des patients qui pourraient bénéficier d'une aide auditive y ont recours.5 Dans notre culture, on considère que celui qui porte des lunettes est un intellectuel ; de plus, les lunettes sont une marque d'élégance. A l'inverse, on considère que celui qui porte un appareil acoustique est handicapé, physiquement et peut-être intellectuellement. Quant à l'objet, il est si laid qu'il vaut mieux le cacher. Nous souhaitons rappeler que, du point de vue éthique, c'est aussi le rôle du médecin que de modifier l'image négative de l'appareil acoustique ou d'autres mesures de réhabilitation indispensables à bon nombre de patients.6
Les fabricants d'appareils acoustiques suivent les modes. Les appareils sont conçus pour des gens jeunes, habiles manuellement, avec une vision conservée et qui souhaitent un appareil aussi discret que possible, si possible même invisible. La technologie ne les rebute pas et très vite ils comprennent toutes les possibilités de fonctionnement de leur appareil électronique. Or, cette population-là ne reflète pas la majorité des malentendants, qui sont plutôt des personnes âgées avec de multiples handicaps. Les appareils actuels sont si petits et si difficiles à manier qu'ils sont vite abandonnés et rejoignent d'autres trésors dans la table de nuit, ou même, comme vu récemment, la poubelle ! On peut espérer qu'avec le goût prononcé des générations actuelles pour le port de toutes sortes d'appareils, comme les baladeurs, les téléphones cellulaires, et qui sont d'autant plus appréciés qu'ils sont voyants (que ne ferait-on pas pour épater !), les fabricants se remettent à produire, sur des bases identiques, des prothèses acoustiques manipulables par les personnes âgées ! 7
En conclusion, les phrases du Petit Prince, réécrites pour la circonstances 4 évoquent tout ce qui devrait être dit à l'entourage d'un malentendant, même appareillé : parler l'un en face de l'autre, dans la lumière, pas trop vite, en prononçant le mieux possible. Il y a quelques jours un malentendant appareillé a mentionné qu'il n'aimait plus se promener avec sa femme, parce qu'il ne la comprenait pas lorsqu'il marchait à côté d'elle, alors qu'il n'éprouvait aucune difficulté en parlant à table, assis en face d'elle.