Tout avait été organisé en fin de matinée, le mardi 4 novembre, dans un Paris presque hivernal. Nous avions été conviés en la salle Gambetta du ministère français de l'Agriculture. Soit à quelques pas de ces monstres de l'élégance «à la française» que sont dans des genres moins étrangers qu'on pourrait le croire le Musée Rodin et le restaurant l'Arpège d'Alain Passard. Dans le parc du musée, à deux pas du Penseur, le bronze de Balzac, ce génie de la plume qui s'y connaissait suffisamment en journalisme pour crucifier les pratiques et les murs de ceux qui, à son époque, gagnaient leur vie dans ce que nous désignons non sans dédain des «canards». De l'autre côté de la rue de Varenne mais qui se souvient encore de Varenne ? un «pigeonneau du pays de Racan».1 Tout cela sous l'étincelante ciselure du dôme des Invalides trônant sur le caveau des cendres de Napoléon Bonaparte.Mais revenons à nos monstres, à nos peurs contemporaines. A une semaine de la commémoration de l'armistice de 1918, le Pr Didier Houssin, délégué interministériel en charge de la lutte contre l'épizootie de grippe aviaire souhaitait exposer à la presse le dernier dispositif en date adopté par le ministère français de l'Agriculture pour protéger au mieux les oiseaux domestiques et d'ornement élevés en France d'une contamination par le virus H5N1 à partir des oiseaux sauvages migrateurs. Rien n'est simple dans ce domaine. Pour autant, on commence à tirer les leçons d'un proche passé épizootique.Souvenons-nous. Aujourd'hui 55 pays à travers le monde, sur quatre continents ont, de manière endémique ou sporadique, été touchés par l'épizootie qui doit de ce fait être désormais comme une panzootie. Seul le continent américain est indemne. Pourquoi et jusqu'à quand ? Dans l'Union européenne, quatorze pays ont été diversement affectés. «Nous ne pouvons pas ne pas être inquiets devant la progression géographique de la situation et l'inquiétude concerne tout particulièrement les pays africains touchés, notamment l'Egypte» a souligné, rue de Varenne, Jean-Marc Bournigal, directeur général de l'alimentation au ministère français de l'Agriculture.Et jouant au petit jeu toujours instructif, rarement pratiqué par l'administration française, du «retour d'expérience». En France entre février et avril 2006, les laboratoires publics spécialisés en matière de virologie aviaire ont pu identifier à partir de 2862 oiseaux sauvages retrouvés morts, 65 cas d'infections par le virus H5N1, tous dans le département de l'Ain à l'exception d'un cas proche de l'étang de Berre (Bouches-du-Rhône). Un seul foyer a touché un élevage, en février, sur la commune de Versailleux (Ain). Au total, les frais engagés pour cette lutte se sont élevés à 23 millions d'euros (dont 0,9 pour l'intervention sur le site de Versailleux et l'indemnisation de l'éleveur et 3,3 pour l'aide à l'OIE et à la FAO) tandis que les mesures de soutien à la filière avicole affectée par une baisse de la consommation auront coûté 78,5 millions d'euros auxquels s'ajouteront des crédits communautaires.Les experts du ministère français de l'Agriculture savent bien évidemment que les oiseaux migrateurs ne sont pas le seul vecteur de contamination. Mieux que d'autres sans doute ils mesurent que le commerce légal ou non d'oiseaux vivants et de produits dérivés constitue un risque au moins aussi grand. Pour autant ce ministère vient, autant que faire se peut, de peaufiner le dispositif de lutte en mettant au point un nouveau plan de prévention de la contamination à partir de l'avifaune sauvage. Ce plan prévoit une série de mesures préventives en fonction d'une échelle de différents niveaux de risques allant de «négligeable 1 et 2» jusqu'à «très élevé» en passant par «faible», «modéré» et «élevé».Rue de Varenne, Pascale Briand, directrice générale de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments a précisé que l'Hexagone était, en ce début de novembre, en situation de risque «négligeable 2». Il faut ici savoir que les autorités sanitaires européennes ne disposent d'aucune information sur la situation épizootique qui prévaut dans les zones «Mer Baltique, Nord de l'Europe, Mer Noire et Mer Caspienne» d'où proviennent les oiseaux migrateurs. Seuls des communiqués de presse récents font état de la présence du H5N1 dans l'avifaune sauvage de la région d'Omsk, au sud de la Sibérie occidentale. La belle affaire.Inquiet des possibles répercussions sur la pratique de la chasse aux oiseaux aquatiques, le ministère français de l'Ecologie et du Développement durable a, en liaison étroite avec les associations de chasseurs, expliqué rue de Varenne avoir pris une série d'initiatives visant à permettre de ne pas interdire de manière systématique sur l'ensemble du territoire l'usage des «appelants». Il s'agit ici d'oiseaux semi-sauvages (généralement des canards) tenus captifs et attirant leurs congénères migrateurs. Un recensement exhaustif des propriétaires d'appelants est en cours et ces oiseaux devront désormais être individuellement bagués et objet d'une stricte traçabilité. En France, 98 zones «humides à risques» ont été identifiées, correspondant à 5567 communes, où toute pratique de la chasse pourrait, le cas échéant, être interdite.On aimerait, entre le Musée de Rodin et le pigeonneau de Racan-Passard, savoir ce qu'il en est en Suisse.1 Sans doute faut-il aussi préciser que remis au goût du jour par le célèbre cuisinier français et tourangeau Jean Bardet ce goûteux pigeonneau est, comme l'indique son nom, élevé dans le pays de Racan.