Dans les pays en développement, la tuberculose est la complication infectieuse la plus fréquente de l'infection VIH et le VIH est l'infection la plus souvent associée à la tuberculose. La mise à disposition des trithérapies antirétrovirales sous forme de médicaments génériques a pour conséquence une révision complète des programmes de prise en charge des deux maladies, et la nécessité de coordonner le diagnostic et les soins et de former les équipes soignantes dans la gestion des deux affections. La maîtrise des indications aux traitements, des interactions médicamenteuses et du suivi au long cours représente un défi important pour des services de santé fréquemment sous-dotés. Certains programmes nationaux, à l'exemple du Malawi et du Bénin, ont mis en place des structures décentralisées performantes.
Les dernières estimations de l'OMS évaluent à 40 millions le nombre de personnes infectées par le VIH dans le monde, dont 25 millions en Afrique. La tuberculose représente la complication infectieuse la plus fréquente chez les malades infectés. Il en résulte qu'une proportion variable des malades tuberculeux est co-infectée par le VIH. Si cette proportion est faible dans les pays occidentaux, où l'infection tuberculeuse est rare dans la population d'adultes jeunes, elle est beaucoup plus élevée dans les régions où la tuberculose et le VIH touchent la même classe d'âge. Globalement, 11% des cas de tuberculose sont co-infectés par le VIH, mais la proportion s'élève à 38% en Afrique et peut atteindre 75% dans certains pays comme le Malawi et le Zimbabwe, où l'incidence de la tuberculose a passé de 60 cas pour 100 000 habitants en 1980 à 400 pour 100 000 habitants en 2004.1 A l'inverse, une forte proportion des malades porteurs du VIH développera une tuberculose (entre 30 et 75% selon le risque annuel d'infection dans la population locale).2 Il existe ainsi une relation entre la prévalence du VIH dans la population générale et la proportion de cas positifs parmi les tuberculeux de la même région.3 L'interaction entre le VIH et la tuberculose, longtemps négligée, est considérée actuellement comme le facteur déterminant pour l'évolution future de la tuberculose dans le monde. Dans les régions du monde où la prévalence du VIH dans la population générale est inférieure à 4%, l'incidence de la tuberculose est stable ou en baisse. Dans les régions où la prévalence dépasse 4%, l'incidence de la tuberculose augmente, et cela même dans les pays qui disposent d'un programme efficace de lutte antituberculeuse (stratégie DOTS de l'OMS) (figure 1).4 Les pays occidentaux sont indirectement touchés par le biais des migrants provenant de zones à haute endémie, qui peuvent être porteurs de l'une ou l'autre infection, voire des deux.5
Le grand changement intervenu au cours des dix dernières années est le développement de thérapies antirétrovirales efficaces (TAR) ou les TAR hautement actives (HAART) et leur mise à disposition sous forme de médicaments génériques d'un coût abordable dans les pays en développement. Les traitements antirétroviraux ont ainsi transformé une maladie mortelle à brève échéance dans la majorité des cas en une affection chronique traitable, même si elle n'est pas guérissable.6 En outre, grâce aux efforts de nombreuses institutions internationales, des gouvernements et de l'industrie pharmaceutique, le prix des traitements a baissé de US$ 20 000. par personne et par an en 1996 à US$ 132. en 2005.7 Il est ainsi possible d'offrir aux malades et aux personnes infectées un traitement qui va prolonger leur vie. L'approche de l'infection, axée exclusivement sur la prévention, repose maintenant sur deux piliers complémentaires. La prolongation de la vie et la diminution des infections opportunistes ont cependant eu pour effet, même en Occident, d'augmenter l'importance de la tuberculose comme manifestation inaugurale du sida.8 En outre, l'efficacité des traitements antirétroviraux a eu parfois pour effet pervers de diminuer les efforts de prévention, donc d'augmenter le nombre de cas d'infection dans certains groupes de population.9 Sur le plan pratique, et même dans les pays occidentaux, il est donc important de se souvenir que certains malades présentant des symptômes peuvent être porteurs des deux affections, en particulier s'ils ont vécu dans des pays où les risques d'infection sont élevés.
Parallèlement aux progrès dans le domaine thérapeutique, des progrès sont intervenus dans les méthodes de diagnostic, avec la mise sur le marché de tests fiables et bon marché, qui permettent non seulement d'effectuer des tests de dépistage mais également la mesure des CD4 dans des conditions précaires. Les indications aux traitements et les conditions de la prise en charge ont été définies en tenant compte des possibilités limitées des pays les plus touchés par la maladie10 et de la co-infection tuberculeuse.11 Sur le terrain, les équipes responsables doivent par contre apprendre à gérer sur le long terme des traitements complexes et souvent mal tolérés, et conduire simultanément le traitement de deux maladies infectieuses. Il en résulte de nouvelles possibilités mais également de nouvelles responsabilités.12-14
Dans les populations où les tuberculeux sont fréquemment co-infectés par le VIH, on assiste à une augmentation progressive de la proportion de femmes parmi les malades, donc à une augmentation du risque de transmission de la tuberculose (et du VIH) de la mère à l'enfant. Chez les enfants séropositifs, la tuberculose représente également une cause fréquente d'infection respiratoire aiguë.15 Dans l'ensemble, les séropositifs ont cependant plus souvent des formes de tuberculose extrapulmonaire, non contagieuse, donc leur influence sur la transmission de la maladie dans la population générale semble plus faible que celui des tuberculeux séronégatifs.14 La co-infection complique également le traitement de la tuberculose, en raison de la fréquence élevée des intolérances médicamenteuses observées chez les patients séropositifs et des interactions médicamenteuses entre les antituberculeux (en particulier la rifampicine) et certains antirétroviraux.16 Un document impressionnant relate l'expérience personnelle d'un soignant atteint simultanément d'un sida et d'une tuberculose multirésistante.17
L'impact de la tuberculose sur la progression de l'infection VIH est peu clair. La tuberculose favorise la réplication du virus VIH in vitro et il semble que les séropositifs atteints de tuberculose ont une charge virale plus élevée que les non-tuberculeux, mais il n'est pas possible de dire s'il s'agit d'un effet direct de la tuberculose ou d'une sensibilité accrue des malades en stade avancé envers la tuberculose.
Dans les pays où les deux infections sont courantes, il existe en général des programmes de lutte contre chacune des maladies, qui ont longtemps travaillé isolément. La reconnaissance de l'interaction étroite entre les deux maladies conduit progressivement à une collaboration entre les programmes, voire à leur intégration. Les programmes de lutte contre le sida sont incités à dépister rapidement la tuberculose chez les sujets séropositifs présentant des symptômes suspects, voire à rechercher chez eux une infection tuberculeuse latente, si les moyens techniques et financiers le permettent. A l'inverse, les programmes de lutte antituberculeuse sont incités à vérifier le statut VIH de tous les malades tuberculeux, afin d'offrir à ceux des malades co-infectés qui sont éligibles un traitement antirétroviral simultané ou séquentiel. Un tel changement d'attitude implique une coordination des moyens techniques et une formation adaptée du personnel des deux types de formations sanitaires.
Chez les patients porteurs du VIH qui reçoivent une thérapie antirétrovirale, la nature et la fréquence des infections opportunistes, y compris de la tuberculose, ont diminué, sans que le risque disparaisse totalement.18 Une étude menée dans plusieurs pays à haute endémie tuberculeuse a montré que 7 à 18% des malades mis sous trithérapie antirétrovirale développaient une tuberculose dans les mois qui suivaient le début du traitement.19 Il peut s'agir de cas chez lesquels la tuberculose était latente avant le traitement et qui ont présenté un phénomène de reconstitution immunitaire sous l'effet du traitement antirétroviral, révélant ainsi la tuberculose. Il peut aussi s'agir de malades dont la tuberculose se trouvait à un stade précoce, et dont les expectorations étaient encore négatives au début du traitement. Dans les pays où les structures techniques ne permettent pas de pratiquer des cultures d'expectorations, de telles formes de tuberculose sont souvent manquées au stade précoce de la maladie. Une autre étude prospective a montré que les infections mycobactériennes restent une cause de décès importante chez les malades sous trithérapie.20
L'administration d'un traitement antirétroviral aux malades co-infectés a pour effet de réduire le nombre de décès en cours de traitement de la tuberculose, mais pose un grand nombre de problèmes pratiques liés aux effets indésirables des deux traitements, aux interactions médicamenteuses, à l'impossibilité fréquente d'assurer un suivi biologique des patients en l'absence de réseau de laboratoires et aux problèmes logistiques liés à l'interaction entre deux programmes différents et souvent indépendants, soit le Programme tuberculose et le Programme sida.21 Le choix des médicaments antirétroviraux et le moment optimal du début du traitement de l'infection VIH reposent sur des critères cliniques et biologiques qui ne sont parfois pas tous évaluables. En règle générale, le traitement antituberculeux est prioritaire (en raison du risque de propagation de la maladie et de la réponse rapide au traitement antituberculeux) et les antirétroviraux sont introduits immédiatement (si le nombre des CD4 est inférieur à 100) ou si le malade se trouve au stade IV du sida, après quatre à huit semaines de traitement antituberculeux si les CD4 se situent entre 100 et 200 et plus tard si le nombre se situe au-dessus de 200. Le choix du traitement antirétroviral tient compte de l'utilisation ou non de rifampicine dans le traitement antituberculeux, de la possibilité ou de la présence d'une grossesse, et de la tolérance au traitement.16,21
Sur le plan pratique, l'OMS et l'Union internationale contre la tuberculose s'accordent pour préconiser une collaboration étroite entre les Programmes tuberculose et les Programmes sida, une utilisation large de méthodes de dépistage simple, et surtout une formation des professionnels de la santé des deux domaines, de manière à faciliter le diagnostic de la tuberculose chez les malades porteurs du VIH et à reconnaître rapidement les porteurs de VIH chez les malades tuberculeux, pour leur offrir soit un traitement préventif de co-trimoxazole, soit un traitement antirétroviral.16,22 Le dépistage de l'infection VIH chez une mère impose l'examen de l'enfant, à qui un traitement préventif ou antirétroviral sera également proposé si nécessaire.23 Cela implique une collaboration étroite entre les deux programmes sanitaires, voire la création d'un programme commun, et une répartition précise des tâches sur le terrain. Les médicaments doivent être administrés sous la forme la plus simple et la mieux tolérée possible, de préférence sous forme de préparations combinées.24 Des études ont montré qu'il était possible et rentable d'offrir en outre aux malades co-infectés mais sans atteinte tuberculeuse active un traitement préventif de l'infection tuberculeuse latente, un tel traitement étant à la fois efficace pour prévenir l'apparition ultérieure d'une tuberculose et faisable dans la pratique.12,25 Le problème qui se pose en pratique est celui de la méthode de diagnostic, le test tuberculinique pouvant être faussement négatif chez les séropositifs à un stade avancé de l'infection.26 L'utilisation des nouveaux tests sanguins de dépistage de l'infection par mesure de la libération de gamma-interféron, plus sensible,27 est difficile à proposer en pratique, en raison des coûts de l'examen.
A titre d'exemple, un programme de soins intégrés des malades co-infectés (Integrated HIV Care) vient d'être lancé dans trois pays, la République démocratique du Congo, le Myanmar et le Bénin, sous la direction scientifique de l'Union internationale contre la tuberculose et avec l'appui de la Communauté européenne et de la Coopération suisse. Au Bénin, ce programme prévoit une collaboration étroite entre le Programme tuberculose et le Programme sida (figure 2), une formation des travailleurs de la santé de chaque programme dans la reconnaissance et la prise en charge de l'autre maladie, un équipement des laboratoires de terrain pour le dépistage de l'infection VIH et la numération des CD4 au moyen de tests simples, le test VIH systématique de tous les malades tuberculeux, sauf refus (opt out), la formation du personnel en conseil pré- et post-test, la mise à disposition de médicaments antirétroviraux dans les centres de traitement de la tuberculose et une surveillance des cohortes de malades mis sous traitement. A terme, il est prévu d'équiper dix-huit laboratoires régionaux et périphériques et de distribuer les antirétroviraux aux malades tuberculeux co-infectés dans un nombre équivalent de centres. La surveillance s'effectuera selon un modèle inspiré du programme de surveillance de cohortes de tuberculeux. Un tel modèle a déjà fait ses preuves au Malawi.13,24
En l'absence du VIH, l'OMS estime que le nombre de cas de tuberculose diminuerait dans le monde au lieu d'augmenter de 1,5% par an, comme c'est le cas actuellement.4 Il n'y a donc aucun doute que l'avenir de la lutte antituberculeuse, au moins dans les pays les plus touchés, passe par la maîtrise de l'épidémie de VIH. Une des conditions à remplir est l'existence de programmes locaux efficaces et la disponibilité des travailleurs de santé, souvent en nombre nettement insuffisant pour faire face aux problèmes. L'appel lancé à l'occasion de la Conférence de Toronto en août 2006 par l'AIDS Care Watch attire l'attention du monde politique et scientifique sur cette évidence et fixe les priorités dans ce domaine.28