Combien de temps pourra-t-on parler encore, sans rire ni trahir, du «Livre de la vie» ? C'est que les temps ne sont définitivement plus à la précieuse mécanique née des travaux de Watson et Crick puis de Jacob, Monod et Lwoff. Et l'époque s'achève qui voyait les vulgarisateurs filer sans grand effort la métaphore de l'alphabet des bases nucléotidiques, de gènes s'exprimant comme des mots et d'une vie structurée comme un langage. On put un moment penser que les multiples entreprises de séquençage des génomes des organismes vivants ne feraient que cartographier avec un peu plus de précision une terre globalement connue. Il faut désormais sinon déchanter du moins changer de focale. Car les dernières images désormais disponibles conduisent à remettre en question la quasi-totalité de nos certitudes quant à cette terre, sa structure et ses reliefs, ses équilibres et son atmosphère, sa faune et sa flore ; pour ne parler ni de sa raison d'être ni de son devenir. Le bouillonnement et une sorte de plasticité infinie ont définitivement pris la place des engrenages moléculaires. La petite micheline de l'ARN messager serpentant entre le noyau et les ribosomes existe certes toujours mais elle se fond désormais dans un monstrueux univers qui n'a plus grand chose de ferroviaire. L'acier laisse progressivement la place à la cybernétique et à des mondes aux dimensions encore inconnues. C'est dire si aucune métaphore ne peut encore être ici utilement filée. Précisons notre propos. S'il fallait à l'avenir une date pour marquer l'entrée dans ce nouveau monde on pourrait sans mal retenir celle du jeudi 23 novembre. C'est ce jour là que plusieurs groupes de généticiens ont officiellement annoncé (dans les revues Nature, Nature Genetics et Genome Research) avoir découvert que les différences de structure des génomes entre les personnes étaient nettement plus importantes qu'on le supposait jusqu'alors, tout se passant comme si le résultat récent du séquençage du génome humain n'était qu'une forme de dénominateur commun et ne reflétait en aucun cas la complexité la richesse ? des différences existant entre les «populations» les «ethnies», les «races» ? qui constituent l'espèce humaine.Les résultats publiés aujourd'hui s'inscrivent dans le cadre du Consortium international Hapmap lancé en 2002 et associant des équipes de généticiens du secteur public et privé travaillant dans des centres de recherche de six pays : Canada, Chine, Japon, Nigeria, Royaume-Uni et Etats-Unis.Il faut ici rappeler que le Projet international HapMap lancé il y a quatre ans vise à développer une carte d'haplotypes ayant pour objectif de dresser des «patrons» (toujours le recours aux métaphores) communs de variations génétiques du génome humain. Il s'agit ici d'une collaboration entre chercheurs académiques, d'organisations de recherche sans but lucratif et de compagnies privées travaillant au Canada, en Chine, au Japon, au Nigeria, au Royaume-Uni ainsi qu'aux Etats-Unis.«La carte HapMap est devenue une ressource fondamentale pour les chercheurs afin de découvrir des gènes impliqués dans le développement de maladies complexes ou modifiant la réponse pharmacologique à des médicaments, nous enseignait il y a peu Wikipedia. Toutes les données produites sont accessibles gratuitement 1 à tous les chercheurs à travers le monde. HapMap a débuté officiellement avec une conférence organisée à Washington fin octobre 2002 et devait durer trois ans. Le projet initial comprenait deux phases. Les données et les analyses complètes de la phase I ont été publiées fin octobre 2005. L'analyse de la phase II n'était toujours pas terminée en octobre 2006.»Puis vint novembre de cette même année, et les résultats comparatifs obtenus à partir de l'examen des fractions des génomes de cellules sanguines prélevées chez 270 personnes toutes volontaires dont l'anonymat a été préservé. Il s'agissait en l'occurrence, de Japonais de Tokyo, de Chinois Han de Pékin, de Yoruba du Nigeria ainsi que des habitants de l'Utah dont il était pleinement établi que les ancêtres étaient originaires d'Europe du Nord ou de l'Ouest.Au total, plus d'un million et demi de variations ponctuelles (ou polymorphismes mononucléotidiques) du génome ont été recensées. Des spécialistes du Wellcome Trust Sanger Institute de Cambridge (Royaume-Uni) travaillant avec des chercheurs américains, canadiens, japonais et espagnols se sont aussi intéressés aux variations portant sur des régions particulières de l'ADN du génome constituées chacune de centaines de milliers ou de millions de paires de bases.Ces généticiens ont méthodiquement recherché les variations (duplications multiples, insertions, délétions) désignées comme étant des «variations du nombre de copies (CNV)» au sein de leur ADN. Plus de 1400 CNV ont été repérées, couvrant 12% du génome humain, soit, là encore, beaucoup plus qu'on ne l'imaginait.«En étudiant davantage de génomes de personnes en bonne santé de différentes populations, nous découvrons des séquences d'ADN complètement nouvelles, qui étaient absentes des individus ayant servi au projet de séquençage du génome humain», explique aujourd'hui le Pr Charles Lee (Harvard Medical School, Boston, Etats-Unis). Au total, alors que les généticiens estimaient que les membres de l'espèce humaine avaient un génome commun à 99,9%, il apparaît que ce pourcentage n'est que de 99%.Cette singularité pourrait avoir des conséquences dans le domaine médical. Ces travaux ont d'ores et déjà mis en évidence des différences notables entre les quatre groupes étudiés concernant des gènes de résistance à l'infection par le VIH ou au parasite responsable du paludisme. De même, des variations ont été observées concernant plusieurs gènes impliqués dans la physiopathologie d'affections neurodégénératives comme les maladies de Parkinson et d'Alzheimer. Ces résultats et la médiatisation qui les accompagne pourraient aussi alimenter les professions de foi de ceux pour qui le mot de racisme est tout sauf un vain mot.1 Toutes ces données (fréquences des SNP ; génotypes ; haplotypes) sont accessibles gratuitement à tous et sont disponibles à http://www.hapmap.org