Les débats les plus beaux ne sont pas toujours les moins empreints de confusion. Nous écrivons ce bloc-note dans l'après-midi du dimanche 22 avril, une journée dont tout indique à penser qu'elle pourrait constituer, avec les résultats du premier tour de l'élection présidentielle, une date importante dans l'histoire de la Ve République française. Nous avons vu ces dernières semaines (Revue médicale suisse des 18 et 25 avril) que cette campagne avait été marquée, sur sa fin par les étonnants propos tenus par l'un des principaux candidats Nicolas Sarkozy (Union pour la Majorité Présidentielle ; étonnant slogan tautologique) quant au caractère immensément acquis de la pédophilie, des tendances suicidaires adolescentes ou des cancers broncho-pulmonaires.Tâtonnant au départ, le débat s'est progressivement ouvert. Modestement relayé par les concurrents de M. Sarkozy, il s'est pour l'essentiel nourri de tribunes signées de généticiens et biologistes cherchant, au mieux, à dire le vrai ; soit, ici, l'ampleur des incertitudes, la lecture mêlée que nous offre la science de la fatalité et des circonstances. Il est toujours intéressant d'observer comment des hommes de science expriment le fait que leur science se doit d'être modeste quand eux ne le sont pas toujours dès lors qu'ils exposent publiquement leurs derniers acquis. L'affaire est rassurante : on peut être homme de science et demeurer un homme quand l'homme d'église peut, tout en pêchant, continuer à s'exprimer au nom d'une transcendance.Mais, on ne le sait que trop, tout va de plus en plus vite à notre époque où le spectacle et sa mise en scène l'emportent toujours un peu plus sur le fond, l'échange équitable, le partage. Ainsi ce beau débat aux confins de la science, de la philosophie et de la politique prend-il de bien curieuses tournures pleines d'idéologies masquées et de confusions certaines. Une bien triste démonstration nous en est apportée par deux tribunes publiées dans les colonnes du Monde daté du 19 avril. La première est signée de Philippe Froguel sous le titre «Génétique, sexe et psychiatrie : arrêtons les procès en diabolisation». M. Froguel est professeur de médecine génomique, directeur de recherche en génétique au CNRS. Il travaille depuis un certain temps déjà dans le domaine de la génétique du diabète et de l'obésité. Son propos est ici de nous dire que nous naissons inégaux, que notre environnement social et culturel n'explique pas tout, que nous avons aussi des prédispositions. Un propos de bon sens désormais connoté, en France, de droite tandis que la gauche peine à dire que sa mission est précisément de rendre plus humaine une jungle sociale qui se fonde aussi sur la jungle génétique.M. Froguel : «Décidément, la génétique est une chose trop sérieuse pour être confiée aux généticiens. En effet, après une interrogation maladroite de Nicolas Sarkozy lors d'un débat philosophique sur la place de l'inné et de l'acquis dans les troubles du comportement humain, le tocsin a été sonné par d'éminents spécialistes comme François Bayrou et Jean-Marie Le Pen (candidats respectivement centriste et d'extrême-droite à l'élection présidentielle française) un procès en diabolisation étant instruit par la presse dominante du politiquement correct. Même l'épiscopat, après une lecture hâtive de communiqués de presse tronqués, est intervenu de manière erronée sans vérifier ses sources. Ségolène Royal (candidate socialiste) a eu initialement un mot plus juste en disant qu'"il fallait laisser les scientifiques répondre".» Il est vrai que l'histoire a montré à quel point il pouvait être intéressant de voir, sur des questions politiques essentielles, le politique s'effacer devant le scientifique.M. Froguel, le scientifique, s'exprime dans les colonnes d'un titre de presse dont on ne sait s'il la perçoit toujours comme «dominante» et «politiquement correcte». Quelques généralités précèdent quelques étranges ellipses : «Sait-on, par exemple, que les malades victimes de la version humaine de la "maladie de la vache folle" ont reçu une mutation du gène du prion venant de leurs deux parents ? Sans la folie des éleveurs britanniques, aucun ne serait cependant devenu malade mais ils avaient tous une "fragilité" potentielle génétique qui a rendu possible la maladie de Creutzfeld-Jacob (sic)».Quelques lignes en forme de profession de foi : «Ce qu'a dit Nicolas Sarkozy sur la dépression ne me choque donc pas, car il faut arrêter de culpabiliser les enfants déprimés et leurs familles, en niant le caractère biologique endogène de leur trouble. Il s'agit au contraire de les aider, et si la science génétique peut permettre de trouver les «causes» de leur maladie, peut-être pourra-t-on un jour la guérir !» Les lecteurs, les familles et les enfants déprimés s'intéresseront à l'utilisation faite par l'auteur de la locution adverbiale «peut-être». On s'intéressera aussi à l'emploi de l'adverbe «heureusement» au sein des phrases suivantes : «Aucun candidat à la présidence n'a dit que l'homme devait être exonéré de ses responsabilités du fait de ses gènes et que tout était réglé à la naissance. Et personne heureusement ne prône l'eugénisme et l'avortement de masse. Donc pas de fantasmes ! Mais la science a établi que la personnalité humaine a plusieurs facettes, dont certaines sont très héréditaires. Mais, sur ce fond génétique, l'environnement, l'éducation, la culture et le libre arbitre vont contribuer ensemble à faire d'un jeune homme aimant un peu plus que les autres l'innovation et la prise de risque un futur délinquant drogué ou un Picasso ou un Einstein. Ou un chef d'entreprise créant des milliers d'emplois...» On peut être professeur de génomique médicale et n'avoir guère plus à dire sur le sujet qu'un candidat donné favori à une élection présidentielle.Dans les mêmes colonnes du Monde, et sous le titre «L'eugénisme au service du libéralisme», Jacques Testart (biologiste français bien connu de la reproduction, directeur de recherche à l'Inserm) tentait d'aborder le sommet par d'autres voies, nettement plus escarpées. Si l'on ne connaissait, déjà de bien longue date, M. Testart, sa personnalité flamboyante, ses ardents combats nourris par de profondes et nobles convictions on parlerait, ici, de grande confusion. Et puis, comme souvent chez lui une fulgurance : « (
) dès qu'on saura produire les ufs humains en abondance et sans instrumentaliser les femmes, le tri des pontes au laboratoire sera intensifié pour la sélection du meilleur bébé possible (
).» Ainsi donc, une fois encore Orwell et Huxley, plus qu'Habermas viennent-ils nourrir les plus robustes de nos angoisses contemporaines.02.05.2007