La lèpre est une maladie infectieuse chronique peu contagieuse et curable de la peau et des nerfs périphériques superficiels.
Elle est méconnue dans nos contrées mais elle se rencontre chez des patients ayant séjourné en zone d'endémie. Le diagnostic repose sur la présence de lésions cutanées typiques, d'atteintes neurologiques périphériques et de bacille à l'examen des sérosités dermiques ou à la biopsie. Le type de réaction immune déclenché par l'infection à Mycobacterium leprae détermine la forme de la maladie et ses manifestations neurologiques. Il est fondamental de déterminer précisément le type de lèpre afin de pouvoir adapter le traitement. Les complications neurologiques, notamment les réactions lépreuses méritent une attention particulière car elles compromettent la récupération neurologique en cas de traitement retardé.
La lèpre ou maladie de Hansen est une maladie chronique due à l'infection par Mycobacterium leprae. Elle affecte la peau, la muqueuse nasale, les yeux et les nerfs périphériques. Sa présentation clinique varie selon le statut immunitaire des patients entre une forme lépromateuse, riche en bacilles et infiltrative, et une forme tuberculoïde caractérisée par une réaction inflammatoire granulomateuse. La lèpre reste encore en 2007 l'une des premières causes traitables de neuropathie périphérique.
L'exclusion sociale a marqué le destin de milliers d'individus jusqu'à l'arrivée des premiers antibiotiques. La stigmatisation des lépreux, très ancienne, s'est d'abord appuyée sur le discours religieux : dans l'Ancien Testament, la lèpre (tsara-ath) est en effet associée au péché. Par ailleurs la désignation de cette affection repose sur une confusion, puisque le mot grec lepra dont dérive le nom français de la maladie à travers le latin lepra contient la racine «lep» (écaille) et fait référence à une maladie cutanée desquamante («psoriasis») plutôt qu'infiltrante («elephantiasis»).
Le bacille fut identifié en 1873 par le Norvégien Gerhard Armauer Hansen (1841-1912) et le premier traitement efficace, la dapsone, est apparu dans les années 1940.1
Présente en Asie, en Afrique et en Amérique latine et centrale, la lèpre a vu depuis dix ans sa prévalence fortement diminuer grâce à une vaste campagne de détection et de traitement menée par l'OMS. Le nombre de cas enregistrés en 2006 est d'environ 220 000.2 Même s'il sous-estime le nombre de cas réels, ce chiffre suggère une certaine efficacité des mesures de santé publique et permet d'espérer un jour contrôler, voire éradiquer la maladie. La standardisation de la polychimiothérapie (PCT) et sa distribution gratuite ont augmenté l'efficacité de la prise en charge des malades. En 2006, seuls huit pays rapportent encore des prévalences supérieures à 1/10 000 (limite stratégique fixée par l'OMS) : Brésil, République démocratique du Congo, Madagascar, République centrafricaine, Tanzanie, Angola, Népal et Inde.1 Contrairement à ce qui a été observé avec d'autres infections mycobactériennes, la prévalence de la lèpre n'a pas été modifiée par la pandémie du VIH. La présentation clinique ne semble pas différente chez les patients séropositifs, malgré l'atteinte de l'immunité cellulaire liée au VIH.3,4
Le bacille de Hansen est une mycobactérie alcoolo-acido-résistante intracellulaire stricte. La lenteur de sa multiplication explique la longue période d'incubation. Les cellules de Schwann (CS) et les macrophages sont les cibles préférentielles du bacille, dont la réplication exige une température comprise entre 27 et 30°C. Ceci explique que les zones superficielles dont la température est la plus basse (peau, testicules, œil) soient les plus touchées.
M. leprae ne peut être cultivé in vitro ; sa multiplication in vivo est toutefois réalisable chez le tatou à neuf bandes (Dasypus novemcinctus). Le réservoir est essentiellement humain et le mode de transmission n'est pas clairement établi. On suppose que la muqueuse nasale renferme une grande quantité de germes et que la transmission se fait par contact prolongé avec les sécrétions nasales d'un porteur. Une transmission de peau à peau n'est pas clairement établie.
Des facteurs génétiques influencent le cours de l'infection de deux manières, d'abord en déterminant la susceptibilité innée à l'infection, puis en modulant la réponse immune acquise selon les allèles HLA de l'hôte. L'immunité à médiation cellulaire est le mode de réaction le plus efficace contre la maladie et permet de contenir le processus infectieux par une réaction granulomateuse (forme tuberculoïde). La forme lépromateuse au contraire s'observe chez des patients dont l'immunité cellulaire est inhibée et inefficace et chez lesquels une réaction humorale prédomine. La charge bacillaire et le nombre de lésions tendent alors à augmenter. La période d'incubation est habituellement de trois à cinq ans pour la lèpre tuberculoïde et de neuf à douze pour la forme lépromateuse. De nombreux porteurs hébergent le germe dans leurs fosses nasales sans développer la maladie.5,6
La lèpre peut être vue d'une part comme une infection chronique à mycobactéries et d'autre part comme une neuropathie périphérique influencée par la réaction immunitaire de l'hôte. M. leprae est peu virulent et ne sécrète aucune toxine. Sa pathogénicité est liée à sa capacité de survie intracellulaire. Le type de réaction immune déclenché par l'infection détermine le type d'atteinte tissulaire. Dans la forme tuberculoïde, les CS infectées présentent des antigènes aux cellules CD4, déclenchant une réaction immunitaire intense et la formation de granulomes contenant des lymphocytes de type T-helper à l'origine des lésions neurologiques. Cette forme se caractérise donc par des neuropathies souvent rapidement sévères et invalidantes. L'hypertrophie caractéristique des troncs nerveux résulte de l'inflammation. Le processus démyélinisant est suivi d'une atteinte axonale et pourrait résulter de la présence d'un anticorps antineural. La forme lépromateuse se caractérise par une atteinte cutanée disséminée avec des CS massivement infectées et une réaction immune cellulaire faible (anergie) qui engendre moins de dommages directs aux nerfs. Il n'y a pas de formation de granulome et l'infiltrat inflammatoire est composé de faibles quantités de cellules T-helper. Avec le temps cependant, on arrive dans les deux formes à une inflammation chronique menant à la fibrose et la destruction des fibres nerveuses.7
La lèpre est une maladie bipolaire déterminée par le type de réaction immune de l'hôte et comportant un pôle tuberculoïde (TT), un pôle lépromateux (LL) et une forme intermédiaire, la lèpre borderline (BB) (tableau 1). Il existe un continuum dans ce spectre avec des subdivisions en formes borderline-tuberculoïde (BT), borderline-borderline (BB), et borderline-lépromateux (BL). Ces dernières sont considérées comme instables, car susceptibles de déplacement vers l'un des deux pôles chez un même malade. La plupart des patients présentent une forme stable polaire, TT ou plus rarement LL.
La classification la plus courante, celle de Ridley et Jopling,8 met en relation les manifestations cliniques avec le type de réponse immune et l'histopathologie (tableau 1). La classification de l'OMS 9 est surtout clinique et distingue les trois catégories suivantes :
L'OMS a proposé des protocoles thérapeutiques spécifiques respectant cette classification.1,10
Seules les manifestations neurologiques sont traitées ici. Rappelons que les lésions cutanées sont des macules dépigmentées, bien délimitées et insensibles dans la forme tuberculoïde, plus diffuses, et sans altération constante de la sensibilité dans la forme lépromateuse. Une atteinte oculaire, ostéo-cartilagineuse et testiculaire doit toujours être recherchée.
L'atteinte nerveuse, précoce, constante et strictement limitée au système nerveux périphérique, a les caractéristiques suivantes, communes aux différentes formes :
* hypertrophie des troncs nerveux ;
* déficit sensitif, (hypo/anesthésie) et troubles végétatifs précédant l'atteinte motrice ;
* localisations préférentielles : défilés ostéo-ligamentaires (lieu d'enclavement) ;
* atteinte des nerfs superficiels.
Le profil clinique est soit celui d'une mononévrite multiple, soit celui d'une polyneuropathie avec atteinte «température-dépendante» mimant un caractère longueur-dépendant (déficits sensitifs en gants et en chaussettes). L'atteinte sensitive se révèle par une hypoesthésie et des dysesthésies, plus rarement par des sensations prurigineuses. L'atteinte des petites fibres de la nociception et du système nerveux autonome est à l'origine d'ulcères neurotrophiques (maux perforants). Les troubles neurovégétatifs sont une anhidrose, un temps de cicatrisation prolongé, des troubles trophiques et vasomoteurs. Ils se compliquent fréquemment de surinfections et de microtraumatismes qui entraînent à la longue une résorption osseuse (mutilations). Contrairement à ce qui s'observe dans la neuropathie diabétique, les nerfs profonds sont épargnés, ce qui explique l'absence de manifestations neurovégétatives systémiques (absence d'hypotension orthostatique, d'arythmies cardiaques ou de troubles sphinctériens).
L'atteinte motrice, plus tardive, n'est jamais isolée. L'amyotrophie de la main peut aboutir à l'aspect d'une main d'Aran-Duchenne. La sensibilité profonde et les réflexes myotatiques sont en général conservés.
L'examen clinique doit comporter un test au monofilament de Semmes-Weinstein. Ce test, également utilisé en diabétologie, permet de dépister les neuropathies sensitives et d'identifier les patients à risque de développer un ulcère neurotrophique. Le monofilament 5,07 correspond à l'application d'une force de 10 g lorsqu'il est courbé et permet par conséquent d'identifier une diminution de la sensibilité et la suppression d'un stimulus douloureux. Cet outil est validé dans le diagnostic et le suivi des patients lépreux (figure 1).1,14
Elle est locale, asymétrique et au voisinage de l'atteinte cutanée surtout dans les régions des extenseurs, des cuisses et du visage. La sémiologie est celle d'une mononévrite multiple (figure 2).
D'expression clinique plus tardive, l'évolution de la maladie est lente. L'atteinte sensitive n'est ni locale ni confinée à la lésion cutanée. Elle est distale et symétrique, en «gants et en chaussettes», ressemblant à une polyneuropathie longueur dépendante. Les sites les plus chauds, comme les plis, sont longtemps épargnés. L'atteinte motrice est plus stéréotypée et atteint surtout les lieux d'enclavement, (gouttière épitrochléo-olécrânienne, tunnel carpien, etc.). Les manifestations neurovégétatives concernent surtout les territoires des nerfs de localisation superficielle (figure 3).
Il s'agit de la forme la plus agressive, la plus rapide et la plus mutilante. Plusieurs troncs peuvent être touchés comme dans la forme lépromateuse, avec destruction axonale secondaire comme dans la forme tuberculoïde (figure 4).
Son diagnostic est difficile et souvent retardé en l'absence des manifestations cutanées. Elle se situe plutôt sur le versant tuberculoïde.
Multiples, elles sont à l'origine des troubles trophiques, des déformations mutilantes, de handicap fonctionnel et socioprofessionnel. Les complications neurologiques sont plus particulièrement : 1) les syndromes de compression canalaire et 2) les réactions lépreuses qui compromettent le pronostic des lésions nerveuses. Il en existe deux types qui diffèrent par leur physiopathologie, leur expression clinique et leur prise en charge (tableau 2).
Elles traduisent un déplacement de la réponse immune en direction de l'un des deux pôles de la maladie. Vers le pôle tuberculoïde, c'est la réaction d'inversion tuberculoïde ou de réversion. Il s'agit d'un renforcement de la réponse à médiation cellulaire suivi d'élimination du bacille. Vers le pôle lépromateux, c'est l'érythème noueux lépreux qui s'apparente à une vasculite cutanée et systémique. Ces réactions peuvent être à l'origine d'une aggravation aiguë du tableau neurologique qui nécessite l'introduction urgente d'un traitement corticoïde pour les réactions d'inversion et de thalidomide ou de clofazimine pour l'érythème noueux lépreux.1,12,15
Il dépend de la forme de lèpre et de la sévérité de l'atteinte nerveuse initiale. 11 à 50% des patients présentent des déficits moteurs, sensitifs ou trophiques qui ne récupèrent pas ou s'aggravent pendant et après le traitement en raison des réactions lépreuses. Les patients souffrant d'une forme multibacillaire, et/ou ayant des lésions nerveuses préexistantes sont les plus à risque de développer une réaction lépreuse et une neuropathie aiguë.10,17 Un suivi neurologique, avec examen au monofilament et ENMG (si possible) mensuel est indiqué chez ces patients durant 24 mois pour pouvoir introduire à temps les corticostéroïdes.14-18
* Examen bactériologique : le bacille s'identifie après coloration au Fite-Faraco des sérosités dermiques prélevées à partir des lésions cutanées. On peut aussi examiner la muqueuse nasale ou la peau d'apparence normale dans des zones de prédilection (visage, lobe de l'oreille, etc.).
* PCR : sa sensibilité est de 44% dans les formes paucibacillaires et L 90% dans les formes multibacillaires.15
* Sérologie : on recherche les anticorps antiglycolipide phénolique PGL-1. Elle est peu utilisée en raison de sa mauvaise sensibilité surtout dans les formes paucibacillaires. Elle peut être utile dans la forme neuropathique pure.
* Electroneuromyographie : son principal intérêt est de déterminer le type des lésions nerveuses (neurapraxie/axonotmésis) et d'en quantifier la sévérité. Ces éléments établissent le pronostic des lésions nerveuses. Son deuxième intérêt est de permettre un suivi longitudinal chez un même patient ce qui permet, par exemple, de juger de l'efficacité des traitements ou encore de détecter le passage d'une forme clinique à une autre plus agressive en cas d'aggravation des anomalies électrophysiologiques.12
* Biopsie nerveuse : rarement disponible sur le terrain, elle n'est justifiée que si le contexte clinique, épidémiologique et bactériologique (dans la sérosité dermique) est incertain. Elle est recommandée dans la forme neurologique pure ou pour exclure d'autres types de neuropathies. Le nerf idéal est une branche cutanée, de préférence hypertrophiée.
Les critères cardinaux du diagnostic sont :
* une ou plusieurs macules cutanées hypopigmentées et hypoesthésiques ou érythémateuses ;
* une hypertrophie d'un ou plusieurs troncs nerveux (symptomatique ou non) ;
* la présence du bacille dans la sérosité dermique.
Lorsque ces trois critères sont réunis, la sensibilité est de 84-100% et la spécificité de 98-100%.11,19
L'OMS recommande depuis 1982 une PCT pour prévenir l'émergence de souches résistantes. Le protocole thérapeutique diffère selon le type de lèpre défini par l'OMS (tableau 3).9
La première dose de rifampicine diminue de plus de 99% la charge bacillaire. A 72 h du début du traitement, le patient n'est plus contagieux.
La PCT est mise à disposition gratuitement par l'OMS. Des plaquettes préemballées contenant la totalité du traitement mensuel facilitent au patient la prise médicamenteuse (figure 5). La physiothérapie, la réadaptation et l'enseignement thérapeutique sont essentiels. De plus, un important travail de sensibilisation sociale est encore nécessaire afin de lutter contre les discriminations dont sont victimes les malades.
La lèpre est une maladie infectieuse chronique peu contagieuse et curable de la peau et des nerfs périphériques superficiels. Son diagnostic est clinique. La PCT stoppe la dissémination de la maladie dès la première dose et un traitement précoce permet d'en prévenir les séquelles. Les réactions lépreuses méritent une attention particulière car elles compromettent la récupération neurologique en cas de traitement retardé.