Pourra-t-on un jour diminuer les risques de pénurie sanguine, due non seulement au manque de donneurs mais aussi à l'impossibilité d'utiliser le sang d'un groupe différent de celui du receveur ? C'est le système ABO, qui correspond à la présence ou non de monosaccharides particuliers N-acétylgalactosamine, galactose à la surface des érythrocytes, qui est impliqué dans les accidents transfusionnels dus à la réaction du système immunitaire des receveurs. Supprimer ces sucres pourrait donc permettre de rendre le sang «universel», comme le sang du groupe O dont les globules rouges ne sont porteurs d'aucun sucre immunodominant A ou B. Une équipe internationale de chercheurs danois, américains, français et suédois menée par Henrik Clausen, de l'université de Copenhague, vient d'isoler deux nouvelles enzymes bactériennes capables de cliver spécifiquement les antigènes A et B à la surface des globules rouges.1 Les chercheurs ont passé au crible plus de 2500 isolats enzymatiques de bactéries et de champignons avant de découvrir les propriétés des bactéries Elizabethkingia meningosepticum et Bacteroides fragilis. L'enzyme a-N-acétylgalactosaminidase de la première a une haute spécificité pour les antigènes du groupe A, tandis que l'a-galactosidase de la seconde est spécifique à ceux du groupe B. Mises en présence de sang à pH neutre pendant une heure et à 26° C, ces enzymes suppriment effectivement les antigènes présents à la surface des érythrocytes, une conversion mise en évidence par marquage aux anticorps et analyse glycolipidique. Pour Jean-Daniel Tissot, directeur du Service régional vaudois de transfusion sanguine, cette étude est «géniale et attendue par le monde de la transfusion sanguine depuis longtemps». La faisabilité d'une telle approche enzymatique avait été démontrée dès les années 80 sur les globules rouges du groupe B, grâce à l'utilisation de galactosidases provenant de grains de café, mais la quantité d'enzyme nécessaire était beaucoup trop importante pour pouvoir l'appliquer.2 Cependant, reprend le Pr Tissot, «il faut attendre les résultats biologiques sur ce type d'érythrocytes "pelés", et notamment démontrer la stabilité de la membrane et le maintien de sa physiologie aussi bien pendant le stockage qu'après transfusion. De plus, il faut vérifier que des traces d'enzymes, si elles sont transfusées en même temps que les globules rouges, ne déclanchent pas d'effets secondaires». Toutes les études cliniques restent donc encore à faire. Mais une telle technique, si elle devenait applicable, pourrait peut-être pallier le manque de donneurs car elle «permettrait une gestion optimale des stocks de produits sanguins, et surtout de mieux sélectionner les transfusions dans les autres systèmes de groupes sanguins, sachant qu'il existe 29 systèmes, et plus de 300 antigènes différents».1 Liu QP, Sulzenbacher G, Yuan H, et al. Bacterial glycosidases for the production of universal red blood cells. Nat Biotechnol 2007;25:454-64.2 Goldstein J, Siviglia G, Hurst R, et al. Group B erythrocytes enzymatically converted to group O survive normally in A, B, and O individuals. Science 1982;215:168-70.23.05.2007