Il y a peu encore il était de bon ton, dans certains milieux, de postuler que certaines substances illicites de nature à modifier les états de conscience pouvaient être consommées sans provoquer des conséquences neurologiques à moyen ou long terme. C'était tout particulièrement vrai pour le cannabis et l'ecstasy qui étaient alors qui sont encore ? présentées comme de simples substances «récréatives». Or, voici que plusieurs publications scientifiques récentes éclairent cette question de nouvelles lumières pour ce qui est de l'ecstasy et du cannabis.Pour ce qui est de l'ecstasy, ce dérivé de l'amphétamine, la dernière information en date est signée par un groupe de biologistes et de toxicologues portugais dirigés par le Dr Félix Dias Carvalho (Département de toxicologie, Université de Porto). Cette équipe vient d'annoncer dans le dernier numéro du Journal of Neuroscience avoir découvert un mécanisme moléculaire expliquant l'action de l'ecstasy (MDMA) sur le métabolisme cérébral. «Nos travaux nous permettent aujourd'hui de soutenir sérieusement l'hypothèse selon laquelle la consommation de MDMA est de nature neurotoxique, a déclaré au Monde le Dr Carvalho. Nous pensons que le mécanisme que nous avons mis en lumière est de nature à pouvoir induire chez les consommateurs de cette substance psychotrope un vieillissement accéléré du système nerveux central et, par-là même, un risque accru de survenue de pathologies neurodégénératives, au premier rang desquelles la maladie d'Alzheimer.»Or, il est aujourd'hui bien établi que l'ecstasy fait l'objet d'une consommation croissante chez les jeunes, particulièrement lors des manifestations «raves» au cours desquelles, en France notamment, la police peut être étonnamment tolérante. Pour les spécialistes des neurosciences, cette consommation justifie à l'évidence que l'on s'intéresse à ses possibles effets neurotoxiques de la même façon que l'on cherche à décrypter les mécanismes cérébraux des phénomènes d'assuétude.En 2005, une équipe française de l'Unité 619 de l'Inserm avait identifié dans la revue Brain Research un mécanisme d'action de l'ecstasy. «Travaillant chez le rat un modèle animal considéré comme pertinent en neurobiologie , nous avons montré que l'administration de MDMA à des femelles gestantes, dans une période correspondant chez l'humain au troisième trimestre de grossesse, induisait chez les petits puis chez les rats devenus adultes des dysfonctionnements de certains circuits neuronaux importants, ceux dits à dopamine et à sérotonine, a expliqué au Monde Sylvie Chalon, directrice de recherche à l'Inserm. Le travail de nos collègues portugais apporte de nouvelles informations sur les mécanismes d'action de l'ecstasy qui vont dans le même sens quant à la toxicité à long terme.»L'équipe du Dr Carvalho qui a également travaillé sur le rat démontre en substance que l'ecstasy agit sur les mitochondries des cellules neuronales qui, réunies en différents circuits, jouent un rôle majeur dans le fonctionnement cérébral. La MDMA induit une destruction mitochondriale en prenant pour cible la monoamine oxydase B présente dans ces organites.«Ce travail très intéressant confirme l'un des aspects neurotoxiques de l'ecstasy, estime pour sa part Jean-Pol Tassin (Inserm, Collège de France). Il nous permet d'avancer sur le décryptage des mécanismes de cette toxicité et suggère de quelle manière on pourrait, peut-être, limiter les effets délétères de cette drogue. Certains travaux récents laissent en effet penser que l'antidépresseur Prozac pourrait être proposé comme agent protecteur contre ce type de toxicité neurologique.»Pour ce qui est du cannabis, une nouvelle pièce scientifique a été versée il y a peu au dossier depuis longtemps controversé de sa nocivité. On sait que le cannabis est la plus consommée de toutes les substances psychotropes illégales. Sa consommation régulière augmenterait de 41% les risques de développer ultérieurement une affection psychiatrique de nature psychotique. Telle est la conclusion d'un travail mené par Theresa Moore (Université de Bristol) et Stanley Zammit (Université de Cardiff) après une méta-analyse de 35 études menées sur ce thème.Les chercheurs précisent, dans The Lancet daté du 28 juillet, que ce risque augmenterait parallèlement à l'intensité et à la durée de la consommation allant de 50% jusqu'à 200% pour les gros utilisateurs. A l'inverse, les corrélations avec des épisodes anxieux ou dépressifs (ou encore avec les tendances suicidaires) apparaissent moins marqués.Prudents il faut toujours l'être mais dans ce domaine peut-être encore plus que dans d'autres , les auteurs se refusent à établir une relation de causalité entre la consommation de cannabis et la survenue d'affections psychotiques. Ils ajoutent encore que s'ils observent bien une augmentation du risque, la fréquence de ces affections, notamment sous forme chronique comme pour la schizophrénie, apparaît relativement faible et ce même chez les consommateurs réguliers.Reste, selon eux, l'essentiel : il existe suffisamment de données statistiques pour mettre en garde les consommateurs des risques auxquels ils s'exposent mais aussi pour informer l'opinion publique. De telles initiatives sont, selon eux, d'autant plus nécessaires que le nombre des adolescents et des jeunes adultes consommateurs de cannabis est en augmentation régulière dans les pays industrialisés.«Le cannabis a généralement été considéré comme une drogue plus ou moins inoffensive comparée à l'alcool, aux stimulants centraux et aux opiacés, écrivent les docteurs Merete Nordentoft et Carsten Hjorthoj (Hôpital universitaire de Copenhague, Danemark) dans un commentaire accompagnant cette publication. Cependant, les effets potentiels à long terme concernant les risques de survenue d'affections psychotiques apparaissent tels aujourd'hui qu'il est nécessaire de mettre en garde le public sur ce danger et de mettre au point un traitement pour aider les jeunes, fréquents consommateurs de cannabis.»The Lancet a pour sa part l'élégance de rappeler qu'il n'a pas, dans ses éditoriaux, toujours défendu une telle position. Pour les responsables du prestigieux hebdomadaire britannique, il est désormais indispensable que les pouvoirs publics et les autorités sanitaires financent des campagnes d'éducation sur les risques d'une telle consommation. Dont acte.03.10.2007