Nous avions refermé un peu trop vite la porte sur cette triste mais éclairante affaire qu'est l'usage que l'actuel gouvernement français, suivant en cela les volontés du président de la République, entend faire des tests génétiques pour autoriser ou interdire certains regroupements familiaux (Revue médicale suisse des 10, 17 et 24 octobre 2007). C'est que tout n'est peut-être pas encore définitivement joué. Outre la réaction populaire initiée par un quotidien (Libération) et un hebdomadaire (Charlie Hebdo) et qui rencontre un certain écho,1 il faut compter avec l'initiative prise par des députés (du Parti socialiste, du Parti communiste et des Verts) qui viennent d'annoncer avoir déposé un recours auprès du Conseil constitutionnel contre «l'ensemble» de la loi Hortefeux, du nom de l'actuel ministre français «de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement».Ces députés demandent à ce Conseil de censurer notamment les articles sur les tests ADN et les statistiques ethniques. Ils expliquent «souhaiter s'adresser à la conscience de chacun des membres du Conseil, y compris ceux, comme les anciens présidents de la République, le président Chirac, le président Giscard d'Estaing, pour qu'ils écoutent notre argumentation.» «Nous avons besoin que tous les républicains s'unissent contre le risque de dérive par rapport aux principes républicains» ajoutent-ils. La position sur ce thème de Jacques Chirac aujourd'hui regardé comme un «grand républicain» par les députés de l'opposition est particulièrement attendue.Concrètement, le texte du recours développe les «griefs» des requérants contre l'article 13 de la loi Hortefeux, qui introduit «le test des empreintes génétiques dans le droit des étrangers», et l'article 63, qui autorise «les statistiques ethniques».L'article 13 constitue «une violation du droit au regroupement familial et du droit à la vie privée et familiale» et une «violation du principe d'égalité devant la loi entre les familles» dans la mesure où il «aboutit à privilégier la famille nucléaire biologique au détriment des autres formes de familles recomposées ou adoptives». Les auteurs de cette initiative relèvent en outre que l'article 13 enfreint les textes internationaux, notamment la directive de l'Union européenne du 22 septembre 2003 sur le regroupement familial et la Convention internationale sur les droits de l'enfant. Quant à l'article 63, introduit par voie d'amendement, sa censure est demandée en raison de «l'absence de tout lien avec l'objet du texte».On saura donc bientôt si ces dispositions sont ou non conformes avec l'esprit de la Constitution française. Et selon la réponse, l'image de la France aux yeux du monde comme aux yeux des Français sera radicalement différente.Dans l'attente, le voile se lève sur la politique que le gouvernement et une majorité du Parlement entendent mener en matière d'immigration. C'est ainsi que l'on élabore actuellement en France des listes de métiers ouverts aux travailleurs étrangers de telle ou telle nationalité. La physionomie des flux migratoires souhaités par le gouvernement est en train de se mettre en place. Les services de M. Brice Hortefeux ont soumis deux listes aux organisations syndicales et patronales. La première est une liste de 30 métiers que ce ministère compte ouvrir aux travailleurs étrangers originaires de pays hors de l'Union européenne. La seconde est celle de 152 métiers qui seront ouverts aux ressortissants de l'Union. La plupart des métiers accessibles aux ressortissants des pays tiers sont des métiers très qualifiés (géomètre, informaticien
) exigeant des diplômes de l'enseignement supérieur.Les métiers ouverts aux ressortissants des nouveaux Etats membres de l'UE (employé de ménage, serveur en restauration
) ne nécessitent en revanche que peu ou pas de qualification. Bien évidemment, il ne s'agit là que de «document préparatoire». Bien évidemment, «les listes doivent encore être ajustées» afin d'obtenir «une immigration économique maîtrisée dans quelques secteurs en tension». Si l'affaire n'était pas si grave, on dirait que tout ceci est cousu de fil blanc.Et on ne peut pas ne pas rapprocher les affaires de l'actualité récente qui nous vient de Suisse. «Les sondages l'avaient laissé entendre, et pourtant le choc est rude : les électeurs helvétiques ont placé en tête des élections législatives du 21 octobre l'Union démocratique du centre (UDC), dont l'homme fort, Christoph Blocher, ne cache pas ses idées xénophobes. Avec 29% des voix, l'UDC gagne près de trois points, conforte sa place de premier parti de Suisse, loin devant les socialistes, et étend son influence au-delà des cantons alémaniques pour s'implanter chez les Romands, pouvait-on lire, il y a peu, dans un éditorial du Monde. Le caractère feutré de sa vie politique et son goût de la modération assuraient à la Suisse une place à part. Elle va rester une exception, mais pour des raisons opposées. "Y en a point comme nous", cette fière revendication des Romands est en passe de se vérifier pour toute la Confédération. Mais ce qui était une prétention à l'excellence n'est plus, cette fois, à son avantage.»On aimerait, sur ce terrain que la France ait une prétention à l'excellence.1 Près de 300 000 personnes ont déjà signé une pétition contre les nouvelles dispositions législatives en la matière. (http://www.touchepasamonadn.com/) Extraits de ce texte : «En instaurant des tests ADN pour prouver une filiation dans le cadre d'un regroupement familial, l'amendement Mariani, adopté par l'Assemblée Nationale, fait entrer la génétique dans l'ère d'une utilisation non plus simplement médicale et judiciaire mais dorénavant dévolue au contrôle étatique. Cette nouvelle donne pose trois séries de problèmes fondamentaux. Tout d'abord, des problèmes d'ordre éthique. En effet, l'utilisation de tests ADN pour savoir si un enfant peut venir ou non rejoindre un parent en France pose d'emblée cette question : depuis quand la génétique va-t-elle décider de qui a le droit ou non de s'établir sur un territoire ? Au-delà, depuis quand une famille devrait-elle se définir en termes génétiques ? Sont pères ou mères, les personnes qui apportent amour, soin et éducation à ceux et celles qu'ils reconnaissent comme étant leurs enfants. Ensuite, cet amendement fait voler en éclats le consensus précieux de la loi bioéthique qui éloignait les utilisations de la génétique contraires à notre idée de la civilisation et de la liberté. Enfin, cet amendement s'inscrit dans un contexte de suspicion généralisée et récurrente envers les étrangers qui en vient désormais à menacer le vivre ensemble. Car tout le monde s'accorde à dire que la fraude au regroupement familial ne peut être que marginale au regard des chiffres d'enfants annuellement concernés et au regard de l'absence de raison substantielle qu'il y aurait à frauder dans ce domaine. En effet, quelle étrange raison pousserait les immigrés à faire venir massivement dans notre pays des enfants qu'ils sauraient ne pas être les leurs ? Autrement dit, l'amendement instaurant les tests ADN n'a pas pour fonction de lutter contre une fraude hypothétique mais bien de participer à cette vision des immigrés que nous récusons avec force.»07.11.2007