Tout le monde, ou presque, connaît Ian Wilmut. Cet embryologiste anglais était généralement présenté comme le créateur, il y a dix ans, de la brebis Dolly avant qu'une controverse ne jette un doute sur la participation respective des chercheurs du Roslin Institute dans ce qui restera comme l'une des grandes affaires de la fin du XXe siècle et sans doute du XXIe. Avant Dolly, ses recherches l'avaient conduit à obtenir en 1973 la naissance de Frosty, première vache issue d'un embryon bovin congelé. Après Dolly vint Polly, brebis également créée par transfert nucléaire mais dont le patrimoine avait été génétiquement modifié et «humanisé».Le clonage, alors, semblait la voie de l'avenir, le triomphe assuré, l'Eldorado de la biologie et de la médecine. L'homme élargissait son pouvoir sur l'animal et le végétal. Certains pensaient aussi tout haut que le même homme tenait enfin les rênes lui permettant de guider l'avenir de son espèce. On sait que le ciel fut moins bleu que prévu. Et les obstacles sont toujours là qui interdisent de penser que la maîtrise pleine et entière de la technique à des fins de reproduction sera acquise à court ou moyen terme. Si elle doit l'être un jour.Et voici, brutalement, que Ian Wilmut vient de nous annoncer qu'il abandonne le clonage pour se rapprocher de l'équipe japonaise de Shinya Yamanaka (Université de Kyoto) qui vient de mettre au point un procédé permettant d'obtenir l'équivalent de cellules souches embryonnaires humaines à partir de fibroblastes (Revue médicale suisse du 5 décembre). L'affaire fait grand bruit sur la Toile. L'embryologiste anglais l'a d'abord annoncé dans les colonnes du Daily Telegraph. «J'ai décidé il y a quelques semaines de ne pas continuer dans le transfert nucléaire, a-t-il expliqué. La recherche sur les cellules souches est une technique plus facile à accepter socialement tout en étant extrêmement passionnante et étonnante.»Il n'est jamais inintéressant d'entendre un scientifique s'intéresser à l'acceptabilité sociale des travaux qu'il a menés, qu'il mène ou qu'il mènera. L'affaire est ici d'autant plus intéressante que Ian Wilmut a, il y a peu, publié un ouvrage de vulgarisation de ses travaux, ouvrage dédié, en toute simplicité, «aux dizaines de millions de personnes qui bénéficieront un jour des recherches sur le clonage, sur les embryons et sur les cellules souches».1 Le professeur de biologie de l'Université d'Edimbourg (prudemment présenté comme «ayant longtemps travaillé à l'Institut Roslin où Dolly est née») signe ce livre avec Roger Highfield, responsable de la section scientifique du Daily Telegraph.La version française comporte une préface du Pr Axel Kahn. «Il existe toujours plusieurs dimensions à une découverte scientifique ou à un progrès technologique de premier plan : les aspects purement conceptuels, leurs conséquences en termes d'augmentation du pouvoir humain, mais aussi les circonstances de leur survenue, écrit le médecin et généticien français. Toute percée en ces domaines est à la fois le fruit d'une évolution des connaissances et des conceptions et celui d'une aventure humaine avec ce qu'elle implique d'espoirs, d'hésitations, de fulgurances, de déceptions et d'exaltations. Ce sont toutes ces facettes que nous présente d'abord Ian Wilmut dont l'ouvrage est constitué de plusieurs récits et réflexions, parfois intriqués.»Intéressons-nous ici à quelques-unes des réflexions menées par celui qui accorde tant d'importance à l'acceptabilité sociale des travaux scientifiques. A commencer par ce chapitre intitulé «Un blastocyste n'est pas une personne». «Même s'il vient juste de commencer son développement, l'embryon humain mérite notre respect parce qu'il peut, si les circonstances sont favorables, devenir une personne, écrit Wilmut. Toutefois le fait qu'un blastocyste soit doté d'un tel potentiel ne signifie pas bien entendu qu'il possède la même autorité qu'une personne, de même qu'une jeune fille qui veut étudier la médecine n'a pas les mêmes droits qu'un médecin qualifié. Ainsi que l'a écrit John Harris dans The Value of Life, nous sommes tous potentiellement morts, mais cela ne signifie pas que nous devons être traités comme si nous étions morts.»Il ajoute : «La principale raison pour laquelle je ne considère pas un blastocyste comme une personne est qu'il n'a aucune vie mentale. (
) L'un des changements sociaux auxquels j'ai assisté dans ma vie est l'effort considérable qui a été consacré à l'égalité des chances. Je l'applaudis certes des deux mains, mais cela ne signifie pas, comme l'affirment certains, que tout embryon mérite de vivre. Ou que des parents potentiels ne doivent pas recourir à la médecine moderne pour empêcher la naissance d'un enfant atteint d'une maladie héréditaire.» On connaît des professions de foi plus structurées.Certaines réflexions nous conduisent plus loin : «J'envisage d'utiliser des cellules souches embryonnaires, que l'on peut développer presque indéfiniment (
). Pour empêcher la naissance d'enfants affectés de maladies génétiques, on prendrait un embryon conçu par fécondation in vitro présentant d'après le diagnostic préimplantatoire une maladie héréditaire, on enlèverait les cellules souches, on ferait la réparation génétique, on vérifierait qu'elle fonctionne, puis on appliquerait le transfert nucléaire à un ovule énucléé pour créer un nouvel embryon dépourvu de la maladie.» Que n'y avait-on songé plus tôt ? Mais est-ce encore d'actualité pour Ian Wilmut ? L'auteur va plus loin encore en se prononçant pour l'amélioration de la lignée germinale. Il cite ici un extrait de James Watson et de son célèbre ADN, Le secret de la vie : «La thérapie génique germinale pourrait rendre l'humanité résistante aux ravages du VIH. Certains diront qu'au lieu de modifier les gènes des gens, nous devrions traiter le maximum de personnes et mettre tout le monde en garde contre les dangers de la promiscuité sexuelle. Je trouve cependant que cette réaction moraliste est profondément immorale. L'éducation s'est révélée une arme puissante pour notre combat, mais désespérément insuffisante.» On sait que Watson défend la thèse d'une amélioration génétique de l'espèce en intégrant des modifications qui satisfassent plus nos désirs que nos besoins. Pour l'heure, les milieux catholiques ont applaudi à l'annonce de l'abandon par Ian Wilmut de ses recherches sur le clonage tout comme ils avaient applaudi à l'annonce du résultat de l'équipe de Shinya Yamanaka. Ceux qui applaudissent n'ont peut-être pas lu l'étrange «Après Dolly». Bibliographie 1 Ian Wilmut et Roger Highfield. Après Dolly ; Bons et mauvais usages du clonage. Paris : Editions Robert Laffont, 2007 ; 315 pages.12.12.2007