L’arrivée de l’adalimumab (Humira) et du certoluzimab pégol (Cimzia), deux nouveaux agents anti-TNF indiqués dans la maladie de Crohn active, constitue l’acquisition thérapeutique de l’année. Ces nouveaux produits offrent des possibilités de traitement bienvenues car, depuis l’introduction de l’infliximab, l’utilité du blocage du TNF est reconnue pour la prise en charge de ces patients. L’article de Felley et coll. fait le point sur cette question. Au-delà des données qui ont mené à l’enregistrement de l’adalimumab et du certolizumab pégol, il convient de discuter quelques questions liées à l’utilisation pratique de ces nouveaux agents.
Il faut souligner que les anti-TNF sont tous différents. Leurs sites de liaison sur le TNF ainsi que leur mode d’action diffèrent. Sur le plan de l’efficacité, aucune étude n’a comparé directement ces agents dans les maladies inflammatoires de l’intestin (MICI). De plus, les nouveaux agents (adalimumab et certolizumab) n’ont été testés en études randomisées que dans la maladie de Crohn luminale modérée à sévère de l’adulte, mais pas dans les autres formes de cette maladie ni dans la colite ulcéreuse. Donc s’il est tentant de les comparer, il n’est pas exclu que des différences de populations de patients et de protocoles puissent masquer des différences d’efficacité. Il n’est pas non plus correct d’extrapoler aux autres produits les résultats et les limites de l’infliximab.
L’adalimumab est un anticorps 100% humain, tandis que le certolizumab est une fragment Fab humanisé pégylé. Ce sont donc des protéines de synthèse dont certains aspects structurels, dont le site de liaison du TNF ainsi que les glycosylations latérales, sont inconnus du répertoire humain. Si l’incidence d’anticorps contre ces nouveaux anti-TNF a été plus basse qu’initialement observé contre l’infliximab, c’est essentiellement parce que les leçons du passé ont été tirées et que l’administration épisodique de ces nouveaux agents a été évitée. Le seul taux rapporté dans un groupe sans immunosuppresseurs avec traitement court par un des nouveaux agents est le taux des patients ayant reçu le certolizumab en induction et le placebo en maintenance dans l’étude PRECISE 2.1 Dans ce groupe, un taux de 24% d’anticorps anti-certolizumab a été observé à six mois. Il n’y a pas de données correspondantes fiables pour l’adalimumab.2,3 Il est donc prudent de considérer les nouveaux anti-TNF comme potentiellement immunogéniques et d’éviter les traitements épisodiques sans immunosuppresseurs.
Les études avec l’infliximab dans les MICI ainsi que l’expérience avec l’ensemble des agents anti-TNF dans la polyarthrite rhumatoïde nous ont appris que le blocage du TNF est finalement assez bien toléré, même si l’usage de ces médicaments est associé avec un risque infectieux légèrement accru. Toutefois, l’ampleur et la nature des risques liés à un médicament ne sont qu’en partie révélées lors des études de phase II ou III mais dérivent surtout d’observations faites après la mise sur le marché du produit, lorsque des patients moins bien sélectionnés et surtout plus nombreux y sont exposés. Les agents anti-TNF n’échappent pas à cette règle et certains dangers rares mais très sérieux de l’infliximab, mis sur le marché en 1998, sont encore apparus cette année.4 Il va certainement en être de même pour les nouveaux agents de cette classe, même si certains effets secondaires sont des effets de classe (la réactivation de la tuberculose, par exemple). Dans ce domaine, il est donc raisonnable d’appliquer le principe de précaution : les complications observées avec l’infliximab ont des probabilités d’être aussi observées avec les autres produits même s’il y aura sans doute quelques différences, comme un risque réduit de transfert transplacentaire du certolizumab, non pourvu de portion Fc.
Les nouveaux agents anti-TNF ont en commun l’administration par voie sous-cutanée qui est clairement plus facile et rapide qu’une administration par perfusion, requise pour l’infliximab. Toutefois, dans l’administration de tels produits, il y a bien plus dans une perfusion en milieu médical que la perfusion elle-même. En effet, l’observation des soignants apporte une information de suivi importante sur la maladie de base et sur la possible survenue d’effets secondaires, notamment d’infections, permet de suivre la compliance et d’assurer l’état de conservation des produits, éléments qui sont loin d’être assurés en autoadministration à domicile.5 Dans la pratique hospitalière, nombre de perfusions d’infliximab sont reportées pour cause d’état fébrile, de toux persistante, ou d’abcès péri-anaux que les patients n’annoncent pas spontanément. Par ailleurs, l’administration par le patient à domicile comporte le risque de devenir une administration épisodique par manque de compliance, notamment chez les patients en rémission, sans compter qu’elle reste non étudiée sur le plan de la sécurité et de l’efficacité. Cela entraîne un risque de perte de réponse par développement d’anticorps, voire le retour de réactions allergiques parfois sévères, problèmes largement résolus depuis l’administration programmée de l’infliximab et dont la survenue à domicile n’est certainement pas souhaitable. Par ailleurs, un suivi régulier des patients sous anti-TNF reste recommandé à une fréquence de deux mois, similaire à celle des perfusions d’infliximab ou des suivis des patients sous immunosuppresseurs.
En résumé, il y a encore passablement de points en suspens auxquels des réponses devront être apportées par l’expérience commune, ce qui souligne l’importance d’inclure ces patients dans des registres de patients comme la Swiss IBD cohort study, afin de rassembler les informations requises. L’arrivée de ces nouveaux produits est une chance pour de nombreux patients, notamment ceux qui ont perdu la réponse à l’infliximab, en partie parce qu’ils ont fait les frais de notre manque de connaissances initiales. Essayons de ne pas pécher par excès d’optimisme et manque de rigueur dans notre interprétation des données ainsi que dans la conduite de notre pratique clinique.