Je ne me sens pas particulièrement accablé. Je ne connais pas trop d’amertumes non plus et je crois même ne pas avoir trop de revanches à prendre. Par contre, c’est vrai que je suis régulièrement très profondément touché par les mots que j’entends de mes patients lorsqu’ils disent leurs inquiétudes et les passions qui les animent. Je suis immanquablement décontenancé par les réformes qu’endurent les soignants ambulatoires et ceux qui œuvrent dans les hôpitaux. Je suis également souvent étourdi par la force des attentes qui se projettent sur ma profession, et je me questionne sur les forces sauvages qui jaillissent de mon intérieur lorsque je m’aperçois que le savoir médical qui devrait baliser ma pratique recouvre si peu les réalités que je rencontre.
Alors, lorsque je me sens trop vulnérable ou pour arriver à prendre du recul sur cette vie, j’aime bien chausser mes baskets et m’éclipser quelques temps pour aller courir. Dans ces moments, je profite beaucoup de la régularité des paysages que je connais par cœur. De plus, le fait de parcourir quelques kilomètres en solitaire convient parfaitement à mes humeurs lorsque je sens bien qu’il y a toutes sortes de choses que j’aimerais dire mais que je garde en moi pour ne choquer personne (version bonne éducation), ou pour éviter des ennuis (version prudence…).
Le plus souvent (est-ce l’euphorie du coureur de fond ?), je finis par me convaincre qu’il n’y a finalement rien de si grave qui me tracasse. Du moins rien qui ne se révèle pas potentiellement rectifiable. Parfois, il n’y a d’ailleurs rien d’autre que le besoin de faire quelques pas à côté de ma vie.
A entendre le rythme de mes pas, à sentir le soleil qui effleure le brouillard ou à sentir l’air glacial qui me transperce, je parviens à me dépouiller un peu de mes systèmes de survie. Je réussis à contourner mes défenses les plus massives. Je parviens à reconsidérer différemment mes ruminations. Au bout d’un certain temps, à bout de souffle, il y a toujours de fortes chances pour que je découvre de nouvelles pistes qui me permettent de résoudre ce qui m’encombre. Sans jamais oublier que la vie examinée à la loupe ne mérite souvent pas d’être vécue. Bon début d’année.