On sait que les affaires médicales peuvent parfois se nourrir d’irrationnel ; surtout lorsqu’elles en viennent à prendre une dimension judiciaire. C’est le cas depuis plus de dix ans en France avec le feuilleton à rebondissements multiples qu’est devenue l’affaire de l’hépatite B. Dernier développement en date : la toute récente mise en examen des responsables des deux multinationales pharmaceutiques Sanofi Pasteur MSD et GlaxoSmithKline pour « tromperie sur les contrôles, les risques et les qualités substantielles d’un produit ayant eu pour conséquence de le rendre dangereux pour la santé de l’homme ».
Cette décision judiciaire vise les conditions dans lesquelles ces deux firmes ont, dans les années 1990, commercialisé un vaccin protecteur contre l’hépatite virale de type B. Elle concerne plus précisément une campagne nationale de vaccination qui avait été lancée avec une forte publicité par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé. Cette campagne avait au total concerné près de vingt millions de personnes, enfants et adultes, entre 1994 et 1998. C’est alors que certaines de ces personnes se plaignirent, dans les semaines ou les mois qui suivirent cette vaccination, de certaines manifestations neurologiques, au premier rang desquelles des poussées de sclérose en plaques. On estime aujourd’hui à 1300 le nombre des dossiers ouverts sur ce thème par les autorités sanitaires.
A partir de 1997, plusieurs plaintes pénales furent déposées. Le dossier judiciaire compte aujourd’hui 29 parties civiles dont cinq représentent des personnes décédées. En 2005, la Cour de justice de la République avait classé sans suite une plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui » visant d’anciens ministres de la Santé : Jean-François Mattei, Bernard Kouchner et Philippe Douste-Blazy.
« Nous sommes satisfaits dans la mesure où ces mises en examen confortent notre thèse selon laquelle les recommandations en vue de la vaccination n’étaient pas conformes aux risques véritables » a déclaré à l’Agence France-Presse l’un des avocats des parties civiles. La recommandation d’une vaccination à grande échelle allait très au-delà des populations à risque, comme les toxicomanes ou les professionnels de santé, notamment en ce qui concerne la vaccination scolaire généralisée. » Pour leur part, les responsables de Sanofi Pasteur MSD estiment que les accusations les concernant dans cette affaire ne sont pas justifiées.
Si les hypothèses ne manquent pas pour expliquer comment cette vaccination pourrait induire des manifestations neurologiques, force est de constater que toutes les études épidémiologiques menées sur ce thème ont échoué quant à l’établissement de données permettant de conclure, sur une base statistique, à un probable lien de causalité. En d’autres termes, le fait de vacciner en un court laps de temps un grand nombre de personnes adultes conduisait immanquablement à faire qu’au décours de la vaccination des événements neurologiques surviennent qui seraient apparus en l’absence de la dite vaccination. A une époque marquée comme on le sait par le principe de précaution, tout ceci n’a pas empêché les autorités sanitaires françaises de manifester un certain flottement.
C’est ainsi qu’en 1998 Bernard Kouchner, alors secrétaire d’Etat à la Santé, décidait de suspendre les campagnes scolaires de vaccination menées depuis 1994 chez les élèves des classes de sixième. Mais pour M. Kouchner, cette décision ne remettait pas en question la nécessité de vacciner tous les nourrissons ainsi que les préadolescents. Il expliquait alors souhaiter « réhabiliter le geste vaccinal » et entendait que cette protection se fasse dans le cadre d’une rencontre personnalisée avec un médecin et non lors de campagnes de masse. Comme on pouvait aisément le redouter cette initiative fut fort mal perçue, l’opinion ne comprenant pas que l’on puisse recommander de vacciner des enfants ou des nourrissons alors qu’on jugeait nécessaire de ne plus le faire à l’école.
Où en est-on dix ans plus tard? La vaccination contre l’hépatite B demeure recommandée pour les nourrissons et les enfants. Mais en pratique cette recommandation n’est plus guère suivie d’effet. « Le bénéfice de la vaccination, en termes collectif, paraît nettement supérieur aux inconvénients, mais on se heurte encore à une situation d’interrogation chez les médecins et probablement dans l’esprit de certains parents », observe le Pr Didier Houssin, directeur général de la Santé. Pour dire le vrai, le Pr Houssin manie l’euphémisme. La vérité, comme le précise Jean-Pierre Zarski, président de la Fédération nationale des « pôles de référence et réseaux hépatites » c’est que la couverture vaccinale française contre l’hépatite B est parmi les plus faibles en Europe.
Outre la recommandation concernant les plus jeunes (à partir de deux mois et avant treize mois), les autorités sanitaires privilégient la vaccination des groupes à risque (toxicomanes, personnes ayant des relations sexuelles avec des partenaires multiples, personnes voyageant dans des pays d’endémie ou fréquemment transfusées) et maintiennent son caractère obligatoire pour les professionnels de santé exposés au sang ou aux liquides biologiques (chirurgiens, infirmières, sages-femmes). Pour le Pr Zarski, la meilleure stratégie est de vacciner le plus tôt possible ne serait-ce que parce que les nourrissons sont dépourvus de myéline et « n’ont donc pas de risque de développer une sclérose en plaques » ou autre affection démyélinisante.
« En France, environ 30% des nourrissons sont aujourd’hui vaccinés contre l’hépatite virale de type B, indique-t-il. Et ce alors que l’on atteint des chiffres supérieurs à 70-80% dans les pays européens voisins comme l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne. » Selon l’Institut de veille sanitaire, la couverture vaccinale est passée de 62,4% en 2000-2001 en classe de 3e (enfants ayant bénéficié des campagnes de vaccination en classe de 6e), à 42,4% en 2003-2004. Pour le Pr Houssin, la faible couverture vaccinale constitue un réel problème dans la mesure où le virus pathogène qui affecte environ 280 000 personnes en France continue à circuler au sein de la population générale. L’hépatite B est d’autre part directement responsable de 1500 décès chaque année.
Tous les spécialistes observent que cette controverse est un phénomène spécifiquement français. Une situation d’autant plus étonnante que c’est en France, il y a trente ans, que le Pr Philippe Maupas et son équipe du CHU Bretonneau et de la Faculté de pharmacie de Tours avaient pour la première fois au monde mis au point ce vaccin contre l’hépatite virale de type B ; une première qui a sans conteste été l’un des progrès médicaux majeurs de ce dernier quart de siècle.