Malgré la haute prévalence des troubles paniques parmi les patients consultant auprès des praticiens de premier recours, cette pathologie reste fréquemment mal diagnostiquée et peu traitée de façon spécifique. Après avoir envisagé la définition et les critères diagnostiques du DSM-IV pour les troubles paniques, nous aborderons la démarche diagnostique différentielle somatique et psychiatrique. Les approches psychothérapeutiques cognitivo-comportementales et psychodynamiques ont montré une efficacité pour la prise en charge des troubles paniques. Alors que les benzodiazépines ont une efficacité anxiolytique rapide, leur usage est limité en raison du risque de développement d’une dépendance ou d’une tolérance. Les antidépresseurs (ISRS ou venlafaxine) sont efficaces pour prévenir les attaques de panique et constituent le traitement pharmacologique de choix à long terme.
Les troubles paniques font partie des troubles anxieux, diagnostics différentiels qui devront être systématiquement et soigneusement recherchés (tableau 1).
Le trouble panique correspond à la répétition des attaques de panique ou à la crainte persistante de leur survenue pendant au moins un mois. Les patients sont inquiets par les implications de leurs attaques de panique, ce qui provoque fréquemment des modifications comportementales, cognitives et affectives. Les symptômes ne doivent pas être en relation avec la présence d’une pathologie somatique, ou être mieux expliqués par un autre trouble psychiatrique.1
Une attaque de panique peut être spontanée ou déclenchée par la confrontation avec un objet phobogène, ou encore être la conséquence de la prise de certaines drogues ou de médicaments. Selon le DSM-IV, une attaque de panique ne peut pas être codée en tant que telle, mais il faut envisager le diagnostic spécifique dans lequel survient l’attaque de panique. Une phobie spécifique est retenue si l’évitement est limité à une ou seulement quelques situations spécifiques, alors que l’on diagnostique une phobie sociale si l’évitement est limité aux situations sociales.
Selon le DSM-IV,1 il s’agit d’une période bien délimitée dans le temps, avec crainte ou malaise intense, dans laquelle au minimum quatre des symptômes suivants sont survenus de façon brutale et ont atteint leur acmé en moins de dix minutes :
palpitations, battements de cœur, ou accélération du rythme cardiaque ;
transpiration ;
tremblements ou secousses musculaires ;
sensation de « souffle coupé » ou impression d’étouffement ;
sensation d’étranglement ;
douleur ou gêne thoracique ;
nausée ou gêne abdominale ;
sensation de vertige, d’instabilité, de tête vide ou impression d’évanouissement ;
déréalisation (sentiment d’irréalité) ou dépersonnalisation (être détaché de soi) ;
peur de perdre le contrôle de soi ou de devenir fou ;
peur de mourir ;
paresthésies (sensations d’engourdissements ou de picotements) ;
frissons ou bouffées de chaleur.
Ces symptômes ne doivent pas être en relation avec la présence d’une pathologie somatique, ou être mieux expliqués par un autre trouble psychiatrique.
L’agoraphobie se définit comme une anxiété liée au fait de se retrouver dans des endroits ou des situations d’où il pourrait être difficile (ou gênant) de s’échapper, ou dans lesquels on pourrait ne pas trouver secours en cas d’attaque de panique.1 Il s’agit d’une anxiété inattendue, ou facilitée par des situations spécifiques. Par exemple, les patients ont peur de se retrouver seuls en dehors de leur domicile, d’être dans une foule, dans une file d’attente, sur un pont, dans un train, une voiture, ou un autobus.
Les situations sont soit évitées, soit subies avec une souffrance intense ou avec la crainte d’avoir une attaque de panique. Des symptômes à type de panique peuvent également être présents et nécessiter la présence d’un accompagnant.
L’agoraphobie est exclue lorsque l’anxiété, ou l’évitement phobique, est mieux expliquée par un autre trouble mental, tels une phobie sociale, une phobie spécifique, un trouble obsessionnel compulsif, un état de stress post-traumatique ou un trouble d’anxiété de séparation.1
Après avoir défini les attaques de panique et l’agoraphobie, nous pouvons décrire les critères diagnostiques A, B, C et D du DSM-IV1 pour les troubles paniques avec agoraphobie (tableau 2).
Au-delà des critères diagnostiques, les symptômes les plus souvent rapportés par les patients souffrant d’un trouble anxieux avec agoraphobie2 sont décrits dans le tableau 3.
idem tableau 2 ;
absence d’agoraphobie ;
idem tableau 2 ;
idem tableau 2.
Selon l’Epidemiologic Catchment Area Study, 2-3% des femmes et 0,5-1,5% des hommes souffrent des troubles paniques.2 La prévalence de l’agoraphobie est légèrement supérieure avec un pourcentage d’environ 2% dans la population générale. La plupart des patients (79%) développent des troubles paniques et une agoraphobie avant l’âge de 30 ans. Habituellement, il n’existe pas de facteurs précipitants avant l’apparition des troubles paniques ou de l’agoraphobie bien que certains patients puissent signaler des ruptures affectives, des maladies somatiques, des traumatismes, etc.2
Avant d’envisager la prise en charge des troubles paniques, une attention particulière doit systématiquement cibler la question des diagnostics différentiels.3,4 Il convient de différencier les diagnostics différentiels autant que les comorbidités somatiques, psychiatriques et en rapport avec des substances psychoactives.2
Angine
Arythmie cardiaque
Angor instable
Hypoglycémie
Hypoxie
Embolie pulmonaire
Douleurs sévères
Thyrotoxicose
Carcinome
Phéochromocytome
Syndrome de Menière
Le diagnostic différentiel somatique devra s’appuyer sur une consultation spécialisée en cas de doute (tableau 4).
Schizophrénie et autres troubles psychotiques
Troubles de l’humeur
Troubles de la personnalité
Troubles anxieux avec et sans troubles de l’adaptation
Caféine
Aminophylline et dérivés
Agents sympathicomimétiques
Glutamate de monosodium
Psychostimulants et hallucinogènes
Alcool et sevrage éthylique
Benzodiazépines et hypnotiques sédatifs
Hormones thyroïdiennes
Antipsychotiques
Différents modèles neurobiologiques ont été proposés pour expliquer l’étiologie des attaques de panique.2 Principalement, il s’agit d’anomalies impliquant un niveau de catécholamines accru au niveau cérébral, des troubles au niveau du locus cœruleus (une aire cérébrale noradrénergique régulant le niveau d’anxiété), une hypersensibilité du centre respiratoire au dioxyde de carbone, des troubles dans le métabolisme du lactate et des anomalies de la transmission GABAergique (hypogabaergie). Des données expérimentales sont en faveur de ces variations neurobiologiques objectivées, bien qu’aucune de ces observations ne puisse rendre compte de l’ensemble des manifestations subtiles rencontrées dans les troubles paniques. Il existe également des études avec des jumeaux monozygotes suggérant qu’il existe une vulnérabilité génétique pour les troubles paniques (45% de risque pour les jumeaux monozygotes versus 15% pour les jumeaux dizygotes).2
D’un point de vue psychodynamique, le refoulement (retenir en dehors du champ de la conscience des représentations sexuelles inacceptables pour le sujet) est considéré comme un mécanisme de défense fondamental impliqué dans la genèse des attaques de panique. Lorsque l’énergie attachée à ces représentations inacceptables est trop importante, le refoulement échoue et ces éléments arrivent à l’état conscient sous forme déformée, en tant que symptômes anxieux.
D’un point de vue cognitivo-comportemental, l’anxiété serait conditionnée par un mauvais apprentissage de la peur, en réponse à certains stimuli environnementaux (figure 1).
Les troubles paniques sont fréquemment pris en charge en associant une approche psychothérapeutique cognitivo-comportementale ou psychodynamique avec une prescription de benzodiazépines à court terme et d’antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine – ISRS ou venlafaxine) à long terme.3-6 La plupart des études de suivi suggèrent qu’environ 50 à 70% des patients répondent à ces traitements, bien que moins d’un tiers d’entre eux bénéficie d’une rémission totale.2
Des principes de traitement proposés par l’American Psychiatric Association4 semblent augmenter la probabilité de rémission, en garantissant une qualité constante des soins proposés.
Toute prise en charge doit commencer par l’établissement d’un diagnostic fiable du trouble panique (critères diagnostiques DSM-IV) ainsi que d’éventuelles comorbidités tant somatiques que psychiatriques.4 L’évaluation des symptômes propres à chaque individu devra être réalisée dans une perspective diachronique, tant la variabilité interindividuelle est grande. Il est important que le patient sente que le médecin comprend son expérience individuelle de panique et que le traitement soit adapté en tenant compte de la constellation des symptômes présentés et de leur évolution.
L’évaluation du handicap est une étape nécessaire à la définition d’un objectif de traitement en termes de rémission. Il s’agit d’être attentif aux symptômes qui provoquent la souffrance du patient, mais aussi aux comportements d’évitement qui font parfois partie intégrante de la vie de l’individu et de son entourage.
L’alliance thérapeutique est très importante et elle influence le pronostic. La disponibilité et la prise en compte des variables contre-transférentielles sont de rigueur.4
La psychoéducation du patient et éventuellement de sa famille aura un impact sur la réussite des traitements spécifiques mais peut déjà s’avérer être thérapeutique par elle-même.4
Le travail de la compliance au traitement psychothérapeutique et pharmacologique est une priorité et devra tenir compte des caractéristiques intrinsèques de la population cible : peur des effets secondaires, focalisation sur le moindre symptôme somatique, exacerbation du trouble dans les premiers temps de certaines thérapies. Dans le même sens, les médecins devront être attentifs à tous les signes de rechute et partager sincèrement leurs éventuels doutes avec leurs patients.
Les psychothérapies de type cognitivo-comportementales ont été les plus étudiées quant à leur efficacité pour les troubles paniques. Elles impliquent le suivi de la procédure suivante : psychoéducation, enregistrement continu des attaques de panique, entraînement à la relaxation, restructuration cognitive focalisée sur l’erreur d’interprétation des sensations corporelles, exposition au stimulus phobogène dans une logique d’inhibition réciproque avec la relaxation.2
Les thérapies de groupe sembleraient apporter un plus en termes d’efficacité par rapport aux thérapies cognitivo-comportementales classiques, notamment en traitement combiné avec une pharmacothérapie. L’introduction des techniques de méditation de type mindfulness semble prometteuse.2
Les thérapies psychodynamiques se basent sur le postulat du symptôme en tant que résultante d’un processus mental inconscient. L’élucidation de ce processus peut amener à la rémission des symptômes et surtout à une augmentation de la liberté et du bien-être individuel des sujets. La sublimation est favorisée, alors que le risque d’un refoulement échoué de représentations sexuelles inacceptables est amoindri.
Les thérapies systémiques sont utiles et devront être envisagées lorsque la symptomatologie affecte ou est influencée par l’entourage du patient.
Les groupes de soutien peuvent être également bénéfiques sur différents aspects : solitude, motivation au changement, psychoéducation.
L’utilisation de traitements combinant la pharmacologie et les approches psychothérapeutiques a montré sa supériorité à plusieurs reprises en termes d’efficacité par rapport à chaque traitement pris individuellement.4,5
Les antidépresseurs sont l’indication de choix pour le traitement à long cours des troubles paniques puisqu’ils n’ont pas les désavantages de dépendance, de tolérance et de réactions paradoxales des benzodiazépines.4 Leur objectif est de réduire l’intensité et la fréquence des attaques de panique, de même que l’anxiété anticipatoire, tout en traitant une éventuelle dépression fréquemment associée.
Plusieurs ISRS sont disponibles sur le marché avec une indication pour le trouble panique : la fluoxétine, la sertraline, la paroxétine, la fluvoxamine, le citalopram et l’escitalopram.4 La dose efficace est souvent le double de celle préconisée pour le traitement du trouble dépressif. Leur efficacité est démontrée par rapport au placebo et il existe peu d’effets secondaires sérieux par rapport aux bénéfices espérés.
La venlafaxine ER est le seul inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (ISRN) qui représente actuellement un autre choix intéressant pour la prise en charge des troubles paniques, au point qu’il peut être utilisé en tant que premier choix de la même façon que les ISRS.5,6 Son efficacité et sa tolérance est semblable aux ISRS, alors qu’il n’existe pas encore de données suffisantes pour la duloxétine, un autre ISRN.5,6 La dés-venlafaxine, bientôt disponible en Suisse, semble avoir un profil d’efficacité similaire à la venlafaxine pour les troubles paniques, mais cela a été clairement prouvé uniquement pour les troubles dépressifs.7
Les tricycliques et les inhibiteurs de la monoamine oxydase sont à éviter compte tenu de la bonne efficacité et surtout la tolérance des ISRS et de la venlafaxine ER.
L’importance de l’utilisation des ISRS ou de la venlafaxine ER est également suggérée par des études récentes qui montrent que la présence de troubles anxieux semble être un facteur de risque indépendant pour la survenue des idées suicidaires et même de tentatives de suicide.8 Dans le même sens, la prise en charge de l’agitation anxieuse par la combinaison des approches psychothérapeutiques comportementales9 ou psychodynamiques10 avec des prises en charge pharmacologiques11 est à envisager.
Les benzodiazépines restent un traitement de choix ponctuel pour des attaques de panique (Témesta 1 ou 2,5 mg p.o.). Toutefois, leur prescription à long terme est à éviter en raison d’une dépendance, d’une tolérance et de possibles effets paradoxaux. L’objectif principal des benzo-diazépines dans le traitement du trouble panique est de réduire l’intensité et la fréquence des attaques de panique tout en réduisant l’anxiété anticipatoire en attendant que les antidépresseurs commencent à agir.4
> Les guides cliniques issus de recommandations d’experts psychiatres américains4 pourront constituer un point de référence pour les médecins de premier recours amenés à prendre en charge des patients souffrant de troubles paniques
> Avant d’envisager la prise en charge des troubles paniques, une attention particulière doit systématiquement cibler la question des diagnostics différentiels et des comorbidités somatiques, psychiatriques et en rapport avec des substances psychoactives
> L’utilisation de traitements combinant les approches psychothérapeutiques (cognitivo-comportementales ou psychodynamiques) avec certains antidépresseurs (ISRS ou venlafaxine) a montré sa supériorité en termes d’efficacité par rapport à chaque traitement pris individuellement.
Malgré la haute prévalence des troubles paniques parmi les patients consultant auprès des praticiens de premier recours, cette pathologie reste fréquemment mal diagnostiquée et peu traitée de façon spécifique. Après avoir envisagé la définition et les critères diagnostiques du DSM-IV pour les troubles paniques, nous aborderons la démarche diagnostique différentielle somatique et psychiatrique. Les approches psychothérapeutiques cognitivo-comportementales et psychodynamiques ont montré une efficacité pour la prise en charge des troubles paniques. Alors que les benzodiazépines ont une efficacité anxiolytique rapide, leur usage est limité en raison du risque de développement d’une dépendance ou d’une tolérance. Les antidépresseurs (ISRS ou venlafaxine) sont efficaces pour prévenir les attaques de panique et constituent le traitement pharmacologique de choix à long terme.