Les réseaux sont devenus un enjeu politique majeur en Suisse. Nombre de médecins considèrent qu’ils ne sont qu’une simple monnaie d’échange à la fin de l’obligation de contracter. Dès lors, l’espace de réflexion devient étriqué alors que de nombreux observateurs plaident en faveur de ces nouvelles formes d’organisation. Les «réseaux de médecins», en Suisse, devraient être définis comme des filières de soins qui ne sont pas des réseaux de santé stricto sensu. Ces filières mettent en pratique certains outils de gestion des soins (gatekeeping).
Qu’est ce qu’un réseau ?
«Les réseaux de santé ont pour objet de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité ou l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires, notamment de celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologies ou activités sanitaires. Ils assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l’éducation à la santé, de la prévention, du diagnostic que des soins». Loi française de 2002.
Le réseau de santé a pour finalité de décloisonner les différents secteurs (sanitaire, médicosocial, social). Il constitue également un outil d’amélioration des pratiques professionnelles et une meilleure prise en charge de certains groupes de patients.
Les réseaux de santé sont d’histoire récente. Les premiers réseaux ont vu le jour autour de la prise en charge des patients séropositifs, du diabète et des soins palliatifs, l’initiative venant le plus souvent des médecins eux-mêmes.
Pourquoi cette méfiance des médecins pour les réseaux ?
Deux raisons essentielles:
• les réseaux de médecins sont, comme mentionné, des filières, et non de véritables réseaux, construits, principalement, autour d’une perspective de régulation économique, à disposition des caisses-maladie, pour rendre le système de santé plus concurrentiel et plus «performant».
• Le financement dual de notre système de santé ainsi que le découpage de la population en segments d’assurances n’incitent pas les différents acteurs du système à s’organiser en vrais réseaux de santé et ainsi ayant la capacité de déployer l’efficacité attendue de ces nouvelles formes organisationnelles.
Faut-il pour autant rejeter les réseaux ?
Les différentes évaluations sur les réseaux montrent d’une part qu’ils seraient porteurs d’améliorations en matière de qualité des prises en charge et d’autre part, qu’ils pourraient initier une transformation profonde du fonctionnement et du mode de régulation du système de santé. Ils pourraient contribuer à corriger les principaux dysfonctionnements du système de soins: une meilleure réponse aux besoins des patients (maladies chroniques, troubles psychosociaux, vieillissement de la population) et un décloisonnement du système de soins à différents niveaux – entre médecine hospitalière et ambulatoire, secteurs publics et privés, entre champ social et médical.
Oui… mais je travaille déjà en réseaux ?
En 2003, une étude a été menée au Service d’accueil et d’urgences des Hôpitaux universitaires genevois. Elle s’intéressait aux 255 patients consultant au Service d’urgences sur une durée de trois mois (environ un millier de patients par an) pour le motif «soins impossibles à domicile». Ces patients étaient âgés (79 ans en moyenne). Cette étude confirme que le manque de coordination entre les différents intervenants de première ligne – médecins traitants, services d’aide et de soins à domicile, structures intermédiaires, services sociaux – ne favorise pas le maintien à domicile de personnes toujours plus fragiles et souffrant de multiples comorbidités médicales et psychiques: une meilleure organisation du réseau de première ligne pourrait éviter 33 à 40% des hospitalisations ou mieux les diriger dans le système de soins.
Comment concilier réseaux de médecins et réseaux de santé ?
Avec le rejet de l’initiative en faveur de la caisse unique, notre système de santé va devoir fonctionner sur deux pattes. L’une actionnée par les caisses-maladie (managed care, réseaux de médecins), l’autre par l’Etat (planification, santé publique).
Les réseaux de médecins (filières), grâce à la possibilité de gestion d’un budget global, peuvent être le point de départ de la création de vrais réseaux
Le niveau de complexité de notre paysage institutionnel nous demande de faire un effort supplémentaire pour imaginer un futur souhaitable et de nous positionner en faveur de réseaux qui s’inscrivent au sein de priorités de santé publique. Ainsi, nous devons «travailler» à recentrer le débat sur les réseaux de santé autour de programmes: cancer, périnatalité, Alzheimer, santé mentale, addictions, personnes âgées, etc. Chacune de ces thématiques devraient être pensées selon les besoins territoriaux, régionaux.
Imaginer le futur ?
L’expérience du réseau de soins Delta a permis d’appréhender les grands enjeux de notre système de santé et de le positionner en tant que filières de soins. De nombreux outils en termes de formation, de prescriptions ou de statistiques ont pu être développés pour répondre aux attentes de la LAMal. Notre travail de prospective est maintenant d’arrimer ce projet aux enjeux de santé publique, notamment de la territorialité et des programmes thématiques. Rendre le futur moins «boiteux» et de donner au réseau une seule gouvernance.
Alors ?
Je ne peux qu’encourager les médecins de s’organiser en réseaux de médecins au sein de territoires, de régions, de bassins de population et de développer des projets de réseaux de santé avec les autres partenaires.
Les réseaux ne seront ainsi plus seulement des formes d’organisations structurées autour d’enjeux économiques mais une façon de nommer et d’expérimenter une démarche vers de nouvelles connaissances tant sur le plan de l’exercice individuel que collectif.