J’ai déjà présenté ici deux séries de réflexions sur la dignité1,2 et un lecteur attentif (qui ne le serait?) estimera peut-être que cela suffit. J’espère qu’il ne se laissera pas arrêter et que chacun pourra juger qu’on ne parle jamais assez de dignité, celle des patients, mais aussi celle des soignants. Mon retour sur cette question tient à ce que je crois utile de faire partager le produit d’un conseil d’éthique hospitalier, sollicité par une mission d’accréditation. Ayant précédemment discuté de ce sujet, ce groupe s’est réuni à deux reprises pour rédiger le texte qui suit, à visée très pragmatique.
L’ABCDE, proposé à titre pédagogique et mnémotechnique, est inspiré de Chochinov,3 moyennant de discrètes modifications liées à la traduction.
La dignité est intrinsèque à la condition humaine (Déclaration universelle des Droits de l’homme). C’est une qualité entière qui ne se fragmente pas. Elle appelle un entier respect, de la personne et de la personnalité, passée, présente et future.
Sa reconnaissance est à la fois propre (de soi-même) et réciproque (de la part de l’autre). La dignité qu’un patient ressent dépend de son propre regard sur lui-même, d’autant plus qu’elle lui semble menacée, mais, tout autant, du regard que les autres portent sur lui.
D’où le rôle fondamental que jouent les soignants vis-à-vis d’une personne, à la fois leur semblable et un autre, vulnérable et dépendante, qui n’a pas toujours les moyens de se faire respecter et de se sentir digne à ses propres yeux, comme quelqu’un jouissant de tous ses moyens, ainsi que vis-à-vis de ses proches.
Ainsi le soignant «exerce sa mission dans le respect de la personne, de la vie humaine et de sa dignité» (Code de déontologie médicale français, 1995).
Attitude : celle des soignants suppose leur adhésion aux principes ci-dessus et l’attention qu’ils portent à leur manière d’être pour, sinon la contrôler, du moins l’observer.
Bienveillance : elle est fondamentale pour ne faire passer aucun intérêt (y compris de proches) avant celui de la personne soignée. On sera à son écoute et attentif à la façon dont elle conçoit son bien et souhaite être considérée. Il ne s’agit pas seulement de soigner la maladie, mais aussi de prendre soin de la personne.
Comportement : découlant de l’attitude, il est respectueux, ouvert, authentique, à l’égard d’un patient toujours digne d’attention(s).
Dialogue : verbal et infra-verbal (regard), c’est un élément majeur d’échanges dans la relation. Il est nécessaire de favoriser les conditions de son déroulement, propices à la confiance.
Empathie : le soignant doit s’efforcer de ne pas oublier que, s’il s’agit, pour lui, d’un malade ou d’une maladie parmi beaucoup d’autres, pour le patient sa situation est unique et représente une crise majeure de son existence.
Tous les soignants et, d’une façon générale, tous les personnels d’un hôpital doivent être sensibilisés à la dignité des patients et à son respect. Ce respect s’impose particulièrement vis-à-vis de personnes affaiblies, ayant perdu leur santé, leur statut social (travail, ressources, famille…), une partie de leurs moyens physiques ou mentaux, comme vis-à-vis de leur entourage en difficultés. Chacun opposera une «tolérance zéro» au manque de respect à leur égard.
Cela devrait être formellement exposé à tout nouvel arrivant à l’hôpital, étudiant, stagiaire ou personnel stable, médecins, infirmiers, etc., par oral et par écrit, par exemple lors de l’accueil de nouveaux groupes d’étudiants, ainsi que dans le règlement intérieur.
A côté du rappel des principes, des exemples peuvent être donnés pour sensibiliser les personnes concernées. Il s’agit, notamment, d’améliorer leur aptitude à communiquer.
Dans la vie courante de l’hôpital, il revient en particulier aux responsables d’enseignement et d’encadrement de donner le bon exemple, notamment lors d’enseignement clinique impliquant un patient, de commenter des situations qui s’y prêtent, en respectant toute la discrétion de rigueur, de veiller à ce que chacun suive les principes énoncés.
La formation professionnelle continue devrait inclure périodiquement des éléments de sciences humaines où la référence à la dignité trouvera naturellement sa place. Ces formations feront intervenir les personnels seniors de l’hôpital mais aussi des personnes extérieures versées dans ces questions, ainsi que des réflexions personnelles des plus jeunes (exposés, mémoires, etc.).
Une évaluation périodique, collective ou individuelle, fera appel aux moyens éprouvés, par exemple avec les questionnaires remplis par les patients ou les observations faites par les professionnels.
Ce document peut être certainement amélioré et toute suggestion de lecteur sera bienvenue.