Dans le cadre d’une intervention centrée sur l’alimentation donnée à des étudiants de deuxième année d’un gymnase de Lausanne, il leur a été distribué un questionnaire afin de voir dans quelle mesure ils suivent les recommandations de la Société suisse de nutrition (N = 198). Ce questionnaire a permis de décrire certains comportements face à la nourriture mais aussi la satisfaction que ces jeunes ont de leur image corporelle. Seuls 5% des jeunes interrogés consomment cinq portions de fruits et légumes par jour et 29% trois à cinq portions de produits laitiers. 21% des filles et 6% des garçons sont insatisfaits de leur image corporelle, ce qui est corrélé avec des habitudes nutritionnelles moins saines. Il est donc essentiel à l’adolescence d’investiguer non seulement les modes d’alimentation mais aussi l’image que les jeunes ont de leur apparence.
Au printemps 2007, la direction d’un gymnase de Lausanne a proposé à l’Unité multidisciplinaire de santé des adolescents (UMSA) d’animer une matinée d’information sur le thème de l’alimentation destinée à l’ensemble des élèves de deuxième année. A l’UMSA, les problématiques concernant l’alimentation telles que l’obésité et les troubles de la conduite alimentaire représentent environ un tiers des consultations. A une époque où il est beaucoup question, tant dans le milieu médical que dans les médias, d’alimentation, d’obésité, de risques cardiovasculaires ou encore de troubles de conduites alimentaires, il nous a paru intéressant de connaître, sur la base d’un questionnaire, la façon dont ces étudiants se situent face au thème de l’alimentation. Par ailleurs, les données de ce sondage ont permis de préparer l’intervention.
On sait qu’à l’adolescence les besoins nutritionnels sont relativement élevés, du fait de l’augmentation de la vitesse de croissance, et qu’ils peuvent varier beaucoup selon le stade pubertaire et l’activité physique.1-3 Il y a malgré tout peu de preuves concernant ces besoins et les normes sont généralement établies par extrapolation entre les besoins durant l’enfance et ceux de l’âge adulte.2 Toutefois, les carences semblent relativement rares hormis parfois des carences martiales mais généralement sans anémie.4 La Société suisse de nutrition (SSN) recommande notamment la consommation quotidienne de cinq portions de fruits (minimum deux) et légumes (minimum trois) ainsi que de trois à cinq portions de produits laitiers permettant d’obtenir une quantité d’environ 1200 mg de calcium par jour.
Dans le prolongement d’autres études européennes similaires, Cavadini et coll.1 publiaient il y a une dizaine d’années une étude sur les types d’aliments consommés quotidiennement par des jeunes Vaudois de 9 à 19 ans ainsi que la fréquence de ces consommations (1-3 x/semaine versus 1 x ou plus par jour). Dans le groupe des 14-19 ans, les produits laitiers étaient consommés quotidiennement par moins de 50% des jeunes, et seuls 53% des filles et 33% des garçons prenaient au moins un fruit par jour. De plus, seuls 17% des filles et 8% des garçons consommaient au moins un légume par jour. En 2000, les mêmes auteurs publiaient une autre étude concernant les rythmes des repas chez des jeunes de 9 à 19 ans et mettaient en évidence le fait que 95% des adolescents interrogés prenaient quotidiennement leur petit déjeuner, mais que la composition de celui-ci se résumait souvent à une simple tasse de café ou de thé. En France, des résultats similaires étaient publiés en 1996.5,6
Selon une revue publiée en 2005 par l’American Dietetic Association,7 le petit déjeuner est le repas le plus fréquemment manqué avec 12 à 34% des adolescents américains qui n’en prennent pratiquement jamais. Cette étude montre également que le fait de ne pas prendre de petit déjeuner est statistiquement plus souvent associé à la pratique de régimes amaigrissants, à la présence de préoccupations concernant le poids et l’image corporelle et à une relative inactivité physique, avec comme conséquence un indice de masse corporelle (IMC, kg/m2) en moyenne significativement plus élevé.
Les modes alimentaires sont fréquemment associés au degré de satisfaction qu’ont les adolescents du point de vue de leur image corporelle. Devaud et coll,8 sur la base des données de l’étude Swiss Multicenter Adolescent Survey on Health de 1993 (SMASH 93), montraient que seules deux filles sur trois se déclaraient satisfaites de leur corps contre quatre garçons sur cinq, mais cette étude ne cherchait pas à établir de corrélation entre image de soi et alimentation.
L’objectif de cette recherche est d’évaluer chez des gymnasiens lausannois les repas pris dans une journée, les quantités de fruits et légumes, de produits laitiers et d’aliments light consommés quotidiennement. Elle a également pour but d’évaluer leur image corporelle et la présence de certains comportements «déviants» face à la nourriture ainsi que les liens qu’ils entretiennent avec l’image corporelle. Cette enquête donnait en outre l’opportunité, avec les limites liées à un collectif de petite taille et sélectionné, de voir dans quelle mesure la situation avait évolué depuis les dix ou quinze dernières années.
Deux semaines avant la matinée d’information et de discussions sur l’alimentation animée par des cadres de l’UMSA à l’intention d’environ 200 étudiants de deuxième année du Gymnase de la Cité à Lausanne, ces derniers se sont vus proposer un questionnaire anonyme auto-administré de 19 questions distribué par les professeurs. Il portait notamment sur leurs habitudes et comportements alimentaires, le contenu de cette alimentation, ainsi que leur image de soi. Les résultats ont été transcrits sur un fichier Excel, puis transposés dans une base de données SPSS pour des analyses uni et bivariées. Les IMC, calculés à partir des poids et tailles autorapportés, ont été analysés en utilisant les critères de référence adultes, le sous-poids correspondant à un IMC inférieur à 18 kg/m2, le surpoids à un IMC supérieur à 25 kg/m2.
Sur un peu plus de 200 élèves, 198 ont retourné leur questionnaire (51,8% de filles, moyenne d’âge 17,5 ans (16-24 ans)). Etant donné la nature exploratoire de l’étude, le nombre précis de questionnaires non remplis n’a pas fait l’objet d’un décompte précis (estimation : 90-95%).
Comme le montre le tableau 1, seuls environ 5% des jeunes interrogés suivent les recommandations émises par la SSN concernant la consommation quotidienne de fruits et légumes. Toutefois, une fille sur deux et un garçon sur trois prennent tout de même trois à quatre portions par jour. Aucune jeune fille rapporte n’en consommer jamais alors que 6,5% des répondants garçons admettent ne consommer de fruits et légumes que rarement, voire jamais. Les jeunes aussi sont très loin de suivre les recommandations de la SSN pour ce qui est des produits laitiers : seul un jeune sur trois remplit les critères à la lettre (3-5 portions/j). Il n’y a pas de différence significative entre les deux sexes. Enfin, près de 24% des jeunes manquent tous les jours ou presque le petit déjeuner alors qu’ils ne sont que 12,3% respectivement 13,5% à manquer le repas de midi ou celui du soir (tableau 2). Il existe une différence filles-garçons uniquement pour le repas du soir (8% versus 19,6%, p < 0,01). Seul un jeune sur deux (55,4%) prend quotidiennement le petit déjeuner.
Comme le montre le tableau 3, un tiers des filles consomment une à plusieurs fois par jour des aliments light alors que ce n’est le cas que pour un garçon sur dix. La différence est statistiquement significative (p < 0,05). Près d’une fille sur cinq (18,4%) a déjà initié au moins une fois un régime. Chez les garçons, ce chiffre tombe à 7,4%. La différence n’est pas statistiquement significative (p < 0,5). Enfin, on voit que 2% des gymnasiens (filles et garçons confondus) rapportent se faire vomir une ou plusieurs fois par semaine et 2% quotidiennement, également sans différence significative entre les filles et les garçons.
L’analyse des IMC montre des résultats similaires à ceux retrouvés dans le collectif de SMASH 2002 pour les critères d’obésité : 4% des filles et 7,5% des garçons remplissent les critères d’obésité. On voit aussi que près de 16% des filles et 8% des garçons rapportent être en sous-poids. La différence filles-garçons concernant l’IMC n’est pas statistiquement significative (p < 0,2).
On ne trouve pas de corrélation significative entre l’IMC et les consommations de fruits et légumes ou de produits laitiers, ni avec la prise régulière du petit déjeuner, du repas de midi ou du repas du soir.
A la question : «Etes-vous satisfait(e) de votre apparence ?», 21,4% des filles se disent peu, voire pas satisfaites alors que le pourcentage n’est que de 6,4% chez les garçons (p < 0,01). De plus, 46,6% des filles disent se «trouver moches» après avoir mangé «trop» au moins une fois par semaine alors que seuls 11,7% des garçons expriment un tel sentiment (tableau 4). Dans quelle mesure le degré de satisfaction par rapport à l’image corporelle est-il corrélé aux habitudes alimentaires ? La consommation de fruits et légumes et le fait de prendre ou non un petit déjeuner sont associés au degré de satisfaction que les étudiants ont de leur image corporelle (filles et garçons confondus). Ainsi, plus ils se disent insatisfaits, plus ils ont tendance à consommer des fruits et légumes (p < 0,02) et à manquer leur petit déjeuner (p < 0,02). En revanche, la prise de produits laitiers et la fréquentation régulière du repas de midi et du soir ne sont pas corrélées à l’image corporelle.
Comme le montre le tableau 4, à la question «Vous arrive-t-il d’avoir peur de grossir ?», 85% de garçons répondent n’y penser jamais, alors que 60% des filles disent éprouver une telle crainte au moins une fois par semaine. Elles sont même 12,6% à ressentir cette peur quotidiennement. La différence filles-garçons est statistiquement significative (p < 0,001).
Comme on pouvait s’y attendre, les adolescents interrogés peinent à suivre les recommandations nutritionnelles, notamment en ce qui concerne la consommation de fruits et légumes. Par comparaison avec l’étude de Cavadini en 1999 et malgré des campagnes de promotion d’une alimentation dite saine, en presque dix ans les chiffres ont peu évolué. La consommation de produits laitiers semble meilleure tout en restant relativement loin des recommandations émises. Enfin, le pourcentage de gymnasiens qui manquent leur petit déjeuner a également peu évolué depuis une décennie9 et semble assez similaire à celui d’adolescents américains interrogés dans le cadre d’une enquête menée par l’American Dietetic Association.7
Le recours à des aliments light, aux régimes, voire à des comportements restrictifs plus draconiens comme les vomissements auto-induits, n’est pas nouveau et recouvre en partie les chiffres obtenus en Suisse dans d’autres enquêtes : on ne peut que s’inquiéter notamment de la proportion de jeunes qui disent se faire vomir chaque semaine (4%) dont la moitié chaque jour, un chiffre similaire à celui obtenu il y a quelques années dans l’enquête SMASH 2002.10
Les pourcentages de surpoids et d’obésité sont semblables à ce que l’on trouve dans la littérature suisse.11,12 Il existe en revanche peu de données suisses sur la prévalence du sous-poids. Dans notre collectif, 15,8% des filles et 8,6% des garçons satisfont aux critères de sous-poids. Même si ces pourcentages relativement élevés, notamment chez les filles, sont éventuellement liés à des biais de déclaration, il n’en reste pas moins qu’ils traduisent une tendance à la recherche de minceur, préoccupante chez bon nombre de gymnasiens et surtout de gymnasiennes.
Une partie du questionnaire se centrait sur l’image corporelle.
On observe qu’un quart des filles sont insatisfaites de leur image corporelle ; de plus, près de la moitié disent se trouver moches au moins une fois par semaine quand elles mangent trop et trois sur cinq rapportent éprouver une peur de grossir au moins une fois par semaine. Ces résultats sont supérieurs à ceux retrouvés dans l’étude SMASH de 1993 où deux tiers de filles et quatre cinquièmes de garçons se déclaraient alors satisfaits. Ils constituent eux aussi un sujet de préoccupation : les jeunes insatisfaits de leur apparence, même s’ils rapportent consommer des fruits et légumes dans une plus forte proportion, rapportent dans une plus forte proportion aussi des comportements restrictifs comme de sauter des repas, ou d’initier des régimes.
Plusieurs aspects de cette recherche en limitent la portée : d’abord le fait qu’elle ne porte que sur un échantillon modeste de 200 jeunes, fréquentant un gymnase. On peut imaginer que certains comportements sont plus répandus dans le milieu gymnasial alors que l’obésité, elle, serait plus fréquente chez les apprentis, comme cela a d’ailleurs été démontré à partir des données SMASH.12 Une autre inconnue est la validité des réponses collectées (même anonymement) par les enseignants eux-mêmes. Enfin, les données sur l’IMC étant fondées sur la taille et le poids autorapportés sont sujettes à des biais dans les deux sens (sous ou sur-évaluation).
En dépit de ces limites, cette étude démontre indiscutablement l’importance d’une investigation systématique des habitudes alimentaires durant l’adolescence. On l’a vu, il est vraisemblable que la manière de s’alimenter soit fortement corrélée, voire influencée par la perception de son propre corps, et qu’une perception négative induise des comportements restrictifs ou même purgatifs menaçant la santé. L’anamnèse alimentaire devra donc non seulement se centrer sur le contenu et la fréquence des repas, mais également sur le rôle que joue cette alimentation dans la vie de l’adolescent, la manière dont il perçoit son corps et ses besoins, et la façon dont il y répond.
D’un point de vue de santé publique, étant donné les relativement faibles quantités de fruits et légumes ainsi que de produits laitiers consommés par les jeunes, il semblerait utile de réfléchir à développer de nouvelles campagnes de promotion et de prévention ciblant non seulement la question des calories, ou du contenu en graisses insaturées, mais sur des aspects plus qualitatifs et globaux, et favorisant l’accès aux aliments bienfaisants.
> Importance de l’investigation systématique des habitudes alimentaires à l’adolescence
> La satisfaction que les adolescents ont de leur image corporelle influence nettement la façon qu’ils ont de s’alimenter et leur rapport à la nourriture
> Très peu de jeunes suivent les recommandations de la Société suisse de nutrition, il semble donc utile de réfléchir à comment développer de nouvelles campagnes de promotion et de prévention adaptées aux adolescents
During adolescence, nutrition needs are high ; however the literature shows that few adolescents are following standardized nutritional requirements. A few weeks before an intervention about nutrition to high school adolescents in Lausanne, they were invited to fill in a self-reported questionnaire about their nutrition modes and habits, and their self-image satisfaction (N = 198). Results show that only 5% of youth are eating 5 fruits and vegetables per day and only 29% 3 to 5 dairy products. 21% of female and 6% of boys are not satisfied about their self-image, and those exhibiting a poor self-image tend to adopt health compromising eating patterns in a higher proportion. During adolescence it is important not only to investigate the nutritional habits but also one’s self image.