Bien que la transition des soins pédiatriques aux soins adultes soit extrêmement importante pour les adolescents souffrant de maladies chroniques, celle-ci se limite le plus souvent à un simple transfert. L’objectif de cet article est de décrire les barrières au bon déroulement de la transition du point de vue du patient et de sa famille, des professionnels de la santé et du système de soins ; de détailler les éléments clés pour que la transition soit la moins traumatique possible ; et d’énoncer les différentes approches proposées dans la littérature.
Au fur et à mesure de la croissance, les besoins personnels des jeunes évoluent, induisant la nécessité d’une adaptation des soins médicaux à leur âge. Le processus de transition des soins pédiatriques aux soins adultes est nécessaire et important dans la vie de tout adolescent ou jeune adulte, et plus spécialement dans le cas de ceux souffrant d’une affection chronique.1
La transition est définie comme un processus organisé et coordonné vers le système de santé adulte dont le but est d’optimiser la santé et faire en sorte que chaque jeune atteigne son potentiel maximum.2,3 La transition coïncide également avec le passage de l’enfance à l’âge adulte, de la dépendance à l’indépendance, de l’école à l’emploi.4-6 Il faut la différencier du transfert qui est un fait soudain, fréquemment arbitraire, où le patient est transféré des soins pédiatriques aux soins adultes avec seulement une information sur le transfert. Le transfert ne représente donc en réalité qu’une partie de la transition.4-7 Bien qu’il soit une étape majeure dans la vie des jeunes atteints de maladies chroniques, le passage vers le système de santé adulte est souvent mal ou pas organisé,4,8 se limitant souvent, dans le meilleur des cas, à un simple transfert.
Le passage aux soins adultes peut être mal vécu par les adolescents en général, et en particulier par ceux souffrant de maladies chroniques. Par ailleurs, il n’est malheureusement pas rare de constater, une fois le suivi pédiatrique interrompu, une rupture avec tout système de santé, les adolescents/jeunes adultes n’ayant plus de médecin traitant, les contacts étant le plus souvent limités au service des urgences en cas de crise.5 Par conséquent, de nos jours on ne peut plus se limiter, dans le meilleur des cas, au simple transfert du jeune patient vers les soins adultes ni permettre à des adolescents atteints de maladies chroniques d’être exclus d’un suivi médical.3
Plusieurs barrières au bon déroulement de la transition des soins pédiatriques aux soins adultes ont été identifiées, pouvant être générées par le patient et sa famille, les professionnels de la santé et le système de soins.5,9
Pour le patient et sa famille, le processus de transition marque le plus souvent la fin d’une longue relation de confiance avec l’équipe pédiatrique. Le changement proposé représente l’inconnu et suscite fréquemment beaucoup d’appréhension. Si la transition n’est pas bien préparée et coordonnée, ou si elle survient à un moment inopportun, comme lors d’une période de crise, la transition peut être perçue comme un abandon. Néanmoins, il semble que la résistance au changement du patient et de sa famille ne soit pas le plus important obstacle au bon déroulement de la transition.
L’équipe pédiatrique, en raison de sa longue relation avec le patient et la famille, peut également constituer une entrave. Cette situation se rencontre notamment dans le cas de certaines maladies pédiatriques rares, où le spécialiste et son équipe peuvent avoir le sentiment d’être mieux formés à ce type de pathologies que leurs confrères des soins adultes et, dès lors, avoir de la difficulté à se séparer de leur patient.
Dans le système de soins adultes, certains soignants peuvent se montrer réticents à prendre en charge des jeunes adultes atteints de maladies chroniques. En effet, certains spécialistes adultes peuvent manquer d’expérience et de formation dans la prise en charge de certaines de ces maladies, souvent considérées par le système médical comme exclusivement pédiatriques.
Le système de soins présente aussi certaines barrières liées au manque de moyens financiers, aux limitations du système lui-même, voire au manque d’intérêt pour la tranche d’âges concernée par la transition.
Il est tout de même important de noter qu’aucune de ces barrières n’est insurmontable.
Bien qu’il n’existe pas de recommandations applicables de manière globale afin d’optimiser la transition vers les soins adultes des adolescents souffrant d’affections chroniques,6 plusieurs auteurs ont signalé certains éléments clés (tableau 1).3-8,10-15
Quitter un système de soins familier en qui l’on a confiance, pour un autre, inconnu et dont le niveau de qualité reste encore à découvrir, n’est pas chose facile et peut susciter de l’anxiété et de la méfiance chez le patient et sa famille. Ainsi, la transition doit être annoncée dès le début de l’adolescence et discutée de façon itérative, afin qu’elle soit perçue comme une étape normale du développement. Cette longue préparation permet en outre de disposer l’adolescent et sa famille à la transition et d’évaluer régulièrement les capacités du jeune à franchir le pas, c’est-à-dire à se responsabiliser et prendre en charge lui-même son traitement. Par ailleurs, il est important d’instaurer un plan d’accompagnement permettant de vérifier que le contrôle de l’affection et la qualité de vie ne souffrent pas du changement de système de soins.
Les programmes de soins pour adultes ont souvent des approches bien différentes de celles auxquelles sont habitués les patients pédiatriques. Alors que l’approche pédiatrique est souvent multidisciplinaire, plus directive, orientée vers la famille, et requérant la collaboration et le consentement des parents, les soins adultes sont plutôt gérés par un seul médecin, orientés vers le patient, plus axés sur la recherche et misant sur les capacités d’indépendance et d’autonomie du patient. S’ils ne sont pas préparés à ce fonctionnement différent, tant l’adolescent que sa famille se sentiront perdus, voire négligés dans ce nouveau système. Cette préparation est très probablement la clé de la réussite face à l’anxiété provoquée par le changement.
Pour être réussie et bien vécue, la transition doit donc être préparée, planifiée et attendue par le patient et son entourage. Elle doit tenir compte non seulement des besoins médicaux spécifiques à la pathologie mais aussi des besoins psychosociaux et éducationnels du jeune. La transition étant par ailleurs une opportunité d’acquisition d’indépendance par rapport à la famille, elle doit également comprendre certaines composantes éducatives et développementales telles qu’une information sur leurs droits, une responsabilisation par rapport au traitement, une éducation sur la santé sexuelle et reproductive, et des messages préventifs par rapport aux styles de vie. Un jeune souffrant d’une affection chronique a droit aux mêmes soins, aux mêmes informations et aux mêmes discours de prévention que n’importe quel autre adolescent.
L’effet que peut avoir un changement de modèle de soin et de prise en charge sur la famille ne doit pas être négligé. S’il est important de préparer les jeunes, il est tout aussi important de préparer les parents, notamment au «lâcher prise», afin de laisser petit à petit l’adolescent prendre ses responsabilités et devenir autonome par rapport à sa maladie et son traitement.
Dans la plupart des cas, les parents sont préoccupés, ils doivent renoncer à un système de soins auquel ils ont accordé leur confiance, pour un autre totalement différent, dont l’organisation leur échappe, dans la crainte d’une diminution de la qualité de soins et d’un moins grand dévouement. Lorsque l’adolescent devient plus indépendant, certains parents ressentent une perte de contrôle difficile à accepter. Les impliquer activement dans la planification de la transition est une bonne manière de minimiser l’impact de ce changement et de les aider à s’adapter à leur nouveau rôle.
Ainsi, la préparation à la transition doit permettre d’énoncer et de discuter des changements attendus dans la dynamique familiale, tout en soutenant et conseillant les familles réticentes à renoncer aux responsabilités qui leur revenaient jusqu’alors.
De la même manière que certains pédiatres (spécialistes ou non) ne se sentent pas à l’aise avec les adolescents, un bon nombre de médecins pour adultes n’aiment pas soigner des adolescents ou jeunes adultes. Pour cela il est vital de faire le transfert vers un professionnel ou un service pour adultes avec une sensibilité particulière pour les jeunes.
Un autre élément clé pour que la transition soit un succès est que le patient et sa famille soient présentés aux spécialistes pour adultes par les spécialistes pédiatriques. Pour cela, des consultations communes sont essentielles. Ce contact préalable avec l’unité adulte, en présence d’une personne de confiance, permet une meilleure acceptation du changement et une mise en confiance face à un visage désormais familier dans la nouvelle unité de soins. Bien que par la suite, le jeune consultera seul l’unité pour adultes, il est important que les parents soient présents lors de cette première consultation, pour leur permettre de faire entendre leurs appréhensions et leurs craintes. Les soignants adultes doivent toutefois s’attendre à un temps d’adaptation nécessaire au jeune et à sa famille, afin d’établir une relation de confiance durable.
La nouvelle équipe de soins a besoin d’un résumé concis de toute l’information médicale et personnelle relevante pour faciliter les soins. Un résumé soigneusement préparé permet un transfert de soins sans problèmes et fournit un schéma directeur pour la nouvelle équipe de soins, surtout dans la première année suivant le transfert.
La transition est un processus qui évolue pendant une période considérable. Il n’y a pas de bon moment pour amorcer ce passage, car c’est au patient de dire à quel moment il se sent prêt. Cependant, il est utile d’établir préalablement un âge cible pour ce transfert afin de pouvoir l’anticiper et le préparer au mieux. L’âge chronologique n’est pas un indicateur individuel suffisant. Par contre, la maturité du patient peut indiquer le moment propice pour cette transition, d’où la nécessité d’être flexible et de considérer chaque patient individuellement. Néanmoins, il est essentiel que la transition ait lieu dans une période de stabilité familiale, sociale et médicale.
La transition est le moment où les services pédiatriques se désinvestissent petit à petit de la prise en charge du patient mais où les services adultes ne sont pas encore pleinement impliqués et responsables du cas. Des avis contradictoires ne sont pas rares, ce qui peut être source de conflits. Un protocole de transition, établi au début de l’adolescence et approuvé par tous les intervenants, en concertation avec la famille, permettrait d’éviter ce genre de problèmes.
Indépendamment du passage des soins spécialisés pédiatriques aux soins spécialisés adultes, les adolescents atteints de maladies chroniques continueront à voir leur médecin traitant, c’est pourquoi il est important qu’il soit informé et impliqué dans le processus. De plus, de façon générale, les consultations avec les spécialistes n’ont pas comme but des soins primaires de santé, et par conséquent ceux-ci ne sont pas faits de manière appropriée ; par ailleurs, les spécialistes eux-mêmes ne se voient pas dans le rôle de fournisseurs de soins primaires. Ainsi donc, le rôle du médecin traitant est important, doit être défini de manière explicite, et son opinion doit être prise en compte lors de la planification de la transition.
Il est important que l’adolescent se sente impliqué dans le processus de transition et ait le sentiment de contrôler son destin. Pour ce faire, il doit avoir un rôle actif dans l’organisation de la transition, par exemple, en prenant lui-même les décisions lorsque différentes options sont offertes : choix entre un médecin homme ou femme, un lieu de consultation près de la maison ou du travail/école, etc. Le partenariat avec le patient joue un rôle clé dans le suivi des maladies chroniques.
Différentes approches pour aider à cette transition ont été proposées dans la littérature.6,15
Cette approche implique la création d’une consultation conjointe gérée par des spécialistes pédiatriques et adultes qui assurent la liaison entre les deux services. Elle présente l’avantage que les collaborateurs (thérapeutes, travailleurs sociaux, etc.) travaillent à la fois dans les soins pédiatriques et les soins adultes et le désavantage qu’il est difficile de mettre en place une telle consultation dans le cadre de certaines spécialités ou dans des services qui regroupent peu de patients.
Dans ce cas, un professionnel de la santé est désigné comme responsable d’assurer le meilleur déroulement possible de la transition. Les avantages de cette approche sont les suivants : ce professionnel peut être représenté par quelqu’un qui travaille dans les deux services (infirmière, thérapeute, etc.) qui connaît par conséquent leur fonctionnement ; les patients et leurs familles ont un point de repère (un visage familier) dans les services d’adultes ; et ce système peut être introduit même dans les services qui comportent peu de patients.
Pendant une certaine période, dans ce modèle, l’adolescent alterne entre les unités pédiatrique et adulte. Il faut alors que le passage d’informations entre les deux unités soit très fluide et qu’elles aient la même approche thérapeutique.
Cette option fait appel à un éducateur pour établir le lien entre les services. Le rôle de cet éducateur est de créer des groupes de soutien incluant à la fois des jeunes sur le point d’accomplir la transition et des jeunes l’ayant déjà faite. Le but est d’aider les patients à mieux se préparer et à mieux vivre le passage de la pédiatrie au monde adulte. L’avantage certain de cette approche est qu’elle implique des pairs dans la transition et, en général, les jeunes préfèrent que le transfert se fasse avec un groupe d’amis.
L’adolescence est une période de changements importants à la fois des besoins de santé que des habitudes de santé. Beaucoup d’adolescents atteints d’affections chroniques semblent négocier la transition aux soins adultes avec une apparente facilité.5 Cependant, pour assurer une continuité optimale des soins, cela demande que les soignants pédiatriques et pour adultes collaborent entre eux.13
Even though the transition from pediatric to adult health care is extremely important for chronically ill adolescents, most of the times it is limited to a simple transfer. The objective of this paper is to describe the barriers to a smooth transition from the point of view of the patient and his/her family, the health professionals and the health system, to review the key elements for a smooth transition, and to address the different approaches proposed in the literature.