En Suisse, le nombre de filles et de femmes migrantes excisées au cours de leur enfance dans leur pays d’origine ou menacées de mutilations génitales rituelles est estimé à 6-7000. Les professionnels de la santé en tant qu’interlocuteurs privilégiés doivent donc être en mesure de répondre aux questions y relatives, non seulement durant l’adolescence, mais aussi dans toutes les phases de la vie.
L’absence d’information ou de transmission par des aînées aussi bien avant l’excision qu’au moment de la maturité sexuelle en fait souvent un événement biographique traumatisant. Arrivées en Suisse, le décalage entre les attentes socioculturelles et familiales et le vécu individuel, influencé par le pays d’accueil, peut s’avérer particulièrement difficile à vivre pour les jeunes filles concernées.
La Suisse accueille de nombreuses jeunes filles qui ont, dans leur pays d’origine, été victimes de mutilations génitales rituelles au cours de leur enfance. On estime que 6-7000 filles et femmes sont concernées en Suisse.1 Les professionnels en contact avec les adolescents peuvent donc se trouver confrontés aux interrogations et aux besoins d’accompagnement de ces jeunes filles. L’adolescence est l’âge des modifications corporelles et de l’identification aux pairs et donc aussi la période où la différence par rapport aux autres qu’elle soit culturelle ou physique est perçue de manière aiguë.
Lorsque la confrontation à la thématique est inattendue, elle peut générer des difficultés majeures aussi bien pour l’adolescente que pour l’intervenant qui ne dispose pas des ressources nécessaires (vignette clinique 1). Il se pose alors la question de l’information des professionnels et de l’accompagnement adéquat des adolescentes concernées.
Une thèse de médecine conduite en Suisse en 2005 a démontré que les offres de soins en gynécologie et obstétrique répondaient insuffisamment aux besoins des femmes ayant subi une excision.1,2 Les recommandations éditées par la Gynécologie Suisse ont eu pour but de pallier ce manque et d’améliorer l’accès à l’information en proposant une ligne directrice claire sur laquelle les professionnels peuvent s’appuyer.3
Les réticences des adolescentes elles-mêmes et les possibles interdits familiaux qui ne conçoivent la visite gynécologique qu’au moment de la survenue d’une grossesse, empêchent souvent les jeunes filles de franchir spontanément le seuil de la consultation gynécologique ou d’un planning familial.4 Reste que les adolescentes sont plus facilement en contact avec d’autres professionnels, tels que les pédiatres, les médecins de premier recours, les infirmières scolaires et les assistantes sociales.5 Ils se trouvent ainsi en première ligne pour répondre aux inquiétudes et interrogations.
M., 14 ans, a eu ses premières règles. Elle ne réussit plus à retirer le tampon qu’elle a mis sans en parler à personne. L’éducatrice appelée à l’aide, tente de l’aider. M. émet un hurlement qui glace le sang de l’éducatrice. Encore choquée elle l’accompagne en consultation.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la mutilation génitale féminine (MGF) ou mutilation sexuelle féminine comme l’ablation totale ou partielle des organes génitaux féminins externes ou toute autre atteinte aux organes génitaux féminins pour des raisons culturelles ou autres raisons non médicales.3
La MGF est pratiquée dans de nombreux pays africains au sud du Sahara, en Egypte et dans de rares pays asiatiques (par exemple au Kurdistan irakien). L’OMS distingue quatre types de mutilations sexuelles chez la femme (tableau 1). Le type III comprend l’infibulation (occlusion presque complète de l’orifice vaginal) et est particulièrement répandu en Somalie, Djibouti, Ethiopie, Erythrée, Egypte et au nord du Soudan (figure 1). Les complications à court terme sont des saignements, des difficultés urinaires et des lésions «collatérales» somatiques dont les plus graves peuvent être fatales.6
L’âge au moment de la mutilation étant variable, les adolescentes ne disposent pas toujours d’un souvenir précis de l’acte même si celui-ci est la plupart du temps exécuté sans anesthésie avec des instruments rituels ou improvisés, non stérilisés. L’absence d’information ou de transmission par des aînées aussi bien avant l’excision qu’au moment de l’entrée dans la vie sexuelle en fait souvent un événement biographique traumatisant.
Antérieures au développement de l’Islam et du Christianisme, ces pratiques traditionnelles ne sont prescrites par aucune religion. L’excision n’est notamment pas pratiquée en Arabie Saoudite, en Iran ou au Pakistan. Ces coutumes s’inscrivent donc dans des contextes déterminés avant tout par l’appartenance ethnique.
Les raisons invoquées sont diverses : maintien des traditions, rituels de passage, protection de la virginité ou/et de la fidélité, hygiène, plaisir masculin, honneur familial.
L’adolescente qui vit en Suisse après avoir subi une MGF durant l’enfance passée dans son pays d’origine, est, selon la terminologie anglo-saxonne, une survivante (vignette 2). Certaines complications à long terme ne se manifestent par contre qu’à l’adolescence : dysménorrhée, problèmes liés à la cicatrisation (kystes, chéloïdes), difficultés psychiques, difficultés sexuelles organiques et non organiques.
A., 15 ans, à l’occasion d’une discussion avec sa meilleure amie, S. apprend avec stupéfaction que son amie n’a pas été «coupée». Elle se sent soudainement si différente. Triste et en colère, elle est envahie par une multitude de questions mais n’ose pas en parler.
La communauté médicale et les organismes non gouvernementaux ont jusqu’ici essentiellement focalisé leur attention sur la prévention de la MGF pendant l’enfance et l’adolescence, le traitement des complications majeures (fistules, problèmes urinaires) et les conséquences obstétricales. Le passage de l’enfance au mariage souvent précoce se vit souvent presque sans transition dans les pays concernés. La littérature médicale s’est ainsi encore un peu penchée sur les difficultés qu’éprouvent les jeunes migrantes concernées par la MGF.
L’apparition d’une période d’adolescence selon le modèle occidental est le fruit de la migration. Le débat sur les MGF ainsi que l’accès facile aux informations dans le domaine de la sexualité ont pour conséquence une prise de conscience abrupte à la sortie de l’enfance et une appréhension de la vie d’adulte. Démunies, dépourvues de repères sociaux et familiaux, les filles se trouvent souvent seules face à cette différence qu’elles perçoivent.
Un des pièges de la gynécologie de l’adolescence est de se laisser envahir par ses propres émotions et la volonté d’agir (vignette 3). Les adolescentes infibulées ne se voient cependant pas nécessairement comme mutilées ou victimes. Elles ne souhaitent pas de pitié bien qu’un sentiment d’abandon au moment de l’excision par une figure souvent maternelle ou paternelle puisse encore être très présent. Le recours à une médiatrice-interprète culturelle peut permettre aux adolescentes révoltées de mieux comprendre les motivations du groupe social et d’entamer un début de réconciliation.
F. somalienne, 14 ans, vient d’arriver en Suisse. L’éducatrice de référence apprenant qu’elle a probablement été excisée, organise d’urgence un rendez-vous chez une gynécologue et un psychiatre sans demander son avis. C’est seulement quatre ans plus tard que F. souhaite un examen gynécologique. Le désir de savoir est devenu plus puissant que la peur d’une réalité dont elle ignore encore tout.
La classification des MGF est un outil indicatif qui ne permet pas de se prononcer sur l’étendue d’une mutilation avant d’avoir effectué un examen gynécologique et les filles n’en ont pas toujours une perception conforme à la réalité.7 L’aléatoire de la technique et de la cicatrisation fait que l’ouverture résiduelle peut être d’un diamètre variable même après une infibulation.
Un dépistage sérologique VIH et des hépatites est éventuellement indiqué, sachant que parmi les adolescentes n’ayant pas encore eu d’activité sexuelle, le pourcentage d’adolescentes infectées par le VIH est plus élevé chez les filles ayant subi une excision (contamination par des outils non stériles) que chez celles n’ayant pas été excisés (par exemple Kenya : 3,2% vs 1,4%).8
La demande de la patiente est la meilleure indication à une désinfibulation (levée de l’infibulation par une incision médiane antérieure) que ce soit en raison de dysménorrhées, de mictions difficiles, de cicatrices chéloïdiennes ou de kystes d’inclusion, de rapports sexuels difficiles ou impossibles, voire plus tard au moment de l’accouchement. Le souhait d’avoir des rapports sexuels complets est le motif le plus fréquent, car Khady, qui dit au sujet des femmes mutilées : «Les priver de plaisir ne suffit pas pour les priver de désir», a heureusement raison.9
L’assimilation et parfois le choix d’un partenaire d’une autre culture peuvent conduire aux rapports sexuels avant le mariage. Une désinfibulation qui précède le début des relations sexuelles, permet d’éviter les tentatives infructueuses douloureuses qui risquent de réactiver le traumatisme et d’être à l’origine d’un sentiment négatif à l’égard du partenaire.
Cependant, la majorité des jeunes filles sont en proie à un conflit de loyauté très fort quelle que soit la raison de la désinfibulation. Elles attendent donc fréquemment qu’une figure familiale significative les affranchisse de l’injonction culturelle et ethnique que représente la MGF. Pour cette raison, les jeunes filles ont souvent besoin de se voir confirmer que la désinfibulation est indiquée pour raisons somatiques.
Le besoin d’intégrer un nouveau schéma corporel (flore vaginale perceptible, apparence de la vulve vécue comme inesthétique) rend les entretiens préparatoires indispensables. En cas de grossesse, il est nécessaire d’aborder cette question le plus tôt possible avec le couple.
Les données sur la satisfaction sexuelle sont très variables, le nombre de femmes décrivant une expérience orgasmique varie entre 10-90% (vignette 4). Il apparaît cependant que les mutilations sexuelles ont une incidence sur la réponse sexuelle de la femme même si celle-ci varie en fonction du type de mutilation, de l’âge, du vécu individuel et du conditionnement social. Il est fort probable qu’elles ont également des implications émotionnelles pour une majorité des hommes.10
S., 17 ans, est amoureuse d’un jeune compatriote somalien de 19 ans, né en Suisse. Ils souhaitent avoir des relations sexuelles mais sachant que les femmes suisses ne sont pas excisées, elle est inquiète. Va-t-il se satisfaire d’elle, alors qu’il a l’expérience d’autres femmes ?
Par ailleurs, la partie du clitoris qui est apparente chez la fille non excisée, ne représente qu’une petite partie de cet organe érogène. L’absence de visualisation du clitoris après MGF ne permet donc en aucun cas de juger de la réponse sexuelle future. 11 Les femmes infibulées décrivent une amélioration significative de la capacité orgasmique après désinfibulation.12
De nombreuses filles gardent un vif souvenir des premières heures après l’intervention et des jambes liées par des pagnes pour empêcher les mouvements. La restauration chirurgicale du monticule clitoridien, pratiquée dans plusieurs hôpitaux en France ainsi qu’en Suisse romande au Département de gynécologie et obstétrique du CHUV, permet dans 87% des cas la restauration d’un monticule clitoridien visible et dans 75% d’obtenir une amélioration subjective de la fonction clitoridienne.13 La demande doit provenir de la femme sans oublier que cette intervention l’expose à nouveau à un face à face avec la douleur génitale.
En l’absence d’expérience sexuelle préalable ou de plaintes qui nécessitent l’exploration de la région péri-clitoridienne, il paraît souhaitable de procéder d’abord à une désinfibulation classique afin de permettre à l’adolescente d’apprivoiser sa génitalité et d’explorer seulement ensuite son intérêt éventuel pour un «traitement chirurgical des séquelles sexologiques».13
La satisfaction sexuelle dépend probablement bien plus des séquelles psychologiques suite à la MGF et de la résilience respectivement de la capacité de réconciliation à la fois avec son histoire et avec son corps que d’une intervention chirurgicale. Le choix et l’attitude du partenaire ainsi que la protection ou au contraire l’exposition à d’autres formes de violence contribueront également à déterminer un sentiment de bien-être émotionnel et sexuel.
Le fait que des professionnels de la santé en Suisse ont été approchés en vue de MGF, est l’occasion de rappeler que la MGF est illégale. Elle est reconnue à l’échelle internationale et suisse comme une atteinte aux droits de la personne et à l’intégrité corporelle.14,15 La revendication d’un droit à la différence culturelle est donc non recevable.
Cependant, l’enracinement des mutilations génitales est tel que, malgré l’existence de lois qui les interdisent dans la majorité des pays concernés, il est possible que des mères excisent leurs filles alors qu’elles souhaitent au fond l’abolition de telles pratiques.16,17 Les filles provenant de pays à haute prévalence de MGF doivent donc bénéficier d’une prévention par l’information et l’éducation visant à les protéger, mais aussi leur future descendance, en cas de retour au pays.
La mutilation génitale féminine est un problème médical et psychosocial avec une dimension éthique et légale. L’aborder demande des connaissances interculturelles et des compétences spécifiques, aussi bien sur le plan médico-chirurgical que de la communication. Le décalage entre les attentes culturelles et familiales et les expériences individuelles influencées par le pays d’accueil, la Suisse, peut s’avérer particulièrement difficile à vivre pour les adolescentes concernées.
Les mutilations génitales sont également fréquemment associées aux autres formes de violence envers les femmes et les enfants (mariages forcés et/ou précoces, violence du couple et violence communautaire).9,18
En termes de prévention, il s’agit à la fois d’offrir des réponses aux filles qui grandissent ici mais d’informer également leurs mères qui demeurent parfois attachées à cette coutume.
Il est nécessaire de :
> Connaître les différents types de mutilation génitale, les complications ainsi que les difficultés et interrogations y relatives en particulier à l’adolescence
> Savoir aborder la thématique avec des adolescentes provenant des régions à forte prévalence de MGF en tenant compte des implications personnelles, familiales et culturelles
> Savoir renseigner et accompagner des adolescentes victimes de mutilations génitales souhaitant une désinfibulation
> Connaître le cadre légal
In Switzerland, the estimated number of survivors after traditional female genital mutilation in the country of origin or girls and adult women at risk is 6-7000. Health professionals must be able to respond adequately to their questions not only during adolescence but through out the different periods of life.
The lack of information or transmission by the seniors as well before the excision as at the time of sexual maturity contributes in a large measure to the frequent biographic trauma. It can be very difficult for the girls to deal with the gap between socio cultural and family expectations and their individual life experience in Switzerland.