Dans les colonnes du New England Journal of Medicine daté du 8 mai, une équipe internationale de spécialistes de cardiologie dirigée par les Drs Michel Haïssaguèrre et Jacques Clémenty (CHU de Bordeaux) annonce une découverte originale qui apporte de nouvelles lumières sur la physiopathologie de certaines morts subites.1 Ces résultats sont le fruit d’une collaboration exemplaire réunissant 22 centres cardiologiques de huit pays européens, nord-américains et asiatiques qui ont accepté de mettre leurs données en commun. Elle a analysé les dossiers médicaux de 206 personnes, âgées en moyenne de 35 ans qui, dans différentes circonstances de la vie quotidienne (y compris durant le sommeil), ont été victimes de ce que l’on peut dénommer une «mort subite transitoire» avant d’être «ressuscitées» grâce à une réanimation médicale intensive, voire de nouvelles techniques de réanimation.
Replaçons les choses dans leur contexte. On estime généralement que chaque année en Europe, entre 350 000 et 400 000 personnes, le plus souvent jeunes, sont victimes d’une mort subite. Les données chiffrées sont les mêmes aux Etats-Unis. On sait que ces morts sont le plus souvent la conséquence de troubles majeurs du rythme cardiaque induits par un infarctus du myocarde. On sait moins en revanche que dans près de 10% des cas, en dépit de la pratique d’une autopsie (médicale ou médico-légale) aucune cause précise ne peut être identifiée. Il n’est pas rare, chez ces personnes, que l’accident mortel ait été précédé d’une ou plusieurs syncopes, pertes de connaissance brutale et de courte durée entraînant un traumatisme.
«Notre travail révèle que ces accidents peuvent être étroitement corrélés à la présence d’une anomalie préexistante de tracés électrocardiographiques à type de repolarisation précoce, a expliqué au Monde le Dr Haïssaguèrre. Cette anomalie était jusqu’à présent considérée comme potentiellement bénigne. Nous avons désormais un faisceau d’arguments établissant un lien entre l’anomalie et une partie des morts subites inexpliquées.»a L’anomalie est ainsi présente chez 31% des malades étudiés alors qu’on ne la trouve qu’entre 1% et 5% de la population générale. Les auteurs de cette publication du New England annoncent d’autre part disposer de données laissant clairement penser qu’une ou plusieurs mutations génétiques sont directement à l’origine de cette anomalie électrique. Des recherches sur ce thème sont en cours à Nantes au sein de l’unité Inserm dirigée par le Pr Hervé Le Marec.
Cette découverte ne peut pas ne pas être rapprochée de celle du syndrome encore mal connu de Brugada. Décrit en 1992 par Josep et Pedro Brugada, ce syndrome se caractérise par la survenue de syncopes ou de mort subite en rapport avec des tachycardies ventriculaires polymorphes chez des patients ayant un cœur structurellement normal et un aspect de bloc de branche droit avec sus-décalage du segment ST dans les dérivations précordiales droites (V1 à V3) à l’ECG. «Ce syndrome a suscité de nombreux travaux, d’autant qu’il se rapprochait du Sudden Unexplained Death Syndrome en Asie, connu depuis des décennies : bangungut aux Philippines, pokkuri au Japon, laitai en Thaïlande ("mort pendant le sommeil"), cause la plus fréquente de mort naturelle chez les hommes jeunes en Thaïlande» explique sur le site d’Orphanet un groupe de spécialistes hospitalouniversitaires parisiens de cardiologie (Isabelle Denjoy, Fabrice Extramiana, Jean-Marc Lupoglazoff, Antoine Leenhardt).
La prévalence estimée est de 1 sur 1000 dans les pays asiatiques et elle est vraisemblablement plus faible ailleurs, l’Asie constituant probablement un berceau du syndrome. La transmission se fait sur un mode autosomique dominant avec une pénétrance variable. Des mutations ont été identifiées dans un gène qui code pour la sous-unité alpha du canal sodique (SCN5A) dans 25% des cas seulement. Ces anomalies génétiques sont responsables d’une réduction de la densité du courant sodique et expliquent l’aggravation des anomalies électrocardiographiques engendrées par les antiarythmiques bloqueurs des canaux sodiques. Le pronostic est grave chez les patients symptomatiques et repose sur la prévention de la mort subite par l’implantation d’un défibrillateur automatique. La décision thérapeutique est beaucoup plus délicate chez les sujets asymptomatiques, sans antécédents familiaux.
En pratique, l’âge de découverte est très variable (entre 2 et 84 ans) une fourchette très large qui s’explique par la grande variabilité des modalités du diagnostic qui peut être établi chez des patients symptomatiques ou au cours d’un dépistage systématique d’une forme familiale. Au moins 20% des morts subites survenant chez des patients sans cardiopathie seraient imputables au syndrome de Brugada. La prévalence au sein de la population est difficile à estimer.
Les aspects cliniques sont très variables, pouvant prendre l’apparence de malaises d’allure vagale chez des sujets apparemment en pleine santé, d’autant que les symptômes surviennent le plus souvent au repos, voire la nuit. Les signes cliniques peuvent être trompeurs, comportant une respiration stertoreuse, une agitation, une perte d’urine ou une perte de mémoire récente (peut-être en rapport avec un certain degré d’anoxie cérébrale). Ces symptômes surviennent en dehors de toute cardiopathie, dont l’absence doit être affirmée par un bilan d’autant plus exhaustif que la présentation clinique est sévère. Au minimum, il comporte un examen clinique, un ECG (électrocardiogramme) et une échocardiographie. Dans certains cas, une coronarographie, une imagerie par résonance magnétique cardiaque, une scintigraphie de phase pourront être réalisées, permettant de confirmer l’absence de cardiopathie structurelle. La clé du diagnostic est fournie par les anomalies électrocardiographiques tout en sachant qu’elles peuvent être variables dans le temps chez un même patient, l’ECG pouvant être à certains moments strictement normal. L’effort physique, les bêta-stimulants, les alphalytiques tendent à minorer les manifestations électriques tandis que le repos, les bêtabloquants, les alphamimétiques, la stimulation vagale, les antiarythmiques (notamment l’ajamaline et le flécaïnide), certaines thérapeutiques psychotropes, la cocaïne tendent à les majorer, de même que l’hyperthermie.