Depuis mon départ en 2004 pour Montréal, cette question m’a souvent été posée. Pour tenter d’y répondre, je vais brièvement présenter certaines données qui différencient le Québec de la Suisse.
Le Québec a développé un système de santé dit « universel » et public depuis 1971. Le contrôle de l’Etat est omniprésent et la santé reste un enjeu politique de tous les instants comme partout. L’Etat a un grand pouvoir de décision et en particulier il détermine chaque année le nombre d’étudiants en médecine, le nombre de médecins à former par spécialité et en médecine de famille ainsi que leur répartition territoriale en fonction des besoins. Il y a 384 gynécologues au Québec pour 7,5 millions d’habitants (1175 en Suisse en 2006 pour la même population).1 L’Etat ne négocie qu’avec les deux fédérations médicales existantes (généralistes et spécialistes)2,3 et la gynécologie obstétrique est l’une des 32 associations qui constituent la Fédération des médecins spécialistes. L’Etat gère le budget de la santé par l’intermédiaire d’enveloppes fermées attribuées à chaque association de spécialistes et les médecins sont payés à l’acte par une assurance unique (Régie d’assurance maladie du Québec) financée par les impôts.4
L’université assure et contrôle la formation pré, postgraduée et continue et définit les standards de qualité pour chaque discipline selon les normes canadiennes et internationales. C’est pourquoi, il existe toujours deux départements indépendants par spécialité : l’un hospitalier et l’autre universitaire. Cela évite les conflits d’intérêt et assure des standards de formation de qualité. Le nombre de médecins en formation est très restreint et c’est le département universitaire qui attribue les places de formation dans les hôpitaux pour donner une formation égale pour tous (pas de passe-droit pour « les fils ou fille de… » copain du chef de service !). Si le service hospitalier est mal évalué à plusieurs reprises par les médecins en formation, il est possible de les en retirer totalement et obliger ainsi les médecins cadres à assumer seuls cette part du travail !
Ce système restreint malheureusement beaucoup l’accès aux soins en raison de la pénurie chronique de ressources, de personnel (médecins, infirmières, etc.) et de matériel (temps opératoire, médicaments, matériel désuet, etc.). Cela entraîne de longues listes d’attente dans les salles d’urgence, pour être opéré ou pour simplement rencontrer son médecin de famille ! Mais un tel système de soins assure des prises en charge et des soins plus ou moins identiques pour tout le monde, en particulier lors d’urgence vraie ou de pathologies sévères. Les patients ont toujours accès directement et selon leur libre choix à un médecin formé. Il n’est pas question qu’un patient soit suivi en ambulatoire, à l’hôpital ou opéré par un ou des médecins en formation sans supervision directe par un médecin cadre. Ceci garantit une formation constante des jeunes médecins (ratio enseignant/enseigné) et un standard de qualité pour les patients. Les compétences cliniques des médecins universitaires sont ainsi maintenues par cette exposition clinique constante.
Dans son éditorial du bulletin de la FMH du 11 mars 2008, le Dr Brigitte Muff se demande comment définir « un bon médecin ».5 Le Canada a répondu à cette question depuis 2005 en définissant des normes de formation en pédagogie médicale (CanMEDS).6 En effet, le médecin des années 2000 ne se définit plus seulement par sa grande réputation, son habileté chirurgicale ou son « Impact Factor » mais par l’association de six compétences (collaboration, communication, gestion, érudition, promotion de la santé, professionnalisme) qui en font un expert médical. Le temps des « grands patrons » arrogants est bel et bien terminé. C’est la formation par compétences et non par objectifs qui est le standard. Il est, en effet, plus important de « savoir être » et « savoir faire » une hystérectomie que d’en avoir fait 20 ou 30 !
Les départements universitaires sont au service des praticiens et des hôpitaux périphériques et non l’inverse, car nous dépendons de cet échange pour mener à bien notre mission clinique, d’enseignement et de recherche. Au Québec, les médecins universitaires évaluent les étudiants et les médecins en formation mais ils sont eux-mêmes évalués, selon des procédures très strictes et normalisées, par ces mêmes étudiants. Le titre de professeur est valorisé dans sa fonction première (et unique à mon avis !) qu’est l’enseignement. Le professeur de médecine n’est qu’un enseignant comme un autre ! Les postes académiques sont réévalués tous les trois ans et il est nécessaire, pour maintenir ce statut, de développer deux compétences en particulier parmi les trois suivantes : la clinique, l’enseignement ou la recherche. Il est évident que personne aujourd’hui ne peut prétendre être un bon clinicien, un directeur de laboratoire de recherche et un enseignant hors pair.
Il n’est pas possible d’entrer dans un service universitaire sans formation à l’étranger (un à trois ans) car c’est une question d’ouverture d’esprit essentielle en vue de collaborations futures ! Cette dynamique se retrouve également dans la hiérarchie hospitalière où les chefs de services vont se succéder au rythme de quatre à huit ans. Il est impensable de diriger un département universitaire en maître absolu durant 25 ans, car la fatigue et la routine prennent alors souvent le pas. Celui qui désire revenir comme chef de service ou de département doit alors démontrer, par un stage, en général à l’étranger, de nouvelles compétences.
Cela fait maintenant quatre ans que j’ai quitté la Suisse et son milieu médical et universitaire pour le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) en gynécologie oncologique. J’ai été accueilli et intégré dans ce système qui est très exigeant et malheureusement parfois à bout de souffle. Jamais je n’y ai ressenti de mépris, malgré mon statut d’étranger, et j’ai reçu davantage de messages de reconnaissance en quatre ans au Québec qu’en douze ans de pratique universitaire en Suisse !
Plusieurs médecins de ma génération ont aussi eu la chance de partir à l’étranger durant leur formation (en partie aux frais du contribuable) et n’ont ensuite pas pu poursuivre leur carrière universitaire à leur retour en Suisse. Certains se sont installés en privé (ce que j’ai fait durant quatre ans), d’autres en milieux périphériques ou sont repartis à l’étranger (et parfois revenus en Suisse !). Durant ces dernières années, de nombreux médecins cadres ont quitté le milieu universitaire et même les postes de chef de département trouvent parfois difficilement preneur. Ne serait-il pas temps que le milieu médical universitaire fasse son examen de conscience et envisage des réformes en profondeur ? Cette prise de conscience semble exister à la lecture du Courrier du médecin vaudois de juin-juillet 2008. En effet, le nouveau directeur du CHUV, le Pr P.-F. Leyvraz, met « l’accent sur la qualité, la formation et la valorisation humaine » dans son plan stratégique 2009-2013.7 Je ne peux que m’en réjouir.
Effectivement, l’herbe n’est pas plus verte au Québec qu’en Suisse mais elle a un goût différent et j’en conviens « des goûts et des couleurs, il en faut pour tout le monde ! ».