La sténose de l’artère rénale (SAR) est souvent associée à une maladie athéromateuse diffuse et, en conséquence, à une morbidité et une mortalité cardiovasculaires accrues. Le nombre de revascularisations de l’artère rénale a considérablement augmenté ces dernières années. Mais les succès rapportés par cette procédure, par rapport à un traitement médical seul, semblent modestes tant sur le contrôle de la pression artérielle que sur la progression de l’insuffisance rénale. La mise en évidence d’une SAR ne représente pas systématiquement une indication à une revascularisation. Plusieurs critères doivent être pris en compte, dont la localisation de la sténose, son retentissement hémodynamique, la fonction rénale, la sévérité de l’hypertension artérielle et la facilité avec laquelle le traitement antihypertenseur parvient à normaliser la pression artérielle.
La sténose de l’artère rénale (SAR) occupe une place prépondérante parmi les causes secondaires d’hypertension artérielle (HTA). Chez l’adulte, la SAR est le plus souvent associée à une maladie athéromateuse diffuse : artériopathie des membres inférieurs, coronaropathie, sténose carotidienne.1 Elle s’oppose classiquement à la sténose liée à une dysplasie fibromusculaire touchant l’adulte jeune. Dans 90% des cas, la localisation de la SAR athérosclérotique touche l’ostium et le tiers proximal de l’artère rénale.1 Les résultats de nombreuses études après une revascularisation de la sténose mettent en évidence un faible bénéfice, tant sur la progression de l’insuffisance rénale que sur le contrôle de l’HTA, alors que le nombre de revascularisations est en augmentation constante. Dans cet article, nous tenterons de définir les stratégies permettant d’évaluer le potentiel bénéfice d’une revascularisation d’une SAR athérosclérotique. Nous n’aborderons pas le cas de la SAR sur dysplasie fibromusculaire, fréquente chez la femme jeune, dont le traitement de choix est la revascularisation.
De nombreuses études mettent en évidence le lien étroit existant entre le développement d’une SAR athéromateuse et le risque cardiovasculaire. La SAR est souvent associée au tabagisme, à l’HTA, au diabète, à une dyslipidémie et à une insuffisance rénale chronique.2 La prévalence de la SAR varie selon les séries et selon la population observée : dans une série portant sur des autopsies, elle s’élevait à 25-35% chez les plus de 60 ans, et 40-60% chez les plus de 75 ans.3 Dans une étude prospective sur 102 patients, la prévalence d’une SAR était de 15% parmi ceux présentant de multiples localisations d’athérosclérose.4 Inversement, en cas de SAR, une maladie athérosclérotique touchant d’autres organes était présente dans environ 85% des cas.5,6 Dans une étude portant sur 3987 patients ayant subi une aortographie pratiquée à l’issue d’une coronarographie, la survie à quatre ans était de 89% en cas de SAR inférieure à 75% du diamètre et de 57% lorsque la sténose était plus serrée.7 Les sténoses bilatérales avaient une survie à quatre ans de 47% contre 59% en cas de sténose unilatérale.
La SAR associée à une maladie athéromateuse est la cause la plus courante d’HTA rénovasculaire.8 Souvent, elle aggrave une hypertension préexistante. Pour maintenir un débit de filtration glomérulaire en cas de diminution de la perfusion rénale, la résistance de l’artériole efférente augmente via l’activation du système rénine-angiotensine, avec pour conséquence une augmentation de la pression artérielle systémique, le maintien d’une pression intraglomérulaire suffisante pour préserver la filtration glomérulaire et une rétention rénale de Na+. D’autres mécanismes sont impliqués :9 l’activation du système sympathique, l’inhibition de production du NO et l’éventuelle atteinte de la microcirculation du rein du côté non sténosé souvent atteint de néphro-angiosclérose.10 Selon que la SAR est unilatérale ou bilatérale, le mécanisme de l’HTA est bien distinct : dans le premier cas, le maintien de la pression artérielle élevée dépend de l’angiotensine II. Le rein sain controlatéral permet l’excrétion du Na+ retenu en excès du côté sténosé, d’où la persistance de l’activation du système rénine-angiotensine. Dans le second cas, en raison de la rétention bilatérale de Na+, la sécrétion de rénine est supprimée. Dans ce dernier cas, le Na+ est retenu avec pour conséquence une augmentation progressive du volume circulant, l’HTA devenant volume-dépendante plutôt que rénine-dépendante. Les manifestations d’une HTA rénovasculaire sont résumées dans le tableau 1.
L’évolution naturelle de la SAR conduit à une ischémie rénale progressive avec une atrophie rénale, avec évolution quelquefois vers une occlusion complète par une thrombose de l’artère. L’incidence de la progression varie considérablement selon les études : dans environ 49% des cas, la sténose progresse sur quatre à cinq ans, mais avec des écarts de 29 à 71%.11-14 La prévalence moyenne d’une occlusion de la SAR était de 14%. Dans une étude prospective utilisant l’échographie Doppler chez des sujets chez qui une SAR avait été découverte de manière fortuite, la progression de la sténose était en moyenne de 31% sur trois ans, avec neuf événements d’occlusion totale sur 295 patients (3%). Cette progression variait considérablement selon le niveau initial de la sténose.15 Dans une série de 68 patients avec des sténoses évoluées de plus de 70%,16 la nécessité de recourir à une revascularisation était inférieure à 10% : quatre patients (5,8%) pour une hypertension réfractaire, un cas de sténose progressive, deux cas lors d’une reconstruction chirurgicale de l’aorte. De façon intéressante, cinq cas avaient développé une insuffisance rénale terminale sans rapport direct avec une majoration du rétrécissement de la sténose. Il est important de rappeler que les bloqueurs du système rénine-angiotensine sont largement prescrits chez ces patients porteurs d’une SAR en raison de la présence d’une HTA souvent de longue date ou d’une insuffisance cardiaque. Ce n’est que lors de la découverte fortuite d’une SAR ou à l’occasion d’un événement particulier (tableau 1) que la décision de la poursuite ou de la modification de la posologie d’un bloqueur du système rénine-angiotensine se pose en raison du risque d’insuffisance rénale aiguë ou d’hyperkaliémie par rapport à une revascularisation de la SAR.
Selon une estimation des Center for medicaid and medicare service (CMMS), l’indication à une revascularisation de l’artère rénale a augmenté de 62% passant de 13 380 à 21 600 interventions entre 1996 et 2000.17 Cette augmentation est surtout le fait de revascularisations par dilatation endoluminale avec la pose d’un stent endovasculaire. Le nombre de revascularisations chirurgicales a par contre diminué drastiquement. L’augmentation du nombre de revascularisations est liée en Amérique du Nord à leur réalisation faite au moment d’un cathétérisme cardiaque.6 Néanmoins, devant l’absence de bénéfice sur le contrôle tensionnel ou sur la progression de l’insuffisance rénale par rapport à un traitement médical,18 la revascularisation d’une SAR en première intention est sujette à controverse, à tel point que les CMMS américains s’orientent désormais vers une analyse plus critique du remboursement de cette indication. Cette attitude est confortée par l’existence de complications liées aux procédures de revascularisation (tableau 2).19
Il existe actuellement trois études prospectives randomisées20-22 contre environ 25 études non randomisées, réalisées dans des centres uniques,23,24 difficilement comparables entre elles en raison de différences portant sur les caractéristiques des sujets, la définition de sévérité de la SRA, les procédures de revascularisation, les critères de jugement et la durée du suivi. Il est encore plus difficile de porter une appréciation pertinente sur les conséquences d’une revascularisation endovasculaire ou chirurgicale. Certaines séries concernant le succès d’une revascularisation en cas d’insuffisance rénale (IR) avancée sont très pessimistes et décrivent une évolution vers l’IRC terminale de l’ordre de 35%,25 ceci malgré une revascularisation.
Quel est l’apport des études randomisées ? Dans la DRASTIC study, 106 patients avec une HTA associée à une SAR de plus de 50% et une créatinémie de moins de 200 µxmol/1 ont été randomisés à un traitement médical ou une angioplastie avec ou sans stent.22 Pour être inclus, les malades devaient avoir une pression artérielle diastolique supérieure à 95 mmHg sous un traitement de deux antihypertenseurs comprenant ou non un bloqueur du système rénine-angiotensine ou si la créatinémie plasmatique s’élevait de plus 20 µxmol/1 sous administration d’un bloqueur du système rénine-angiotensine. Aucune procédure n’était proposée pour favoriser un régime pauvre en sel ou l’arrêt du tabac. A douze mois, aucune différence n’était relevée entre les deux groupes, tant sur la pression artérielle que sur la fonction rénale. Néanmoins, il faut relever qu’il y a eu un transfert important de sujets du groupe traitement médicamenteux seul vers celui traité par angioplastie, ceci en raison d’une aggravation de la fonction rénale ou de l’HTA (22 sujets sur 50). Les résultats étaient ainsi difficilement interprétables.
La deuxième étude randomisée a porté sur une population de 49 patients sans IR avancée20 avec une évaluation de la pression artérielle six mois après angioplastie. Le traitement antihypertenseur était stoppé après angioplastie, mais conservé dans le groupe sans angioplastie. Secondairement, dans les deux groupes, le traitement antihypertenseur était adapté selon l’évolution de la pression artérielle. Chez six patients sur vingt-six (groupe contrôle), une angioplastie avait été nécessaire en raison d’une HTA mal contrôlée. Le seul avantage du groupe angioplastie a été un traitement médicamenteux réduit mais sans que le contrôle tensionnel soit meilleur. Dans le groupe angioplastie, sur 23 patients, un cas de dissection de l’artère rénale avec un infarctus rénal segmentaire et trois resténoses ont été observés.
La dernière étude comparait un traitement médical vs angioplastie dans une population avec SAR unilatérale ou bilatérale de plus de 40%.21 Les résultats montraient un bénéfice modeste de l’angioplastie à un an sur la pression systolique dans le groupe avec une SAR bilatérale, en l’absence toutefois de bénéfice sur la fonction rénale.
Ces trois études, en raison de limitations importantes, n’ont pas permis de démontrer un bénéfice décisif de la revascularisation tant sur le plan de la pression artérielle que sur le plan rénal. En outre, en raison d’un suivi court (douze mois au maximum), l’effet d’une revascularisation sur la survenue des complications cardiovasculaires et le rapport coût/bénéfice n’a pas pu être précisé.
Enfin, pour les patients ayant quitté le groupe traitement médical seul vers le groupe angioplastie en raison d’une HTA non contrôlée ou du déclin de la fonction rénale, l’évolution n’a pas été précisée.
Tout récemment ont été présentés les résultats de l’étude ASTRAL dans laquelle 403 patients avec sténose de l’artère rénale ont reçu un traitement médicamenteux et 403 autres, un traitement médicamenteux associé à une angioplastie et/ou un stent de l’artère rénale (www.cardiosource.com). Ces patients ont été suivis pendant 27 semaines. A la fin de cette étude, aucune différence significative entre les deux groupes n’a été observée concernant la pression artérielle, la fonction rénale, la mortalité et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque.
L’étude CORAL est une étude multicentrique, incluant 1087 patients (Cardiovascular outcomes in renal atherosclerosis lesions; www.clinicaltrials.gov) chez qui sont comparés un traitement médical seul avec une angioplastie et la mise en place d’un stent, ceci sur des lésions sténotiques de plus de 60% chez des patients ayant une pression systolique supérieure à 155 mmHg sous bithérapie. Les critères de jugement combinés sont l’absence d’événements cardiovasculaires ou rénaux définis par le doublement de la créatinine plasmatique ou la mise en dialyse avec un suivi de 3,5-5 ans. L’inclusion des patients a débuté en 2007. Cette étude permettra, espérons-le, de répondre aux interrogations légitimes par rapport à l’utilité de l’angioplastie en cas de SAR.
Avant de prendre la décision d’une revascularisation d’une SAR, les éléments à considérer sont (figure 1) :
• le retentissement hémodynamique de la sténose sur la perfusion glomérulaire, le retentissement n’étant pas toujours proportionnel au degré de sténose.
• L’évolutivité de l’atrophie rénale au cours du temps.
• L’importance des lésions de néphroangiosclérose mal heureusement irréversibles26 après revascularisation.
Plusieurs méthodes permettent de diagnostiquer le degré de sténose, mais seulement deux techniques permettent d’évaluer le retentissement d’une SAR : la scintigraphie rénale avec un test au captopril et l’échographie Doppler.
La scintigraphie rénale avant et après administration de 25 mg de captopril permet d’étudier la cinétique de l’isotope et d’apprécier la capacité du débit de filtration de chaque rein. Elle estime la diminution de la filtration glomérulaire et le ralentissement de l’excrétion hydrosodée du rein atteint de sténose artérielle, après prise de captopril (figure 2). Ce test a surtout une valeur prédictive négative élevée pour une sténose hémodynamiquement significative en cas de résultat normal.27,28 En cas d’IRC avancée, la sensibilité de la scintigraphie rénale devient insuffisante.
L’échographie Doppler permet de déterminer certains facteurs de mauvais pronostic pour le succès d’une revascularisation comme un rein de moins de 8 cm et un cortex atrophique. Récemment, Radermacher et coll. ont évalué par Doppler de quelle façon un haut degré de résistance du flux artériel au niveau des artères segmentaires, défini par un index de résistance au-delà de 80, pouvait être prospectivement utilisé pour prédire le succès d’une revascularisation.29 Parmi les patients ayant un index supérieur à 80 avant la revascularisation, la pression artérielle moyenne ne diminuait pas de plus de 10 mmHg après revascularisation et la fonction rénale s’aggravait dans 80%, avec une évolution vers la dialyse dans 29% des cas. Néanmoins, la valeur de cet index de résistance pour prédire le succès ou non d’une revascularisation n’a pas été confirmée par d’autres investigateurs.
Depuis peu, l’évaluation de la réduction d’oxygène tissulaire lors d’une maladie vasculaire occlusive comme la SAR est possible par la résonance magnétique (MRI). Le blood oxygen-level-dependent MRI (BOLD MRI) permet de détecter les modifications de la déoxyhémoglobine tissulaire lors de la perfusion intraveineuse de furosémide. En effet, le furosémide modifie la consommation d’O2 du transport de Na+ au niveau de l’anse de Henlé, en inhibant sa réabsorption. En étudiant la réponse du signal en BOLD MRI avec et sans furosémide chez des sujets ayant des reins de taille normale et une sténose sévère, la consommation tissulaire en O2 du cortex et de la médulla était significativement modifiée par le furosémide, alors qu’avec des reins atrophiques avec occlusion des artères rénales la consommation en O2 n’était pas modifiée par le diurétique. Cette méthode reste pour l’instant du domaine de la recherche mais d’autres utilisations du BOLD MRI pour évaluer la toxicité tissulaire médicamenteuse mettent en évidence des résultats très prometteurs.30
Le traitement de la SAR athérosclérotique reste controversé en raison de la difficulté de prédire le succès d’une revascularisation. Ceci est probablement dû à une mauvaise identification des patients susceptibles de bénéficier d’angioplastie. La place des inhibiteurs du système rénine-angiotensine et celle du traitement des facteurs de risque cardiovasculaire restent les éléments essentiels avant de proposer une revascularisation systématique. Néanmoins, les moyens actuels d’évaluation de l’évolutivité des plaques d’athérosclérose ainsi que l’amélioration des techniques d’angioplastie permettent d’espérer dans l’avenir une amélioration sensible de la morbidité-mortalité cardiovasculaire chez des sujets bien individualisés.
Nous proposons une prise en charge pluridisciplinaire:
> Evaluer préalablement la ou les causes d’hypertension artérielle (HTA) ou d’insuffisance rénale
> Utiliser des bloqueurs du système rénine-angiotensine et traiter agressivement les facteurs de risque cardiovasculaire
> Contrôler la créatinine plasmatique et le potassium après l’initiation des bloqueurs du système rénine-angiotensine
> Contrôler périodiquement la taille des reins : une atrophie rénale progressive n’entraîne pas de manière obligatoire une élévation immédiate de la créatinine plasmatique si le rein controlatéral est fonctionnel ; une fonction rénale stable peut être faussement rassurante
> Effectuer une évaluation hémodynamique d’une sténose de l’artère rénale (SAR) et du risque lié à une revascularisation
Atherosclerotic renal artery stenosis is often associated with diffuse atherosclerotic disease and consequently an increased cardiovascular morbidity and mortality. Despite evidence of only moderate clinical benefit in comparison with medical treatment to control the blood pressure and to prevent renal failure, renal endovascular revascularisation has become more and more popular. The decision to treat an atherosclerotic renal stenosis by revascularisation should be taken only after a close examination of the hemodynamic impact of the stenosis, the renal function, the severity of hypertension and the quality of blood pressure control achieved by the medical treatment.