La thrombolyse précoce constitue, à l’heure actuelle, le seul traitement pouvant améliorer le pronostic des patients atteints d’un accident vasculaire cérébral ischémique. Par ailleurs, son administration dans les délais les plus courts après la survenue des premiers symptômes augmente significativement son efficacité. Le tri des patients en préhospitalier et leur acheminement vers un centre spécialisé restent les seuls facteurs déterminants permettant la réalisation de cette technique dans les délais autorisés. Sur la base de données romandes, il résulte que le tri des patients par un médecin-urgentiste et leur transfert direct depuis le domicile sans halte à l’hôpital régional et sans imagerie réduisent considérablement les délais et permettent ainsi à un plus grand nombre de patients de bénéficier de ce traitement.
L’accident vasculaire cérébral (AVC) est la cause la plus fréquente d’un handicap durable chez l’adulte. Selon sa nature et sa localisation, son taux de mortalité varie de 10 à 60% et sa morbidité à un an de 10 à 40%. En Suisse, chaque année, environ 14 000 personnes sont victimes d’un AVC, dont 80% sont ischémiques ; environ 3000 en décèdent et 3000-5000 survivent avec un handicap significatif.
Depuis une quinzaine d’années, des unités cérébro-vasculaires (UCV) ont vu le jour et permis grâce à leur prise en charge systématisée d’une part, et à la thrombolyse d’autre part, de révolutionner la prise en charge de l’AVC. Il a notamment été démontré que la prise en charge de l’AVC dans une UCV n’est pas seulement associée à une meilleure chance de survie, mais surtout à une réduction importante du handicap chez les survivants.
La thrombolyse intraveineuse de l’AVC ischémique avec le rt-PA (alteplase ou Actylise) dans les trois premières heures après le début des symptômes a été accréditée par Swissmedic en 2002 tout comme le recours à l’urokinase intraartérielle pour la reperméabilisation des artères cérébrales au cours des six premières heures. Les recommandations suisses basées sur les connaissances scientifiques actuelles1-6 ont été mises à jour en 2006 par le Groupe suisse de travail pour les maladies cérébro-vasculaires.7 Toutefois, seul un petit pourcentage des victimes d’AVC peut bénéficier de ce traitement, ceci principalement en raison des délais écoulés avant l’arrivée du patient dans un hôpital pratiquant la thrombolyse.
Un paysan du Val de Ruz (NE), âgé de 62 ans, en bonne santé, peu médicalisé, tabagique, présente au réveil de sa sieste, vers 13 heures, une aphasie et remarque que sa main droite ne répond plus à ses ordres. D’après son épouse au moment de se coucher vers 12 heures, le patient se portait bien. Après 30 minutes, devant la persistance des symptômes, elle appelle le médecin traitant, absent, puis le médecin de garde qui se rend sur place à 14 h 30. Ce dernier confirme une aphasie et un hémisyndrome, ordonne son hospitalisation et fait appel à un service d’ambulance qui amène le patient vers l’hôpital régional, où il arrive vers 15 h 15. Peu après, son état se détériore, il est agité, transpirant et n’a plus de contact verbal. La TA est à 230/110 mmHg, le pouls à 110 battements/min, irrégulier. La glycémie est mesurée à 7, 8 mmol/l. L’examen neurologique montre une latéropulsion du regard vers la gauche, une aphasie globale, une hémiplégie flasque facio-brachiale droite et un retrait à la douleur du membre inférieur droit.
Après administration de labétalol, la TA s’abaisse à 170/100 mmHg. Le scanner cérébral montre une dédifférentiation cortico-sous-corticale frontale gauche et une occlusion de la cérébrale moyenne dans sa portion M1. Il est 16 h 30, le médecin de l’hôpital périphérique prend contact avec le neurologue de garde du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et, au vu de la gravité de la situation, décide de le transférer (4 h 30 après l’apparition des symptômes). Le transfert est organisé par la REGA qui quitte l’hôpital régional à 17 h 10 et arrive dans le Service des urgences du CHUV à 17 h 30. L’atteinte neurologique reste sévère avec un score NIHSS (National institute of health stroke scale) à 21. Le CT de perfusion pratiqué 5 h 45 après l’événement (figure 1 ) montre malheureusement un infarcissement sylvien complet assez étendu. L’indication à une thrombolyse intraveineuse ou une recanalisation intra-artérielle n’est malheureusement plus retenue en raison du délai prolongé.
Le patient est stabilisé, bénéficie d’une prévention secondaire et est retransféré dans sa région d’origine. Malgré une rééducation neurologique, il gardera un handicap sévère (chaise roulante) et une aphasie partielle. Après trois mois, il peut regagner son domicile, où son épouse s’occupe de lui aidée des structures de soins à domicile.
Ce cas illustre non seulement la gravité potentielle de l’AVC et de ses conséquences, mais également les difficultés encore trop souvent rencontrées dans notre système de soins durant la prise en charge aiguë de cette pathologie.
Parmi les études contrôlées de qualité ayant évalué l’efficacité de la thrombolyse (NINDS, ECASS I et II, ATLANTIS, PROACT II et MELT), 1-5 seules les études NINDS et PROACT-II ont été favorables sans équivoque à la thrombolyse.1,4 L’étude NINDS, où les patients recevaient le rt-PA dans les trois premières heures après la survenue des symptômes, montre une meilleure récupération fonctionnelle, mesurée par le taux d’indépendance (score de Rankin modifié de 0 ou 1) dans le groupe rt-PA (42,7% ) comparé au groupe placebo (26%).1 L’analyse a posteriori des patients recevant le rt-PA dans les trois heures dans l’étude ECASS II montre également un effet significatif.2 L’étude SITS-MOST (Safe implementation of thrombolysis in stroke-monitoring study) a permis de confirmer à large échelle ces mêmes bénéfices (55% d’indépendance fonctionnelle à trois mois) avec une diminution de la mortalité (11% à trois mois vs 17% dans les études précédentes). Par ailleurs, le taux de mortalité était significativement plus bas dans les centres spécialisés encourageant ainsi la thrombolyse dans des UCV.6 D’autre part, les mêmes auteurs ont récemment publié des données prometteuses concernant la sécurité d’une thrombolyse au-delà de ces délais, ce qui a été confirmé par l’étude ECASS III qui vient de sortir.8,9 En effet, ECASS III est la deuxième étude randomisée qui démontre le bénéfice de la thrombolyse intra veineuse mais ceci à un délai supérieur aux trois heures démontré par NINDS et allant jusqu’à 4,5 heures.9 Rappelons cependant que les bénéfices de la thrombolyse sont plus marqués dans les délais les plus courts. Ces données étant en voie de publication lors de la rédaction de cet article, dans les nouveaux protocoles (en cours de modification) le délai de la thrombolyse actuellement de 180 minutes (trois heures) vient d’être prolongé à 270 minutes (4,5 h).
L’étude PROACT II a, quant à elle, démontré un bénéfice clinique significatif de la thrombolyse intraartérielle chez des patients traités dans les six heures pour un AVC ischémique sylvien sur occlusion de l’artère cérébrale moyenne.4
En conclusion, il faut considérer que, dans la phase aiguë de l’AVC ischémique, time is brain et que tous les patients potentiellement éligibles pour une recanalisation par thrombolyse devraient converger au plus vite et sans examen neuroradiologique préliminaire vers les centres hospitaliers disposant d’une UCV. Cette dernière pourra, après analyse des critères de sélection stricts (tableaux 1 et 2), tant cliniques (score NIHSS) que neuroradiologiques (CT de perfusion, IRM, angiographie, Doppler), appliquer la perfusion de l’agent thrombolytique adapté à la situation (rt-PA i.v. jusqu’à trois heures (4,5 h selon les nouveaux protocoles) ou pro-urokinase i.a. jusqu’à six heures).
Il est évident que la mise en route de la thrombolyse dans un hôpital sans UCV pourrait épargner de précieuses minutes. Toutefois les voies d’acheminement en Suisse sont suffisamment courtes pour qu’un transport direct vers une UCV soit justifié, pour autant qu’un tri efficace soit appliqué sur le site par un médecin connaissant les critères de sélection.
Même si la prise en charge de l’AVC devient de ce fait spécialisée, la place du médecin de premier recours ou du médecin d’urgence est extrêmement importante pour le tri et l’acheminement du patient vers la structure la mieux adaptée dans le plus bref délai.
La figure 2 représente les différentes phases de la prise en charge d’un AVC aigu.
La phase hospitalière, volontairement non traitée dans cet article, consiste en une prise en charge immédiate de tout patient suspect d’AVC aigu afin de raccourcir au mieux le door to needle time. Le service des urgences du centre équipé d’une UCV reconnaîtra donc l’urgence et emmènera le patient dans une salle de déchoquage ou directement au CT. Les cibles temporelles à atteindre pour cette période sont au maximum de 25 minutes jusqu’à l’imagerie et de 60 minutes jusqu’à la thrombolyse. Au CHUV, les cibles sont atteintes respectivement dans 34% et 62% des cas avec des temps moyens de 28 et 57 minutes.
Actuellement, une moyenne de 60 minutes s’avère nécessaire jusqu’à la thrombolyse, ce qui laisse, tout au plus, un délai de 120 minutes (210 minutes selon les nouveaux protocoles en cours) entre le temps d’apparition des symptômes et l’arrivée du patient dans l’UCV. Malgré l’extension de la fenêtre thérapeutique à 4,5 h, Il est important de rappeler que dans l’intervalle, plus la thrombolyse est précoce, plus elle est efficace.1-3 Tous les efforts doivent donc être entrepris afin de raccourcir les délais tant intra qu’extrahospitaliers.
Or, la phase préhospitalière est la somme des délais depuis l’apparition des symptômes, de l’appel et de la prise en charge par la chaîne des secours. On comprend donc aisément que pour atteindre les objectifs, le recours à un protocole simple de tri et d’acheminement du patient vers l’UCV est primordial. Pour le praticien au cabinet, cela implique de reconnaître la pathologie et son urgence. Devant l’apparition aiguë de troubles de la motricité et/ou de la sensibilité, de la parole, ou encore visuels ou cérébelleux, il faut évoquer un AVC. Pour le médecin praticien, il est donc important de faire appel au 144, et s’il n’est pas sur place, de faire appel au service du SMUR. Au domicile du patient, si ce dernier remplit les critères de thrombolyse (tableaux 1 et 2), le médecin, après avoir brièvement procédé à un examen neurologique sommaire, contrôlé les fonctions vitales, et effectué une glycémie, peut directement faire appel à la filière relevant de l’accès à l’UCV. Rappelons à ce sujet que l’analyse des facteurs influençant les délais préhospitaliers a montré que de faire appel à son médecin traitant en première intention augmentait de manière significative le délai d’admission vers une UCV.10-13
Cependant rares sont les cas de figure où le praticien de premier recours se trouve sur place mais il est, en revanche, encore fréquemment appelé par la famille ou dans le cadre de la garde. Il est donc crucial qu’il redirige l’appel sur le 144 afin que la chaîne des secours se mette en place.
En Suisse romande, un réseau AVC efficace pour l’acheminement des patients éligibles à une thrombolyse est en train de se mettre en place entre les hôpitaux régionaux et les UCV du CHUV, des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et de l’Inselspital.
Actuellement, la prise en charge initiale de l’AVC diffère selon les régions. Nous avons analysé sur une période de quatre ans (2003 à 2007) les données concernant 279 patients souffrant d’AVC ischémique aigu en provenance de zones périphériques et acheminés au CHUV. Cette analyse montre que 40% de ces patients ont bénéficié d’une thrombolyse, ce qui représente un taux extrêmement élevé et témoigne d’un excellent tri. Pour comparaison, dans la zone desservie par le CHUV en première intention (ville de Lausanne et environs, où tous les patients avec AVC sont obligatoirement acheminés au CHUV), seuls 13% des AVC ont été thrombolysés (figure 3). Par ailleurs, on note que seuls 33% des patients transférés secondairement après une halte dans un hôpital régional ont bénéficié de ce traitement alors que ce pourcentage s’élève à 49% pour les patients acheminés directement de leur domicile au CHUV. Cette différence est confirmée par le délai moyen de la prise en charge du début des symptômes jusqu’à la porte du CHUV qui est, respectivement, de 243 minutes vs 123. On ajoutera à ce délai les 60 minutes de door-to-needle, temps nécessaire pour effectuer la thrombolyse. On peut donc retenir que la plupart des patients arrivés directement depuis leur domicile se sont trouvés dans les délais impartis pour une éventuelle thrombolyse (183 minutes) mais que cette dernière n’a pas eu lieu pour d’autres raisons (contre-indications, régression spontanée des symptômes, co-morbidités).
Il semblerait cependant que, à délais pratiquement identiques, l’appréciation et le tri soient plus efficaces par un médecin-urgentiste que par les ambulanciers seuls et qu’un tri commun (ambulanciers et médecins) ne peut qu’augmenter la précision de ce dernier.
Relevons cependant que chaque région doit faire face à des spécificités locales, notamment géographiques ou de l’organisation de la chaîne des secours. Instinctivement, on suppose que le moyen de transport le plus rapide reste l’héliportage, ce qui est globalement vrai : en effet, le délai médian pour les patients venant de zones périphériques est de 220 minutes par ambulance et de 163 minutes par hélicoptère. Toutefois, les données montrent que ce délai (et le taux de thrombolyses) est relativement stable quel que soit le moyen de transport pour autant que le patient soit acheminé directement depuis son domicile (délai médian de 120 minutes par ambulance sans halte à l’hôpital régional et 128 minutes par hélicoptère sans halte) (figure 4).
Fort de ces constats, il nous semble important de discuter des stratégies à adopter dans la prise en charge préhospitalière de l’AVC. En effet, cette dernière est cruciale si l’on considère qu’elle influence largement l’accès à la thrombolyse et le succès de cette dernière. On ne répétera jamais assez que plus la thrombolyse est administrée précocement, plus elle améliore la récupération fonctionnelle et diminue le handicap. Notre expérience démontre une diminution des délais et un recours accru à la thrombolyse dans tous les cas où le patient est directement acheminé vers une UCV sans détour par l’hôpital régional, sans imagerie et quel que soit le moyen de transport.
En conséquence, des campagnes de prévention à large échelle axées sur la reconnaissance des symptômes de «l’attaque cérébrale» et surtout sur son urgence et les possibilités de traitement devraient être régulièrement diffusées (spots publicitaires, journaux, affiches et brochures informatives). En effet, connaître seulement les signes d’un AVC ne diminue pas les délais de sa prise en charge, mais le fait que le public sache qu’il s’agit d’une pathologie sérieuse mais traitable, influence la rapidité de l’appel au secours et influence favorablement les délais de prise en charge.14 Une nouvelle campagne nommée HELP a été lancée par la Fondation suisse de cardiologie depuis 2007 pour sensibiliser et informer la population sur les symptômes typiques de l’urgence cardiovasculaire et sur l’orientation rapide vers le 144, numéro encore trop souvent méconnu de la population.15
De même le personnel des centrales téléphoniques (cabinets, centrales des médecins, 144) devrait recevoir une formation régulière à ce sujet et l’on doit se poser la question du bénéfice de nouveaux mots-clés qui déclencheraient d’emblée l’engagement des moyens sanitaires appropriés (ambulance et SMUR ou médecin de garde) tel qu’on le voit lors d’un appel pour des douleurs thoraciques. Nous soulevons cependant les difficultés à uniformiser les prises en charge dans le domaine du sauvetage notamment dans un système qui relève de la compétence des cantons. Les diverses spécificités locales tant sur le plan de l’organisation sanitaire que l’accès aux différents centres hospitaliers de référence entravent la mise en place de protocoles communs.
La collaboration 144-ambulanciers-médecins doit toute-fois être bien organisée afin de ne pas perdre des minutes essentielles. Dans un tel schéma, un médecin-urgentiste (SMUR), ou, le cas échéant, le médecin de garde devrait se rendre immédiatement au domicile lors du déclenchement de l’alerte «suspicion d’AVC aigu» faite par le 144.
Sur place, le médecin, après un tri rapide, décidera si le patient remplit les critères pour une éventuelle thrombolyse. Dans ce cas et après confirmation téléphonique par l’UCV, le patient est transféré directement vers la salle de déchoquage de l’hôpital avec UCV, sans passer par l’hôpital régional, accompagné, en cas d’instabilité cardiorespiratoire ou de troubles de la vigilance, par le médecin-urgentiste.
Cette étape constitue le lien entre les équipes préhospitalière et hospitalière, permet d’anticiper la prise en charge du patient en transmettant les informations importantes (heure de survenue, estimation de l’atteinte et du territoire) et optimise les conditions de réception du patient (disponibilité du scanner et des différents intervenants).
La figure 5 permet de visualiser le schéma optimal de la prise en charge de l’AVC et met en évidence la complexité de la collaboration multidisciplinaire nécessitant la mise en place de différentes campagnes d’information, de formation tant au niveau des intervenants que du grand public et le rôle primordial des centres de références dans l’harmonisation des procédures en vigueur.
> L’AVC aigu est une urgence prioritaire sur laquelle on peut agir (0-6 heures, mais mieux < 4,5 heures)
> La thrombolyse permet de diminuer le handicap ; plus elle est précoce, meilleure est la récupération fonctionnelle
> En cas de suspicion d’AVC, faire appel au 144 qui engage les moyens sanitaires appropriés
> Selon un protocole de tri (ambulancier et médical) et après téléphone au médecin de garde de l’unité cérébro-vasculaire (UCV), un transfert direct vers cette dernière peut être décidé
Thrombolysis is the most effective treatment improving the outcome of patients suffering from acute stroke. Moreover, its effectiveness increases when administrated as quick as possible after the onset of the first symptoms. Prehospital selection of patients and their immediate transfer to stroke center are the principal factors allowing the practice of thrombolysis within the authorized time frame. On the basis of regional Swiss French data, it seems that patients evaluated by emergency physician and their direct transfer in an acute stroke unit reduces delays and allows for a higher thrombolysis rate.