Chez qui faut-il dépister une bactériurie asymptomatique (BA) ? Avec quel outil diagnostique ? Quand faut-il traiter ? Cet article de synthèse fait le point sur la prise en charge d’une BA dans différentes populations.
Le dépistage systématique n’est préconisé que chez la femme enceinte, en raison d’un risque avéré de complications. Une antibiothérapie est aussi de règle, en cas de BA, avant chaque intervention génito-urinaire. Le choix thérapeutique devient plus délicat chez les patients immunodéprimés ou greffés : l’art consiste à trouver le juste équilibre entre risque de complications et augmentation des résistances aux antibiotiques.
Chez tous les autres patients, l’outcome se révèle négatif. Le décalage est conséquent entre guidelines et pratique clinique. Enfin, dans ce contexte, la «prophylaxie bactérienne» ouvre de nouvelles perspectives.
Le dépistage systématique de la bactériurie asymptomatique (BA) n’est préconisé de manière impérative que chez la femme enceinte, la première fois entre 12 et 16 semaines de grossesse, en raison d’un risque avéré de complications pour la mère et l’enfant. Dans ce cas, ainsi qu’avant une intervention génito-urinaire invasive chez l’homme ou la femme avec BA, un traitement antibiotique est de règle.
Le choix thérapeutique devient plus délicat chez les patients immunodéprimés ou greffés : l’art consiste alors à trouver le juste équilibre entre risque de complications et augmentation des résistances aux antibiotiques, sans consensus validé.
En revanche, traiter une BA chez des patients, hommes ou femmes, en bonne santé habituelle, des patients diabétiques, des personnes âgées, des patients porteurs d’une sonde urinaire, n’est d’aucune utilité. Pire, l’outcome se révèle négatif en raison d’effets secondaires possibles et du développement de résistances antibiotiques. Des études récentes montrent que le décalage entre guidelines et pratique clinique est conséquent. Enfin, dans ce contexte, la «prophylaxie bactérienne», thème de recherches actuellement exploré, ouvre de nouvelles perspectives.
La présence de bactéries dans l’urine vésicale (ponction sus-pubienne) d’un patient homme ou femme, sans signes cliniques d’infection urinaire, est appelée stricto sensu «bactériurie asymptomatique». Lors d’un prélèvement urinaire natif, la bactériurie est dite significative lorsque la quantité de bactéries est suffisante pour ne pas être le fruit d’une contamination. Chez la femme, cela nécessite le prélèvement de deux cultures récoltées à mi-jet, avec une concentration bactérienne d’au moins 105 CFU/ml et une seule souche bactérienne. Chez l’homme, il suffit d’une culture positive aux mêmes conditions.
Plusieurs tests rapides de dépistage ont été évalués dans des études qui visent des groupes différents (par exemple, femmes enceintes,1 personnes âgées2) et la conclusion est la même : aucun test n’est suffisamment performant pour remplacer une culture d’urine pour la détection d’une BA.
Les leucocytes estérases et nitrite tests sont souvent utilisés en premier recours pour évaluer les symptômes urinaires, mais ils ne sont pas utiles pour évaluer une BA. Selon des études effectuées dans différents sous-groupes, un stix urinaire avec leucocytes positifs a une sensibilité oscillant entre 75 et 96% et une spécificité de 94 à 98%, pour détecter une pyurie, qui est, rappelons-le, non spécifique d’une BA (notamment en cas de vaginose bactérienne) ! Le stix urinaire avec nitrite est très spécifique (entre 92 et 100%), mais sa sensibilité est assez faible (35 à 85%). La combinaison des deux tests leucocytes/nitrites diminue la spécificité et augmente la sensibilité (88 à 92%). De fait, la culture par ponction vésicale demeure le gold standard pour le diagnostic, cependant, en pratique clinique, une culture d’urine native est acceptable et généralement pratiquée.
La prévalence d’une BA dans différentes populations de patients est variable (tableau 1).3 Au sein de la population générale, il a été démontré qu’il n’y a aucun avantage à détecter ni à traiter une BA, pathologie considérée comme bénigne. Au contraire, une revue et une discussion des «guidelines» américains de 2005 font état d’une augmentation des épisodes infectieux chez les personnes traitées dans un premier temps pour une bactériurie asymptomatique, ceci en raison des résistances qui sont induites.4
La prise en charge d’une BA doit être différenciée en fonction des diverses populations de patients (tableau 2).
Chez la femme enceinte, la BA est susceptible d’augmenter le risque d’infections urinaires, donc de complications sous-jacentes liées : pyélonéphrite, prééclampsie, bas poids de naissance, prématurité, etc. Dans ces cas spécifiques, des études cliniques prospectives et comparatives ont montré de manière constante que l’antibiothérapie utilisée pour traiter la BA diminue le risque d’infections urinaires,5 notamment le risque de pyélonéphrite, le faisant passer de 20-35% à 1-4%.
Le dépistage se fait sur la base d’une culture d’urine entre les 12e et 16e semaines de grossesse ou, au plus tard, dès la première visite prénatale, et se poursuit durant toute la grossesse s’il existe une anamnèse de récurrence.6 Une culture de contrôle est préconisée après le traitement adéquat d’une BA.7
Le traitement de choix consiste en une antibiothérapie de catégorie B, soit amoxicilline ± acide clavulanique, ampicilline, céfuroxime, céphalexine ou nitrofurantoïne. En revanche, ciprofloxacine, gatifloxacine, lévofloxacine, norfloxacine ou triméthoprime sulfaméthoxazole (TMP/SMX) sont des antibiotiques de classe C qui n’ont pas bénéficié d’études bien contrôlées ; ils sont à utiliser en pesant la balance des risques/bénéfices.
Une détection de routine n’est pas recommandée, pas plus qu’un traitement antibiotique même si les infections urinaires chez les diabétiques sont jusqu’à quatre fois plus fréquentes et l’évolution plus sévère.8 Une étude a montré que le traitement antibiotique des BA ne diminue pas la fréquence des infections urinaires symptomatiques, ni le taux d’hospitalisation, mais bien la récurrence de la bactériurie, une fois le traitement terminé.9
Allant dans le même sens, une étude prospective10 met en évidence que le risque d’une diminution de la fonction rénale chez une femme diabétique avec BA n’est pas plus grand que chez une femme diabétique sans BA.
La BA et les infections urinaires sont fréquentes chez les personnes de plus de 65 ans (20-25% des femmes et 10% des hommes de ce groupe d’âge). Cependant, le dépistage de BA est uniquement recommandé en cas d’interventions urologiques classées «à haut risque» telles qu’implants (sphincter artificiel, pénis prothétique), ou examens urologiques invasifs (biopsie transrectale par exemple).11 Dans ce cas, le traitement prophylactique consiste en une dose unique de ciprofloxacine (400 mg i.v. ou 500 mg p.o.) qui couvre les pathogènes ordinaires.12
Les facteurs de risque associés à la population âgée sont des facteurs hormonaux (diminution d’œstrogènes), des facteurs anatomiques (obstruction de prostate), des facteurs métaboliques (diabète), l’altération fonctionnelle de la vessie, des modifications immunologiques et un haut taux de sondes urinaires. Par ailleurs, chez les hommes, un volume post-mictionnel supérieur à 180 ml serait un volume cut-off en spécificité et en sensibilité pour juger d’un haut risque de BA. 13 A noter que chez la personne âgée, le spectre bactérien associé à la BA est comparable à celui que l’on retrouve dans ce même groupe, lors d’infections urinaires compliquées.
L’infection urinaire est la source la plus fréquente d’infections nosocomiales, elle est très fortement associée à la présence d’une sonde urinaire. La durée du sondage est le facteur de risque le plus important mis en lien direct avec la fréquence de cette pathologie, notamment en raison du réservoir bactérien détecté, qui provient du côlon. Si le sondage est de courte durée, un seul germe est ordinairement isolé. Si le sondage dépasse 30 jours, on trouvera plusieurs germes.14
Pourtant, là encore, aucune détection systématique n’est recommandée, ni de traitement systématique des BA. Par ailleurs, une thérapie antibiotique à long terme ne se révèle pas efficace ni une irrigation antibiotique de la sonde et/ou de la vessie. Si l’imprégnation au nitrofurazone retarde la survenue d’une BA, elle ne l’empêche pas. Tout au plus, elle est susceptible de diminuer l’introduction ou le changement d’une quelconque antibiothérapie.15
La question de la valeur clinique d’une BA est particulièrement importante chez les patients séjournant dans des établissements médico-sociaux. La figure 1 en résume l’approche clinique.16
Dans un essai randomisé de patients en séjour aux soins intensifs, il a été démontré qu’un patient sondé ayant une culture urinaire positive (BA) et qui reçoit un traitement court par antibiothérapie, avec changement de sonde, n’est pas moins à risque de développer un urosepsis.17 En revanche, l’utilisation d’une sonde contenant de l’argent (silver alloy) semble diminuer significativement le risque d’infections urinaires (IU) acquises. Il s’agit encore d’évaluer le rapport coût-bénéfice de cette offre, d’autant que ces sondes sont à l’origine d’un nombre plus important de lésions urétrales.
En résumé, pour limiter le risque de BA, trois priorités : privilégier un système fermé, un temps minimum de sondage, et poser l’indication au sondage de manière critique !
Les BA sont très fréquentes dans ce groupe, mais ne justifient pas pour autant une antibiothérapie. Dans ce cas de figure, il a été démontré qu’une antibiothérapie répétée augmente les résistances, sans réduire l’incidence ou la sévérité des infections urinaires symptomatiques.18
Le risque d’infection urinaire est par ailleurs augmenté en fonction des facteurs de risque associés tels que le reflux vésico-urétral, la lithiase vésicale, la sténose urétrale, etc.19 Ce risque peut être diminué par un bon contrôle neurologique du muscle détrusor combiné avec un drainage intermittent.
Les antiseptiques, les alcalinisants et les acidifiants urinaires ont montré leur efficacité. Enfin, des stratégies d’antibiocycles, soit deux antibiotiques A et B donnés en alternance (administration hebdomadaire cyclique d’antibiotique choisie pour leur efficacité microbiologique sur les germes isolés au minimum trois fois), peuvent jouer un rôle bénéfique en diminuant le nombre d’infections et d’hospitalisations sans risques écologiques majeurs, en utilisant des molécules bien tolérées oralement, et avec une basse pression de sélection. Selon l’étude prospective observationnelle menée par l’équipe du CHU Raymond Poincaré de Garche,18 les meilleures molécules seraient l’amoxicilline, le TMP/SMX, la fosfomycine, la nitrofurantoïne et la céfixime. En revanche, les quinolones ne sont pas recommandées en première ligne en raison du risque important de sélection de germes multirésistants.
Une étude de cohorte prospective new-yorkaise s’est intéressée à la prévalence de BA dans un groupe VIH séropositif, en comparaison d’un groupe VIH séronégatif. L’usage «chronique» d’antibiotiques, prédominant dans le groupe VIH séropositif (39% versus 4% cas contrôles) diminue un peu la prévalence de la BA, mais pas de manière significative. En revanche, les uropathogènes deviennent «nosocomiaux» chez les VIH séropositifs, qu’il s’agisse des entérocoques, des staphylocoques dorés ou des Gram négatifs autres que E. coli.20 Cela rend plus aigu le problème des résistances antibiotiques, justement dans le groupe immunodéprimé.
Une autre étude a été menée parmi une population de femmes prostituées.21 L’étude comptait quatre groupes, l’un était VIH séronégatif, tandis que les trois autres étaient VIH séropositifs, avec un nombre de lymphocytes CD4, respectivement supérieur à 500 x 106/l, entre 500 et 200 x 106/l, et au-dessous de 200 x 106/l. Même dans une telle situation, aucune association significative n’a pu être retrouvée entre les signes et symptômes d’une infection urinaire et la présence de BA ou le fait d’être VIH positif. Cependant, chez ces derniers, les entérobactériacées constituaient le groupe principal avec de hauts taux de résistance aux antibiotiques couramment utilisés.
Chez les transplantés, l’infection urinaire peut prendre l’apparence d’une bactériurie asymptomatique, en raison de l’immunosuppression. Les transplantés rénaux assument en plus un risque «anatomique», notamment en raison d’un uretère très court, post-implantation. Cela justifie une réponse antibiotique agressive devant toute suspicion d’infection.
Du point de vue des microorganismes en cause, les pathogènes nosocomiaux sont prédominants durant le premier mois (intervention récente et immunosuppression). Entre un et douze mois, les pathogènes opportunistes sont les plus fréquents. A partir d’une année, les germes deviennent plus communs. Ainsi, indépendamment de la découverte d’une BA, une prophylaxie antibiotique est usuelle sous la forme d’une dose journalière de triméthoprime (80 mg)-sulfaméthoxazole (400 mg), ceci pendant au moins quatre à six mois,22 ce qui a l’avantage de couvrir d’autres germes comme le Pneumocystis carinii. En cas d’infections récurrentes, le traitement sera même maintenu à vie. Pour le suivi à long terme, la balance entre risque d’oligurie (toxicité antibiotique), de bactériurie et de résistances antibiotiques chez ces patients immunodéprimés à vie, ne fait pas encore l’objet d’un consensus clair.
Une étude prospective effectuée parmi une cohorte de 163 greffés rénaux montre par exemple qu’un pathogène, le Corynebacterium urealiticum a une prévalence augmentée chez les greffés (9,8%), ceci en corrélation directe avec une uropathie obstructive. D’autres facteurs de risque augmentent la survenue d’infections urinaires dans ce groupe : la prescription d’antibiotiques le mois précédent, la présence d’une néphrostomie.23 Dans une autre étude, un dépistage de BA par culture d’urine et une détection simultanée d’interleukine 6 et 8 ont été effectués chez des patients postgreffés, durant un suivi d’un an. Il est intéressant de relever que la fonction rénale ne s’est pas péjorée chez les greffés avec BA, par rapport au groupe contrôle. De fait, l’impact au long court d’une BA sur un rein transplanté est pour l’instant inconnu,24 d’autres études devront encore creuser cette question.
Le dilemme est évident chez les immunodéprimés entre, d’un côté, l’initiation précoce d’un traitement antibiotique, en raison de leur immunité déficitaire, et de l’autre, l’apparition de germes résistants que cette pression antibiotique suscite dans leur organisme. Ce même dilemme se pose à l’échelle de nos politiques de santé.
Aux Etats-Unis, certains se demandent s’il ne faudrait pas lancer un appel à l’échelon national pour cesser de manière drastique de traiter les bactériuries asymptomatiques afin de réduire l’usage abusif d’antibiotiques, et par là, les résistances que cette pratique induit. Il y a, par exemple, peu d’option pour traiter les micro-organismes Gram négatifs résistant au TMP-SMX et aux fluoroquinolones, spécialement chez les patients avec une maladie des voies urinaires supérieures.25 Très récemment, l’US task force a renforcé ses recommandations pour un dépistage et un traitement restrictif d’une BA.26
De son côté, une équipe de chercheurs français a étudié l’adéquation des traitements antibiotiques prescrits par rapport aux prises en charge validées. Les résultats démontrent une mauvaise «compliance» des médecins face à la prise en charge validée des infections urinaires, surtout en ce qui concerne la bactériurie asymptomatique !27
Une autre équipe, canadienne cette fois, met en évidence le même phénomène, dans une unité de soins intensifs. Alors que les médecins affirment «à froid» que la bactériurie est associée à une faible morbidité, dès qu’ils sont en face de l’instabilité clinique de leur patient, ils traitent une bactériurie, l’estimant symptomatique. La discordance entre la vraisemblance d’une infection urinaire et la prescription d’un antibiotique a été démontrée dans ce cas.28 Ce nouveau type de recherche met en lumière la tendance qui consiste à privilégier «notre» patient, plutôt que l’intérêt épidémiologique à traiter parcimonieusement par antibiothérapie. Il s’agit de changer nos comportements plus instinctifs que rationnels en renonçant à la prescription d’antibiotiques en cas de BA, excepté pour les rares exceptions évoquées plus haut !26,29
Dans ce contexte environnemental (pression de sélection des bactéries résistant aux traitements antibiotiques), des études sont en cours pour évaluer une possible «prophylaxie bactérienne». Une bactériurie asymptomatique sélective pourrait à l’avenir devenir la meilleure protection contre les infections urinaires… par exemple face à un E. coli uropathogène, ceci en comptant sur les caractéristiques microbiologiques de différents organismes.30
Une colonisation délibérée du tractus urinaire par des bactéries «inoffensives», produisant un biofilm efficace, pourrait empêcher la prolifération de bactéries pathogènes, à l’origine des infections urinaires (uropathogène E. coli par exemple).31 Selon les auteurs de cette étude, il y aurait lieu maintenant de pratiquer cette thérapie chez des patients aux infections urinaires récidivantes… une piste à explorer dans les prochaines études qui devront travailler le versant clinique d’une approche jusque-là microbiologique.
> Renoncer à toute prescription d’antibiotiques en cas de bactériurie asymptomatique (BA) – notamment chez les patients diabétiques ou les personnes âgées – devient un objectif de santé publique
> Deux exceptions : la BA doit être traitée chez la femme enceinte et en prophylaxie lors d’examens urologiques inva-sifs ou d’interventions urologiques à «haut-risque»
> Chez les porteurs de sonde : 1. privilégier un système fermé ; 2. un temps minimum de sondage ; 3. poser l’indication au sondage de manière critique !
> La colonisation du tractus urinaire par des bactéries non uropathogènes comme alternative prophylactique aux antibiotiques est un domaine de recherche en cours d’évaluation
Who should be screened for asymptomatic bacteriuria (AB) and who should be treated ? This review updates some aspects of the management of AB in different patient populations.
A systematic screening for AB is recommended for pregnant women because of a significant risk of complications. In these cases as well as before any urogynecologic surgical procedure treatment of AB is strongly recommended. The management of AB in immuno-suppressed or transplanted patients is more controversial.
In other populations treating AB is not recommended and the outcome seems to be worse in case of treatment due to possible side effects and selection of resistant organisms. Recent studies have shown a considerable gap between clinical practice and recommendations.