La découverte fortuite d’un nodule pulmonaire solitaire est un événement de plus en plus fréquent avec l’utilisation extensive de la tomodensitométrie numérisée du thorax. Si le diagnostic différentiel est très large, la problématique principale est d’affirmer ou d’exclure une lésion néoplasique. L’analyse des facteurs de risque préexistants et les caractéristiques morphologiques radiologiques du nodule permettent dans un pourcentage significatif de cas soit d’écarter avec suffisamment de probabilités un cancer, soit de procéder au bilan préalable à l’exérèse d’une lésion tumorale. Dans les cas indéterminés, une surveillance attentive avec mesures volumétriques successives est nécessaire afin de guider le choix thérapeutique.
La découverte d’un nodule pulmonaire solitaire (NPS) est un événement de plus en plus fréquent, source d’angoisse pour le patient et dilemme diagnostique pour le médecin. Environ 150 000 NPS sont découverts annuellement aux Etats-Unis (environ un nodule toutes les 500 radiographies1) et dans 90% des cas de façon fortuite : il s’agit de lésions malignes dans 40% des cas (60% de tumeurs primaires, en majorité des adénocarcinomes, et 40% de métastases), de granulomes dans 40% des cas et de lésions bénignes diverses dans les 20% restants.
Les études pilotes de dépistage du cancer pulmonaire par tomodensitométrie (TDM) ont permis d’estimer la prévalence du NPS et des nodules malins : si l’on effectue une TDM thoracique chez tous les patients tabagiques âgés de plus de 50 ans, un NPS sera détecté dans la moitié des cas mais seulement 2% de ceux-ci seront malins.2
En général, chaque NPS doit être considéré comme malin jusqu’à preuve du contraire.3 Il est primordial de déceler les pathologies tumorales à un stade précoce et donc guérissable puisque la survie globale à cinq ans du cancer du poumon est de 10-15%4 mais augmente à 61-75% si la tumeur est opérée dans un stade précoce IA.5,6 Cependant, il faut éviter d’induire des angoisses inutiles, des investigations invasives, coûteuses et source potentielle de complications.
Le NPS est défini comme une opacité pulmonaire focale, circonscrite, plus ou moins sphérique, de taille maximale de 3 cm et siégeant en plein parenchyme pulmonaire. Au-delà de cette grandeur, l’opacité est appelée masse et la forte probabilité de malignité justifie habituellement l’investigation par biopsie et résection chirurgicale d’emblée. On inclut dans la définition les lésions focales en verre dépoli, discutées plus loin séparément, mais non les opacités linéaires ou en bande, le risque de malignité de ces dernières étant quasi nul. Le patient est habituellement asymptomatique et aucune atélectasie, aucun élargissement hilaire ou épanchement pleural n’est associé. La première étape face à un nodule identifié sur un cliché du thorax est de s’assurer que la lésion soit bien pulmonaire (diagnostic différentiel – DD) opacités mammelonnaires, lésions cutanées/sous-cutanées, calcifications de cartilages, épanchements ou anomalies pleurales) et unique. Un cliché de profil et un marquage des mamelons peuvent occasionnellement être utiles. Un CT-scanner spiralé injecté représente l’examen de choix et devrait être obtenu pour chaque nouveau NPS détecté sur un cliché standard. Grâce aux progrès techniques, il peut être réalisé en une seule apnée inspiratoire avec une moindre dose d’irradiation que par le passé. Si cet examen identifie plusieurs lésions, chaque nodule identifié bénéficiera d’une attention individuelle. Si le nombre de nodules dépasse six (choix arbitraire habituel des études de dépistage), la probabilité d’être confronté à une pathologie métastatique ou granulomateuse est élevée et nécessite une investigation différente, non traitée dans l’article.
De multiples pathologies tumorales, inflammatoires, infectieuses, vasculaires ou congénitales peuvent être à l’origine du NPS (tableau 1).7
Selon leurs caractéristiques tomodensométriques, les NPS sont classés en trois catégories :
nodules solides (les plus fréquents et caractérisés par une densité tissulaire qui efface les contours des vaisseaux) ;
nodules non solides (aspect en verre dépoli focal) ;
nodules mixtes (qui combinent les deux composantes). Ces deux dernières manifestations sont hautement suspectes de malignité si elles persistent au-delà d’un à trois mois.8
Les caractéristiques morphologiques des NPS, revues de façon très claire et exhaustive dans l’article de Beigelman-Aubry, donnent parfois des indices sur leur nature (tableau 2).7 La forme du nodule permet occasionnellement de s’assurer de sa bénignité. La probabilité qu’un NPS soit malin est proportionnelle à sa taille : la prévalence de malignité dans des nodules de taille < 5 mm varie entre 0,1 et 1%, elle augmente à 1-30% pour des nodules de 5-10 mm et à 30-80% pour des nodules de taille > 10 mm.
Des contours nets, lisses et réguliers (vs marges spiculés, irréguliers ou lobulés) suggèrent une étiologie bénigne. L’analyse du contenu donne des informations importantes : un bronchogramme aérien ou une excavation,9 en particulier avec contours internes irréguliers et épais, suggèrent une malignité : 95% des nodules avec une paroi <5 mm sont bénins et 84% des lésions cavitaires avec une paroi >15 mm sont malins.10 De précieuses informations peuvent être déduites si des calcifications sont présentes : en «pop-corn», elles suggèrent le diagnostic d’hamartochondrome ; si elles sont centrales, laminaires, concentriques ou diffuses, elles suggèrent celui de granulome. Par contre, des calcifications excentriques ou dispersées évoquent une pathologie maligne. Des amas graisseux, caractérisés par une densité de -40 à -120 unités Hounsfield (UH), sont signes de bénignité (DD : hamartochondrome, lipome ou granulome lipidique) (figure 1).
La topographie du NPS permet aussi d’orienter le diagnostic. Une localisation dans un lobe supérieur augmente la probabilité de cancer alors qu’un nodule infracentimétrique accolé à une scissure suggère un ganglion intrapulmonaire. Le degré de prise de contraste et donc de rehaussement est en relation avec le degré de vascularisation du nodule et ainsi du risque de néoplasie. Un seuil de rehaussement de 15 UH donne une excellente sensibilité (98%) mais une spécificité modérée (58%). Le corollaire étant qu’un NPS qui ne se rehausse pas, ou seulement très faiblement,11 peut être considéré comme une lésion bénigne avec une très bonne valeur prédictive positive.
La stabilité d’une lésion dans le temps est une information solide en faveur d’une pathologie bénigne. L’évolutivité du NPS, établie selon le temps de doublement de son volume, doit donc être considérée. Deux attitudes sont possibles : la première est d’examiner rétrospectivement les clichés antérieurs du patient si ceux-ci sont disponibles ; la deuxième étant de surveiller prospectivement l’évolution du nodule. Le temps de doublement de la majorité des pathologies malignes varie entre 30 et 400 jours ; les nodules dont le temps de doublement est plus rapide sont d’origine infectieuse et une stabilité radiologique supérieure à deux ans est habituellement à considérer comme marqueur de bénignité. Une mesure volumétrique tridimensionnelle est clairement plus fiable par rapport à une mesure de surface et, encore plus, de diamètre. De plus, l’analyse visuelle permet de déceler sur la reconstruction 3D toute modification de forme.
Les directives de l’American college of chest physicians (ACCP) pour la prise en charge du NPS12 proposent d’estimer la probabilité de malignité du NPS soit de façon qualitative soit quantitative en faisant appel à des modèles validés (l’un de ceux-ci, établi par la Mayo Clinic, inclut dans sa formule six facteurs indépendants de malignité : âge avancé, tabagisme actif ou ancien, antécédent de cancer extra-thoracique, diamètre du nodule, spiculation et localisation).
Pour un NPS classé avec haute probabilité comme bénin, aucun examen complémentaire ne sera nécessaire. En revanche s’il s’avère a priori malin, il justifie un prélèvement histologique ou une résection in toto. Malheureusement, la plupart (70%) des nodules restent toutefois de nature indéterminée après l’évaluation radiologique et la crainte de malignité conduit fréquemment à prescrire des investigations invasives. Dans le but de réduire le nombre de ces interventions, une approche rationnelle, dite bayésienne, qui utilise des rapports de vraisemblance établis sur les signes radiologiques et cliniques a été proposée. Un logiciel d’analyses disponible sur internet (www.chestx-ray.com) peut être consulté à ce propos.
La Fleischner society a élaboré des recommandations (tableau 3) de prise en charge des nodules pulmonaires découverts fortuitement en tenant compte de la taille du nodule, de l’âge du patient et de la présence de facteurs de risque.13
Si la probabilité de malignité est faible, une surveillance à moyen terme peut être acceptable, si la lésion est hautement suspecte une résection sera proposée. En cas de probabilité moyenne, entrent en considération l’étude du rehaussement de la densité du nodule et la biopsie ou la tomographie par émission de positons (TEP).14,15 Cette dernière réalise une cartographie fonctionnelle in vivo de la fixation des molécules de glucose marquées (2-F 18-fluoro-2-déoxy-D-glucose – FDG) dans les tissus métaboliquement plus actifs. Pour cet examen, la sensibilité pour le diagnostic de malignité est de 90%, la spécificité de 83,2%, la valeur prédictive positive de 92% et la valeur prédictive négative de 89,6%.16 La sensibilité de la TEP diminue considérablement lors de lésions de diamètre inférieur à 1 cm.17 Pour des NPS de taille inférieure à 1 cm, elle n’est donc actuellement pas recommandée.
Une captation élevée de FDG, définie par la valeur SUVmax (standardized uptake value), évoque un processus métaboliquement actif. Pour les NPS, une valeur SUVmax entre 2,5 à 4,0 g/ml correspond à une atteinte tumorale dans 80% des cas et dans 96% des cas lorsque la SUVmax dépasse 4,0 g/ml.18 Une faible captation par contre n’exclut pas une atteinte tumorale (jusqu’à 60% des nodules avec une SUVmax < 2,5 g/ml peuvent être malins).19
Des faux négatifs sont possibles lors de pathologies tumorales avec un faible métabolisme, telles que le carcinome bonchiolo-alvéolaire et le carcinoïde, mais aussi lors de pathologies inflammatoires/infectieuses (tuberculome, nodule rhumatoïde, sarcoïdose, histoplasmose, anthraco-silicose…).
Au vu de sa forte valeur prédictive négative, si une lésion de taille supérieure au centimètre ne capte pas au TEP, l’abstention chirurgicale peut être proposée au profit d’une surveillance clinico-radiologique. Si un rehaussement de contraste à la TDM ou une hypercaptation du FDG sont objectivés, la biopsie/résection du nodule est justifiée. L’intégration du TEP-scan dans l’arbre décisionnel a été démontrée comme économique.20,21
La biopsie d’un NPS peut se faire par bronchoscopie (risque de pneumothorax et d’hémorragie de 1,2% chacun) ou par ponction transthoracique sous contrôle CT. Cette dernière (sensibilité entre 84 et 97% et spécificité entre 95 et 100%) comporte un risque de pneumothorax de 25-30% (dont 5-10% nécessiteront un drainage), d’hémoptysie ou d’hémorragie de 10%, d’embolie gazeuse de 0,1 % et de dissémination tumorale de 0,005%.22 Deux techniques chirurgicales sont en outre à disposition : la thoracoscopie vidéo-assistée (éventuellement après marquage des lésions les plus petites par un fil d’Ariane : fil métallique muni d’un harpon23) ou par thoracotomie qui, bien que plus invasive (mortalité opératoire 3-7% pour les lésions malignes, 1% pour les nodules bénins24), est la méthode la plus efficace pour obtenir du matériel représentatif. Le rendement diagnostique peut être augmenté en cas de présence sur place du pathologue lors de la procédure.25
Des nouvelles techniques semi-invasives permettent d’obtenir des biopsies de façon sûre : la bronchoscopie avec navigation électromagnétique (un système similaire au GPS qui permet de joindre les voies respiratoires jusqu’à la 17-25e génération), l’ultrason radial probe (Ø externe 1,4 mm, utilisé pour repérer les lésions périphériques avant qu’elles soient biopsiées) et le bronchoscope ultrafin (Ø externe 2,8 mm, canal de travail 1,2 mm).26 Le rendement et l’économicité de ces techniques émergentes doivent encore être validés.
En cas de suspicion élevée de cancer pulmonaire primitif, un bilan fonctionnel et oncologique devrait être obtenu avant la biopsie chirurgicale : ceci permet de procéder à une opération «oncologiquement» complète (lobectomie/ pneumonectomie et curage ganglionnaire médiastinal) si la nature tumorale de la lésion est confirmée par examen extemporané,27 le risque de récidive étant trois à cinq fois supérieures en cas de prise en charge chirurgicale limitée (segmentectomie ou une résection wedge).28,29
Un algorithme de prise en charge du NPS qui résume les différentes considérations susmentionnées a été illustré dans l’article de O. Prior27 (figure 2). Il nous paraît en outre important de procéder à une discussion multidisciplinaire dans les cas difficiles ainsi que considérer les préférences du patient le laissant ainsi participer aux stratégies diagnostiques.
La résonance magnétique (IRM) a un rôle très limité dans l’évaluation du NPS. Elle retrouve une utilité dans l’évaluation d’une lésion chez un patient qui ne tolère pas de moyen de contraste iodé ou pour apprécier l’extension tumorale dans certaines localisations (Pancoast, défilé thoracique, paroi thoracique et diaphragme).
La méthode de diagnostic assisté par ordinateur (DAO) est un système informatique automatique ou semi-automatique qui relie des informations diagnostiques cliniques et radiologiques. Conçue pour faciliter la détection des nodules pulmonaires, une fois couplée aux issues d’un examen hybride TEP/TDM, elle pourrait aussi améliorer la distinction entre une pathologie bénigne et tumorale.30
La définition de NPS est actuellement élargie aux zones focales de verre dépoli.31 Le nodule non solide qui persiste après un mois de traitement anti-inflammatoire et/ou antibiotique devient un nodule persistant et son étiologie peut être néoplasique (carcinome bronchiolo-alvéolaire ou adénocarcinome). Une résection limitée est indiquée (ponction rarement contributive) en particulier si sa forme est ronde (critère de malignité), de taille supérieure à 10 mm ou présente une composante tissulaire. En cas de surveillance, il faut savoir que le temps de doublement de ces nodules est plus long (environ 800 jours).32
> La découverte d’un nodule pulmonaire solitaire (NPS) est un événement de plus en plus fréquent
> La reconnaissance de ses caractéristiques morphologiques et cliniques permet de choisir l’approche diagnostique la plus appropriée
> Des moyens auxiliaires tels que la tomographie par émission de positons (TEP) et l’approche rationnelle bayésienne peuvent être utiles à cette approche diagnostique
> En tenant compte du risque de malignité individuel de chaque NPS, selon certains critères prédéfinis, une stratégie de prise en charge du NPS qui va du simple suivi à l’investigation invasive est proposée
The incidental discovery of a solitary pulmonary nodule while performing a CT scan of the chest is a very common clinical problem. The differential diagnosis is large but the main clinical challenge is to exclude or ascertain a neoplasia. The evaluation of preexisting risk factors and the analysis of morphological characteristics of the nodule allow the clinician to solve this challenge in a significant number of cases. When the nature of the lesion remains indeterminate a careful follow-up with volumetric determination is necessary for decision making.