L’espérance de vie dite «sans incapacité» ou «en bonne santé» est inférieure à 65 ans pour les hommes de dix pays de l’Union européenne alors même que 65 ans est souvent pour eux l’âge légal de la retraite. Telle est la bien dérangeante conclusion statistique et politique d’une étude que vient de publier The Lancet.1
Espérance de vie en bonne santé ? Il s’agit ici d’un concept qui fut notamment utilisé par l’OMS pour tenter de prendre la mesure du niveau de la situation sanitaire. Il englobe tous les éléments relatifs à la santé d’une population et non pas uniquement les critères de mortalité. «Ce concept a permis, dans le cadre de l’analyse de la performance des systèmes de santé publiée dans le Rapport sur la santé dans le monde 2000, d’évaluer dans quelle mesure l’objectif d’amélioration des niveaux moyens de santé de la population avait été atteint. Certes, des outils de mesure composite similaires avaient déjà été mis en œuvre, mais l’utilisation universelle de l’espérance de vie en bonne santé, calculée de façon centralisée à l’aide d’une méthodologie standard et faisant appel à des estimations des niveaux de santé cohérentes constitue une avancée majeure» soulignait-on auprès de l’OMS.
Cet indicateur est conçu de telle sorte qu’il permet de repérer, dans la situation sanitaire générale, les changements dans le temps et les disparités entre les pays. Pour autant, il faut savoir que les chiffres de l’espérance de vie en bonne santé se fondent sur des données autodéclarées et qu’ils ne sont donc pas toujours comparables entre les pays. Il faut aussi compter avec la disparité des instruments et des méthodes d’enquête, l’inégalité des attentes et des normes en matière de santé, et les différences culturelles qui entrent en jeu dans la déclaration des données. La statistique, en d’autres termes, trouve ses limites avec les perceptions que l’on peut avoir de sa propre santé et de son autonomie.
L’Institut national français de la statistique et des études économiques propose quant à lui une autre définition : «L’espérance de vie en bonne santé (à la naissance), ou années de vie en bonne santé représente le nombre d’années en bonne santé qu’une personne peut s’attendre à vivre. Une bonne santé est définie par l’absence de limitations d’activités (dans les gestes de la vie quotidienne) et l’absence d’incapacités. C’est un indicateur d’espérance de santé qui combine des informations sur la mortalité et la morbidité. Les informations utilisées pour son calcul sont des mesures de prévalence de la population d’un âge spécifique étant dans des conditions de bonne ou mauvaise santé et des informations de mortalité par âge.»
Selon l’OMS en 2000, l’espérance de vie en bonne santé à la naissance était, à l’échelle mondiale, comprise entre 39 ans pour les hommes et les femmes en Afrique et près de 66 ans pour la population féminine d’Europe occidentale. Dans la Région européenne de l’Organisation (hommes et femmes confondus) elle atteignait 62,9 ans. A cette date l’espérance de vie en bonne santé à la naissance pour les femmes était supérieure de 5,9 ans à celle des hommes et ce alors que les femmes avaient une espérance de vie à la naissance supérieure de près de 8,2 ans à celle des hommes. On apprenait aussi que dans la Fédération de Russie cette espérance était de 60,6 ans pour les femmes (soit cinq ans de moins que la moyenne européenne) et seulement de 50,3 ans pour les hommes, soit près de dix ans de moins que la moyenne européenne. En 2002, l’OMS publiait un nouveau rapport concluant que cette forme d’espérance de vie en bonne santé pourrait augmenter de cinq à dix ans «si les gouvernements et les individus associaient leurs efforts pour lutter contre les principaux facteurs de risque dans chaque région».
Qu’en est-il aujourd’hui dans les pays de l’Union européenne ? L’étude publiée dans The Lancet a été menée dans le cadre de l’Observatoire européen des espérances de santé et apporte de nouvelles données. Outre le fait qu’elle montre de fortes disparités entre les pays européens, elle s’inscrit dans le contexte plus général et bien connu qui voit l’espérance de vie en constante augmentation soulevant de manière multiforme la question d’un allongement de la durée du travail. Pour les auteurs de ce travail «sans amélioration de l’état de santé des personnes vieillissantes, repousser l’âge de départ à la retraite sera difficilement réalisable pour certains pays de l’Union européenne».
En 2005, l’espérance de vie dans l’Union était de 78 ans en moyenne chez les hommes et 83 ans chez les femmes, avec déjà des disparités. A 50 ans, un Italien ou un Suédois pouvaient espérer vivre jusqu’à 80 ans alors que l’espoir n’était que de 71 ans pour un Letton ou un Lituanien. Pour les femmes, l’espérance de vie était la plus importante en France, Italie et Espagne (environ 85 ans), et la plus faible en Lettonie et Hongrie (79 ans).
Cette étude montre aussi que dans l’Union les hommes vivent sans gros ennui de santé jusqu’à 67 ans et 7 mois en moyenne et les femmes jusqu’à 69 ans. Elle met encore en lumière le fait que dans dix pays, cette forme d’espérance de vie pour les hommes est inférieure à 65 ans. Cette situation concerne les dix pays qui, en 2005, avaient adhéré les derniers à l’Union. Elle montre enfin – mais faudrait-il réellement s’en étonner? – qu’un fort produit intérieur brut (PIB) et des dépenses de santé élevées sont associés à une meilleure santé des personnes âgées de 50 ans et plus. Autre constat de bon sens: chez les hommes, le chômage de longue durée, des études courtes et un faible niveau d’éducation générale seraient responsables d’une réduction de l’espérance de vie en bonne santé.
En Allemagne, cette espérance est d’environ 63 ans et demi pour les deux sexes ; en Finlande, elle est de 63 ans pour les hommes et de 64 ans pour les femmes. Et au Danemark, cette moyenne s’élève à 73 ans pour les hommes et à 74 ans pour les femmes. Quant à la France, elle est très proche de la moyenne européenne, avec des chiffres de 68 ans pour les hommes et 69 ans et 8 mois pour les femmes, souligne-t-on auprès de l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Les députés français viennent d’adopter une mesure autorisant, sur la base du volontariat, les salariés à travailler jusqu’à 70 ans, mesure très contestée par la gauche et les syndicats qui y voient une première brèche dans le système de retraite à 60 ans. Question : le principe de solidarité qui sous-tend les mécanismes collectifs de retraite doit-il ou non prendre en compte ces nouvelles données ?