En automne 2007, le Bulletin des médecins suisses a publié le rapport du groupe de travail «profil professionnel» de l’Académie suisse des sciences médicales.1 A l’occasion de notre numéro sur la médecine de premier recours, il nous a semblé opportun de revenir sur cet important document et de relever les principales idées forces pour le futur de notre métier.
Rappelons d’abord que l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM), dans son rapport de 2004 «La médecine en Suisse demain» avait identifié la problématique de l’identité professionnelle des médecins comme un des quatre thèmes spécifiques d’importance centrale. Un groupe de travail, présidé par le Dr Werner Bauer, interniste généraliste à Küsnacht et ancien président de la Société suisse de médecine interne, s’est dès lors mis au travail. La volonté de l’ASSM de favoriser un large débat sur le futur de la médecine nous incite à partager ces idées forces.
En introduction, il est rappelé à quel point le secteur de la santé connaît une mutation rapide, en particulier par une multiculturalité croissante, tant chez les patients que chez les médecins, soulignant ainsi l’importance d’adresser ce thème dans l’enseignement pré- et postgradué. De manière subtile, il est rappelé que si la notion de «management» est souvent évoquée comme réponse aux lourdes contraintes financières et à la complexité du système de santé, cette réponse est insuffisante, le médecin refusant d’être le service après-vente de la globalisation et des problèmes économiques de notre société. La toute récente crise financière et, peut-être, économique va probablement engendrer de nouvelles demandes dans le système de santé et mettre, une fois de plus, le médecin praticien au front de la médicalisation des problèmes de travail.
Alors que le travail en réseau est cité à plusieurs reprises comme une option importante, voire indispensable pour la gestion du futur de notre système de santé, il y est rappelé l’importance du suivi à long terme et le souhait légitime de cultiver une relation personnelle et de longue date exprimée par les patients avec leur médecin généraliste. Cependant, cette évidence est nuancée par l’observation que les jeunes personnes tiennent à garder leur liberté de s’adresser au médecin de leur choix lors d’un problème de santé, confirmant ainsi la tendance de «zapping» influençant la relation entre la population et le corps médical.
Le rapport signale que les portes d’entrée dans les systèmes de soins seront de plus en plus multiples, à savoir les portails internet, les centres d’appels, les réseaux avec soignants non médecins… Il est également rappelé l’importance de préparer le médecin de demain au travail interdisciplinaire et cette approche devrait être intégrée dans le cursus des études de médecine. S’inscrivant dans la fameuse formule du New England Journal of Medicine «Never stop learning», ce rapport rappelle à quel point les activités au début d’une carrière médicale pourraient être différentes de celles en fin de carrière, mettant en exergue l’importance de l’acquisition de nouvelles compétences et connaissances durant notre parcours professionnel.
Au chapitre des missions et activités du médecin de demain, il est judicieusement rappelé que l’élément de base reste la relation personnelle entre le médecin et son patient. L’apport original de ce document réside dans la mise en évidence de deux caractéristiques complémentaires du caractère attrayant de l’activité médicale : d’une part, le défi à relever dans la résolution de problèmes complexes, d’autre part l’importance du rôle des relations souvent de longue durée entre le patient et le médecin. Anticipant la collaboration de plus en plus intense entre la Société suisse de médecine générale et la Société suisse de médecine interne, les auteurs ont eu le courage de mentionner qu’à l’avenir, et compte tenu de la reconnaissance européenne, un type de spécialistes en médecine interne générale devra être envisagé. Dans ce contexte-là, le développement de la prise de décision partagée (shared decision-making) est confirmé, rappelant par-là que le patient souhaite, dans sa prise en charge clinique, connaître la route mais pas forcément prendre le volant ! Il est également salutairement rappelé l’importance pour l’attractivité de la profession de maintenir la liberté de diagnostiquer et de l’orientation thérapeutique, en écho au développement prôné par les assureurs dans le domaine du disease management.
Trois dernières lignes de forces sont mises en évidence. La première concerne la fin des rapports hiérarchiques dans les activités médicales et sanitaires en réseau où certains suivis et consultations pourront être délégués à d’autres soignants, en particulier les infirmiers et les infirmières. Deuxièmement, la nécessité de maintenir une rémunération «conçue pour éviter les incitations négatives» selon la jolie formule sibylline mais ô combien explicite des auteurs. Enfin, au sujet des conflits d’intérêt, les auteurs concluent à l’importance de prévenir ceux-ci tant au sujet d’une dynamique favorisant l’accroissement quantitatif (on pense alors en premier lieu aux relations avec l’industrie pharmaceutique), mais également le rationnement, allusion indirecte aux pressions des partenaires publics et assurantiels.
Bref, un document à lire et à relire, offrant un éclairage intéressant sur une route, certes sinueuse mais passionnante.