L’accouchement par voie vaginale est-il devenu obsolète et doit-on tenir pour acquis que la césarienne est devenue la voie moderne de mettre un enfant au monde ? La césarienne de convenance est-elle un progrès que l’on ne peut refuser et que la femme a le droit de la réclamer au nom du « principe de préférence » ? Avec l’aide précieuse1 d’un gynécologue-obstétricien (Jacques Lansac, président du Collège national des gynécologues-obstétriciens français) et d’un magistrat (Michel Sabourault, procureur général honoraire près de la Cour d’appel d’Angers), tentons de répondre à cette question pleinement d’actualité en France comme dans de très nombreux pays industriels (Revue médicale suisse du 28 janvier).
On connaît les arguments les plus habituellement avancés pour justifier cette pratique. Ils sont de deux ordres. D’une part, les femmes auraient, en moyenne, moins de deux césariennes dans leur vie. D’autre part, les progrès techniques chirurgicaux et anesthésiques réalisés sont tels qu’une césarienne prophylactique présenterait moins de risques que la voie basse qui favoriserait les délabrements périnéaux et leur cortège de conséquences connues : incontinences urinaire et anale, prolapsus… Mais on sait aussi que la césarienne de convenance vient rappeler, notamment en cas de complications, que toute atteinte à l’intégrité du corps humain doit être dictée par « la nécessité médicale ». Sans ouvrir le débat hautement complexe de savoir si la convenance personnelle est une nécessité médicale, il n’est pas inintéressant de savoir ce que nous enseigne la littérature médicale spécialisée.
« La sécurité maternelle n’est pas améliorée par la pratique de la césarienne de convenance dont le taux de complications graves est de 18,3% et qui comporte un risque d’hémorragies (4,7%), de plaies vésicales (1,3%) ou digestives (0,4%), souligne le président du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (Cngof). La mortalité en France est 3,5% plus élevée que pour la voie basse, un chiffre retrouvé au Royaume-Uni. Enfin, les grossesses ultérieures sont à risque de rupture utérine, d’hématome rétroplacentaire et surtout de placenta accreta dont beaucoup d’auteurs soulignent l’augmentation de fréquence ».
En ce qui concerne le risque d’incontinence urinaire d’effort (IUE) avant l’âge de 65 ans, il est de 1,7 après accouchement et de 1,5 après césarienne prophylactique. « Les IUE des suites de couches sont fortement influencées par les incontinences apparues pendant la grossesse et une naissance par césarienne ne réduit alors pas l’incontinence du post-partum, rappelle le président du Cngof. Le risque d’incontinence sévère trois mois après l’accouchement est identique après voie basse ou césarienne et le taux d’incontinence après césarienne exclusive reste de 14%. » Le taux de prolapsus est de 8% chez les femmes qui ont accouché par voie basse et de 4% chez les femmes qui sont nulligestes ou ont eu uniquement des césariennes.
En dépit de l’augmentation du taux de césariennes, le président du Cngof observe que le taux de mortalité périnatale n’a pas diminué. Il n’a pas de rapport avec le taux de césariennes comme le montrent les données collectées dans les différents pays européens où les taux moyens de césariennes sont compris entre 5 et 10% et les taux de mortalité périnatale entre 15 et 35%ο. Il souligne en revanche que le taux de la maladie des membranes hyalines, principale cause de détresse respiratoire du nouveau-né, est de 3% chez les enfants nés après une césarienne de convenance, ce qui est 140 fois plus élevé qu’après un accouchement par voie vaginale. Le risque de mort fœtale in utero à terme est également plus important après une première naissance par césarienne (RR = 2,39) qu’après une première naissance par voie vaginale (RR = 1,44). Il apparaît également que le risque d’hypertension pulmonaire persistante chez l’enfant est cinq fois plus élevé après césarienne qu’après accouchement par voie basse. « Enfin, la césarienne de convenance, contrairement à ce que l’on pense, n’empêche pas les traumatismes fœtaux qu’il s’agisse de lésions cutanées dues au bistouri (0,5%), de fractures de la clavicule (0,3%), d’un os long (0,2%) ou même d’une lésion du plexus brachial (0,3%), observe Jacques Lansac. Certes ces chiffres sont faibles, mais si les 800 000 naissances françaises se faisaient par césarienne, on verrait que le nombre d’enfants ayant une lésion traumatique due à l’intervention serait de 4000 par an! »
On ne peut faire l’économie de cette question puisque la programmation de la césarienne permet une meilleure organisation des soins dispensés… aux heures ouvrables. Elle assure une meilleure sécurité dès lors que l’établissement ne comporte pas de médecin de garde sur place et, dans certains pays, elle assure paradoxalement une meilleure rémunération pour un travail moins pénible que celui que réclame l’accouchement par voie basse, par définition imprévu.
Il y a dix ans la Fédération internationale de gynécologie-obstétrique a, en substance, formulé une série de recommandations soulignant que la césarienne était une intervention chirurgicale comportant des risques potentiels pour la mère et pour l’enfant et exigeant aussi plus de moyens médicaux que l’accouchement normal par voie vaginale.
Ecoutons le magistrat : « La singularité de la question posée réside dans le fait qu’en demandant une césarienne de convenance, la femme prend une décision pour un "tiers" qui n’a pas la parole : l’enfant à naître. Le médecin doit, lui, prendre en compte l’intérêt de l’enfant, notamment dans l’appréciation des risques.
C’est pourquoi, à défaut d’indication thérapeutique, la demande de césarienne de convenance doit faire l’objet d’un entretien très approfondi entre le médecin et la femme au cours duquel le médecin pourra exposer les données scientifiques et faire part de ses réticences, voire de son refus. Ce refus ne devra être ni tardif ni brutal mais il paraît pour le magistrat admissible que le médecin fasse jouer la "clause de conscience" en adressant la patiente à un autre confrère. Car en pratiquant une césarienne de convenance, il s’expose à une responsabilité indéniable même s’il a formulé des réserves dont la trace écrite sera conservée. En cas de complications, en effet, le père de l’enfant, l’enfant à sa majorité et pourquoi pas la mère elle-même pourront engager une action en responsabilité et le médecin sera démuni de tout argument scientifique. »
(Fin)