La maladie thromboembolique veineuse est une pathologie fréquente et les questions quant à sa prévention et son traitement sont nombreuses. Afin d’aider le praticien à y répondre, nous avons regroupé dans cet article un résumé des principales recommandations issues de la huitième conférence de l’American college of chest physicians.
Plusieurs nouveautés font partie de ces recommandations 2008, dont l’utilisation du fondaparinux, le rôle actif joué par le patient dans les décisions thérapeutiques et la gestion de l’anticoagulation ainsi que l’utilisation en première intention des héparines de bas poids moléculaire chez la femme enceinte. Le but de cet article n’est pas de donner une marche à suivre stricte mais de fournir au médecin de premier recours un outil sur lequel s’appuyer pour prendre la meilleure décision thérapeutique.
L’American college of chest physicians (ACCP) publie tous les quatre ans les conclusions d’une conférence consensus sur le traitement antithrombotique. La huitième édition de ces recommandations, parue en juin 2008, contient 741 recommandations (562 en 2004) dont 182 classées 1A en degré de preuve (basées sur des études de haute qualité avec un rapport bénéfice/risque fortement positif, voir tableau 1).1 Par rapport à la septième édition, un effort a été fait pour inclure plus d’experts d’autres pays et pas uniquement nord-américains. Les recommandations ACCP abordent plusieurs domaines du traitement antithrombotique. Dans cet article, nous résumons les principales recommandations concernant la prévention et le traitement de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV), en mettant l’accent sur les nouveautés majeures (le degré de preuve est indiqué entre parenthèses). Les situations particulières que représentent la grossesse, l’accouchement et le post-partum sont traitées séparément. Les recommandations de l’ACCP, même si elles sont respectées, ne font pas l’unanimité et ne sont pas toujours appliquées à la lettre par les spécialistes. C’est ainsi qu’un groupe d’experts suisses publie régulièrement un commentaire à ces guidelines (à paraître courant 2009).
Les patients devraient être anticoagulés efficacement en cas de suspicion clinique élevée en attendant la confirmation du diagnostic (1C).
• Dès que le diagnostic est objectivé, il est recommandé de poursuivre le traitement soit par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) s.c. (1A), soit par héparine non fractionnée (HNF) i.v. ou s.c. (1A), ou par fondaparinux s.c. (1A).
Une nouveauté est l’introduction du fondaparinux (analogue synthétique du pentasaccharide qui inhibe le facteur Xa via l’antithrombine) pour le traitement initial de la TVP/EP au même titre que les HBPM ou l’HNF.
• Une nouvelle prise de position recommande l’utilisation des HBPM au lieu de l’HNF i.v. lors d’une TVP ou EP non massive (1A).
• Une stratification rapide du risque devrait être effectuée chez chaque patient avec EP (1C). En cas d’EP massive ou si une thrombolyse est prévue, l’HNF i.v. est à privilégier (2C).
• En cas d’insuffisance rénale sévère, il est suggéré d’utiliser l’HNF (2C).
• Si une HBPM est utilisée, le monitoring régulier de l’anti-Xa n’est pas recommandé (1A).
• Pour une TVP/EP aiguë, une anticoagulation (AC) orale par antivitamine K (AVK) devrait être débutée le jour même, associée à l’AC parentérale (1A) poursuivie pendant au moins cinq jours et jusqu’à obtention de deux INR thérapeutiques à 24 heures d’intervalle (1C).
• En cas de TVP des MI, une mobilisation précoce est recommandée plutôt que du repos au lit (1A).
• Une nouvelle prise de position recommande de traiter une TVP des MI ou une EP asymptomatique, découverte fortuitement, comme un événement symptomatique (1C).
• Pour les patients avec TVP des MS sur cathéter veineux, il est suggéré de ne pas enlever le cathéter si celui-ci est fonctionnel et nécessaire (2C).
• Chez les patients avec TVP et la majorité des patients avec EP, l’utilisation d’un filtre dans la veine cave inférieure (VCI) en plus d’une AC n’est pas recommandée (1A).
• Chez les patients avec TVP proximale des MI ou EP et contre-indication hémorragique à une AC, la pose d’un filtre dans la VCI est recommandée (1C). Dès que le risque hémorragique diminue, il est recommandé de reprendre une AC efficace (1C) et si possible d’enlever le filtre (sinon risque augmenté de TVP des MI à deux ans) même si le rapport risque/bénéfice d’un filtre dans la VCI temporaire vs permanent demeure, dans ce contexte, incertain.
• Pour la prévention du syndrome post-thrombotique (SPT) des MS, il est suggéré de ne pas utiliser une compression élastique ou des médicaments veino-actifs de routine (2C).
• Pour la prévention du SPT des MI, il est recommandé d’utiliser une compression élastique (30-40 mmHg à la cheville) pendant deux ans ou plus si symptômes présents (1A).
Même si le traitement de la TVP/EP repose principalement sur l’AC, d’autres modalités thérapeutiques existent ; elles peuvent comporter un certain risque et doivent être réservées à des cas particuliers, car les données disponibles dans la littérature actuelle ne permettent pas de leur accorder un niveau de recommandations équivalent à celui du traitement anticoagulant. Une exception doit cependant être mentionnée, puisque dans les nouvelles recommandations, la thrombolyse systémique par r-tPA, plutôt déconseillée dans la version précédente, est recommandée chez les patients avec EP associée à une hémodynamique compromise en l’absence de contre-indication hémorragique majeure (1B) ; le rôle de la thrombolyse systémique reste toutefois moins bien établi chez les patients avec EP et pression artérielle systémique maintenue.
A noter que l’utilisation de ces méthodes ne dispense en aucun cas d’une AC thérapeutique de durée adaptée (1C).
D’autres nouvelles prises de position suggèrent que :
• L’utilisation de la pharmacogénétique pour déterminer la dose initiale individuelle d’AVK n’est pas recommandée (2C) en l’absence de plus grandes études randomisées de bonne qualité.
• Chez des patients sélectionnés, l’autocontrôle du TP/INR à l’aide d’un petit appareil portable avec autogestion de l’AC s’est montré aussi fiable que les contrôles chez le médecin. Cette approche est à privilégier chez le patient potentiellement apte et qui aura suivi un cours pratique (2B).
• Pour les patients avec TVS spontanée, un traitement de quatre semaines au moins par HBPM à dose intermédiaire ou prophylactique ou par HNF à dose intermédiaire est recommandé (2B).
• Les nouvelles prises de position dans le traitement des TVS recommandent un traitement médical plutôt que chirurgical (1B) et suggèrent la possibilité d’utiliser les AVK après cinq jours d’HBPM ou HNF (INR cible : 2-3) (2C) et d’éviter les AINS oraux en plus de l’AC (2B). Il est précisé qu’il est probablement raisonnable de traiter les TVS de petite taille éloignées des crosses exclusivement aux antiinflammatoires non stéroïdiens (AINS) topiques ou systémiques sans AC. Pour les TVS secondaires à une perfusion i.v., il est recommandé de ne pas recourir au traitement AC systémique (1C) et il est suggéré de traiter soit par diclofénac ou autre AINS p.o., soit par gel topique à base d’héparine ou diclofénac (tous 2B).
Dans les dernières recommandations, on considère que le risque de récidive d’un événement thromboembolique veineux associé à un facteur réversible est beaucoup plus faible que lorsque l’événement est idiopathique ; il en est de même lorsque la TVP est confinée uniquement aux veines jambières.
Une AC de trois mois minimum est donc recommandée chez les patients avec :
• TVP/EP secondaire à un facteur de risque thromboembolique (FRTE) réversible (1A).
• Episode unique de TVP distale, même si idiopathique (2B).
Après trois mois de traitement, une évaluation des risques/bénéfices d’un traitement AC prolongé est recommandée (1C) ; chez les patients avec premier épisode de TVP proximale ou EP idiopathique, un traitement au long terme est recommandé en l’absence de facteur de risque hémorragique et si un bon monitoring de l’AC est possible (1A). Une évaluation régulière de l’indication au traitement à long terme est recommandée (1C).
• Pour les patients avec cancer, un traitement initial de trois à six mois par HBPM est recommandé (1A), suivi d’un traitement par AVK ou HBPM pour une durée indéterminée ou jusqu’à guérison/rémission du cancer (1C).
• Pour les patients avec TVP/EP, un INR cible de 2,5 (intervalle 2-3) est recommandé (1A).
• Pour les patients avec TVP/EP qui désirent absolument des contrôles moins fréquents, après les trois premiers mois de traitement, un INR entre 1,5-1,9 est à préférer plutôt que l’arrêt du traitement (1A).
Un résumé des recommandations ainsi que les principales nouveautés sont :
• Chaque hôpital se doit de développer ses propres directives en matière de prévention (1A).
• Le fondaparinux, jusqu’alors reconnu seulement pour la chirurgie orthopédique, peut être utilisé au même titre que les HBPM et l’HNF (1A) dans d’autres situations prophylactiques telles que la médecine interne (1A), la chirurgie générale (1A) et les chirurgies vasculaire, urologique, laparoscopique, bariatrique et thoracique (toutes 1C). En cas de fracture de hanche, l’utilisation du fondaparinux se voit attribuer un niveau de preuve 1A par rapport aux HBPM, l’HNF et les AVK (1B).
• L’aspirine seule, pour toutes les catégories de patients, n’est pas indiquée pour la prévention de la MTEV (1A).
• La chirurgie bariatrique, la chirurgie thoracique ainsi que les revascularisations chirurgicales coronariennes font l’objet de chapitres désormais séparés et détaillés, et une plus grande importance est attribuée aux moyens mécaniques de prévention de la MTEV (bas de compression, compression pneumatique intermittente, pompe veineuse plantaire) en cas de risques hémorragiques élevés, en soulignant l’importance d’assurer une utilisation et un suivi adéquats de ces moyens par le personnel soignant (1A).
• Selon le niveau de risque thromboembolique (TE), les patients recevront une prophylaxie à base d’HBPM, d’HNF s.c. ou de fondaparinux, relayée ou non par des AVK (à doses thérapeutiques : INR 2-3) (1A). Une déambulation précoce est proposée pour les patients à bas risque TE (1A, 1B ou 2B selon les situations).
• Il est recommandé que pour les situations orthopédiques que sont la prothèse totale de la hanche (PTH), du genou (PTG) et fracture de hanche, la durée de la prophylaxie, qui devrait être au minimum de dix jours (1A), soit prolongée jusqu’à 35 jours (1A à 2B). Après chirurgie générale majeure, il est recommandé que la prophylaxie soit poursuivie jusqu’au retour à domicile (1A) et même jusqu’à 28 jours postopératoires chez les patients oncologiques ou à haut risque (par HBPM) (2A).
• Une évaluation de la fonction rénale, dans le but d’éviter une accumulation du fondaparinux ou des HBPM, est indispensable pour tous les patients à risque d’insuffisance rénale (patients âgés, diabétiques) ou à risque hémorragique élevé (1A) et l’application scrupuleuse des posologies indiquées par chaque fabricant est vivement recommandée (1C).
• En cas de long voyage (> huit heures) en avion et en l’absence de FRTE, des mesures simples telles que le port d’habits confortables ainsi qu’une déambulation régulière, associées à une bonne hydratation sont recommandées (1C). En cas de FRTE supplémentaires, l’utilisation de bas de compression (15 à 30 mmHg) ou une dose prophylactique unique d’HBPM avant le départ peuvent être envisagées (2C).
Depuis les dernières recommandations ACCP en 2004, les publications concernant l’efficacité/sûreté de la prophylaxie/traitement anticoagulant pendant la grossesse dans différentes situations cliniques n’ont pas contribué à améliorer la qualité des recommandations. Ceci est essentiellement dû à la difficulté persistante de conduire des études d’efficacité chez la femme enceinte.
Une des nouveautés significatives à souligner dans l’édition ACCP 2008 est la recommandation de tenir compte des choix et préférences des femmes en termes de risques et bénéfices du traitement anticoagulant. Le rôle du médecin est d’informer les patientes sur les diverses options thérapeutiques, leur efficacité, les implications de monitoring et d’éventuels effets secondaires pour la mère et le fœtus. Une fois mise au courant, la patiente peut ainsi participer au choix thérapeutique ou prophylactique.
D’autres nouveautés concernent la recommandation d’utiliser une HBPM plutôt qu’une HNF chez la femme enceinte (2C) ; l’utilisation du fondaparinux devrait être réservée uniquement aux femmes enceintes avec une thrombocytopénie induite par l’héparine (TIH), ou avec des antécédents de TIH pour laquelle le danaparoïde ne peut être utilisé.
• Chez toute patiente tombant enceinte alors qu’elle est sous traitement AC avec un AVK, il est recommandé de substituer l’AVK par l’HNF ou une HBPM (1A).
• Chez toute patiente sous traitement AC au long cours avec un AVK et qui souhaite une grossesse, il est suggéré de procéder fréquemment à des tests de grossesse et de substituer l’AVK par l’HNF ou une HBPM dès le début de la grossesse (2C).
• Dans les deux situations précitées, et si l’indication au traitement AC était la MTEV, il est recommandé de traiter par HNF ou HBPM durant toute la grossesse et de ne reprendre le mode de traitement d’avant la grossesse que depuis le post-partum (1C).
Pour toutes les femmes enceintes avec antécédents de thrombose veineuse profonde, l’utilisation d’une compression élastique pendant et après la grossesse est suggérée (2C).
• Traitement initial à base d’HBPM s.c. ajustée ou de doses adaptées d’HNF pour au moins cinq jours (1A). L’utilisation d’une thrombolyse pendant la grossesse devrait être réservée aux événements TE avec risque maternel vital.
• Poursuite du traitement par HBPM ou HNF pendant toute la grossesse (1B) jusqu’à six semaines post-partum pour une durée totale minimale de six mois (2C).
• Arrêt de l’AC au minimum 24 heures avant l’induction du travail (1C).
Toute décision concernant la prise en charge de l’AC chez une femme enceinte avec valve cardiaque mécanique devrait prendre en compte la présence d’autres FRTE (type de valve, position, antécédents de MVTE, etc.) et les préférences de la patiente (1C).
• Chez les femmes porteuses d’une valve mécanique, l’une des options suivantes est proposée plutôt que l’absence d’AC :
– HBPM ou HNF s.c. pendant toute la grossesse (1C).
– HBPM ou HNF s.c. jusqu’à la treizième semaine de grossesse, puis substitution avec un AVK et relais par une HBPM ou HNF proche du terme (1C).
• Chez les femmes porteuses d’une valve mécanique à très haut risque TE pour lesquelles on doute de l’efficacité du traitement anticoagulant par HNF ou HBPM (valves anciennes en position mitrale, antécédents TE, etc.), une AC par AVK est proposée avec relais par HBPM ou HNF proche du terme (2C). Toutefois, une discussion préalable avec la patiente concernant les risques (malformation fœtale) liés à cette option thérapeutique est nécessaire.
• Chez toutes les femmes porteuses d’une valve mécanique et risque TE jugé élevé, en plus de l’AC, un traitement par aspirine (75-100 mg) 1 x/j est suggéré (2C).
• Chez les patientes sans autres FRTE que la grossesse et l’accouchement par césarienne, une mobilisation précoce est recommandée plutôt qu’une prophylaxie pharmacologique (1B).
• Pour les patientes considérées à risque augmenté (au moins un risque supplémentaire à la grossesse et à l’accouchement par césarienne), une prophylaxie pharmacologique (HBPM ou HNF prophylactique) ou mécanique (compression pneumatique intermittente ou compression élastique) est proposée durant l’hospitalisation après l’accouchement (2C).
• Pour les patientes avec FRTE multiples ou considérées à haut risque TE, une prophylaxie pharmacologique et mécanique est proposée (2C).
• Pour les patientes chez qui les FRTE sont significatifs et persistent après l’accouchement, la prophylaxie devrait être prolongée après la sortie de l’hôpital (quatre à six semaines postaccouchement) (2C).
• Pendant l’allaitement, le traitement anticoagulant par AVK ou HNF (1A), HBPM, danaparoïde ou r-hirudine (2C) peut être continué.
• L’utilisation du fondaparinux est déconseillée pendant l’allaitement (2C).
> Le fondaparinux vient compléter la liste des anticoagulants parentéraux déjà disponibles pour le traitement et la prévention de la maladive thromboembolique veineuse.
> Le patient devient un partenaire dans sa propre prise en charge :
• Il discute avec le médecin de l’indication de la poursuite à long terme de l’anticoagulation (AC) en fonction du risque hémorragique
• Il a la possibilité en fonction de sa compliance d’être formé à l’autocontrôle de son INR et à l’autogestion de son traitement AC
Venous thromboembolic (VTE) disease is frequent and questions regarding its treatment or prevention are numerous. This review is aimed at summarizing and pointing out the novelties on VTE treatment and prevention recently published in the Chest journal earlier this year (8th edition of ACCP guidelines). Generally, the aim of guidelines and of this review as well, is to offer guidance to practictioners in making the most appropriate choice for treating or preventing VTE. They are not intended for strict application and doctors will always have to decide individually case by case taking into account patients preference and the risk-benefit balance.