Une enfant de treize ans se présente à une consultation médicale en urgence, accompagnée de sa mère. Les options thérapeutiques sont au nombre de deux : ne rien faire ou tenter un traitement. La mère choisit la seconde option. L’enfant s’y oppose. Le praticien suit les instructions de la mère et effectue l’acte médical malgré l’opposition de l’enfant. La condamnation du professionnel de la santé par l’autorité disciplinaire a été confirmée par le Tribunal fédéral1 : il aurait dû respecter l’avis de l’enfant et renoncer ainsi au traitement. Cette décision est l’occasion de rappeler que la prudence est de mise dans le cadre des soins aux mineurs.
La faculté pour un patient de décider s’il entend se soumettre à des soins relève de la protection de sa personnalité. L’acte thérapeutique est considéré comme une atteinte à l’intégrité physique. En conséquence, il n’est licite que si le patient y consent.
Pour que le consentement soit valable, cependant, le patient doit être intellectuellement apte à décider. Il doit plus précisément pouvoir « comprendre l’information fournie, manipuler cette information rationnellement, et se rendre compte des conséquences de ses actes ».2 C’est cette aptitude à décider que traduit la capacité de discernement.
Pour le praticien, cet élément est essentiel. Le patient capable de discernement peut décider seul de l’attitude thérapeutique et sa décision liera le médecin. En l’absence de discernement du patient, par contre, la compétence de décider appartient au représentant légal. Le praticien doit donc déterminer, avant d’engager la consultation, à qui incombe la décision de soins. S’il entame un traitement ou pratique une intervention sur la base d’un consentement donné par une personne incapable de discernement, ce consentement n’est pas valable. L’acte médical est dès lors illicite et le praticien s’expose à être poursuivi.
Les garanties qui découlent, en droit suisse, de la protection de la personnalité, habilitent un patient à refuser des soins. Cette faculté est reconnue au patient quelles que soient les incidences de ce refus sur sa santé ou même sur son espérance de vie.3 L’opposition à l’acte médical est cependant soumise au respect des mêmes exigences que le consentement.
En particulier, de même que le consentement au traitement doit émaner d’un patient apte à décider, le refus de soins, pour être valable, suppose une pleine capacité de discernement. Dès lors, seul un patient à même de saisir les tenants et aboutissants de la renonciation à un acte médical peut valablement le refuser. Le médecin ne doit pas se satisfaire d’une opposition au traitement s’il a le sentiment que son patient ne comprend pas la portée de son refus. En conséquence, ne peut valablement refuser un traitement qu’un individu dont la capacité de discernement lui permet de saisir notamment le diagnostic, les options thérapeutiques existantes, le pronostic avec traitement et l’évolution prévisible de l’affection sans traitement.
Si le patient n’est pas à même de comprendre ces différents aspects, et d’agir en fonction de sa compréhension de ces éléments, on ne peut pas considérer qu’il jouit d’une capacité de discernement suffisante pour s’opposer au traitement requis. Le patient doit dans ce cas être considéré comme incapable de discernement et le praticien est tenu d’agir selon les règles applicables à ce type de patients.
La détermination de la capacité de discernement est donc une étape essentielle, et incontournable, de la consultation. Or, il peut être très délicat d’apprécier cette capacité chez un individu. Cette difficulté n’est d’ailleurs pas propre au domaine médical. Elle est commune à toutes les personnes qui ont à conclure avec des tiers des actes de nature juridique. La question de la capacité de discernement est par conséquent extrêmement courante. Afin de faciliter la conclusion des actes juridiques, le législateur suisse a posé une présomption : on peut partir de l’idée que toute personne est capable de discernement. Ce n’est que s’il existe des indices concrets conduisant à penser le contraire que l’on doit procéder à une évaluation.
Pour le praticien, l’enjeu personnel de l’appréciation de la capacité de discernement est le risque d’être poursuivi pour violation des règles sur le consentement, et de se trouver face à une autorité qui apprécie différemment les facultés intellectuelles de l’enfant. En cas de divergences entre parents et enfant, comment satisfaire à ses obligations professionnelles en limitant les risques ?
En cas d’urgence
Quel que soit l’âge du mineur, s’il y a urgence vitale, il faut traiter l’enfant, même contre son avis. Par précaution, consignez au dossier les informations données aux parents, leur consentement et les indices qui vous ont conduit à admettre l’urgence
En l’absence d’urgence, trois situations peuvent se présenter :
1. Vous êtes convaincu que l’enfant est capable de discernement, et donc apte à décider seul. En pareil cas, vous devez respecter son avis, et ainsi vous abstenir de le traiter. Par précaution, notez au dossier les informations données au mineur et à ses parents, ainsi que les indices qui vous semblent établir la capacité de discernement
2. Vous êtes convaincu que l’enfant n’a pas la capacité de discernement, et qu’il appartient par conséquent aux parents de décider. Vous devez suivre l’avis de ses parents, avec les précautions suivantes :
tentez de discuter avec l’enfant hors la présence de ses parents
Consignez au dossier les éléments qui vous paraissent établir l’incapacité de discernement
Faites signer aux parents un document dans lequel ils confirment qu’ils maintiennent leur demande de soins malgré l’opposition de leur enfant et qu’ils considèrent que leur enfant n’a pas la capacité de discernement nécessaire pour décider valablement de refuser le traitement
3. Vous éprouvez des difficultés à évaluer la capacité de discernement du mineur : il est préférable de prendre en compte son avis et de renoncer ainsi à le traiter
Lorsqu’un praticien est face à un mineur, la situation est plus complexe, parce qu’il n’existe aucune règle générale. La présomption de discernement ne s’applique en effet qu’aux adultes. Pour les mineurs, elle n’est pas valable. Le Tribunal fédéral considère dès lors que « la capacité de discernement de l’enfant dépend de son degré de développement ».4 Le médecin ne peut donc pas, par principe, considérer que son patient mineur est ou n’est pas doué de discernement. Il devra, pour chaque enfant, évaluer son aptitude à décider.
Pour les âges extrêmes, la solution est relativement aisée. On considère ainsi aujourd’hui qu’un petit enfant « n’a pas la capacité de discernement nécessaire pour choisir un traitement médical. » A l’inverse, cette capacité « pourra être présumée pour un jeune proche de l’âge adulte ».4 Pour les âges « intermédiaires », par contre, tout est ouvert. Certains auteurs ont tenté d’avancer un âge à partir duquel on pouvait admettre le discernement d’un enfant en matière médicale. Il y a vingt ans, le Pr Olivier Guillod estimait qu’on ne pouvait présumer la capacité de discernement d’un mineur avant l’âge de quinze ans.5 Dans un article plus récent, rédigé avec l’ancien médecin cantonal vaudois, le Pr Guillod situe l’âge auquel un mineur peut consentir aux soins ou les refuser « aux alentours de quatorze ans ».6
Ces chiffres sont des indications utiles, mais ils ne sauraient être tenus pour absolus. En effet, l’aptitude à décider varie également en fonction des circonstances. Elle doit donc être évaluée concrètement, « au regard de la nature des problèmes que pose l’intervention »,7 ainsi que de sa « nécessité thérapeutique ». Le praticien devra ainsi étudier dans chaque cas si l’on peut admettre la capacité de l’enfant « par rapport à l’acte considéré ».8
La capacité de discernement est délicate à manier lorsqu’il s’agit d’apprécier la faculté d’un mineur à consentir à un acte médical. Mais elle est encore plus complexe dans le cadre d’une opposition au traitement.
En elle-même, la situation de soins peut influer sur le discernement d’un individu. En effet, « la souffrance, l’affaiblissement, l’appréhension ainsi que le savoir médical altèrent souvent les capacités du patient ».9 Chez un mineur, cette anxiété peut se traduire en particulier par un refus de traitement sans rapport aucun avec les soins en cause. L’opposition n’est alors que le fruit des émotions du mineur que son immaturité l’empêche de maîtriser.
Il convient par conséquent d’être prudent face à la décision négative de l’enfant. Le praticien doit s’assurer que l’opposition correspond véritablement à la volonté du patient et qu’elle n’est pas simplement dictée par la peur. Certains auteurs considèrent que si, en raison des appréhensions du patient, son opposition au traitement ne semble pas refléter l’expression libre de sa volonté, il doit être considéré comme incapable de discernement dans le cadre de la décision de soins.10 Le praticien devrait alors en référer au représentant légal.
Résumé des principes à garder à l’esprit
1. Si l’enfant mineur est capable de discernement, il peut décider seul. En l’absence de cette capacité, ses parents décident à sa place
2. L’opposition de l’enfant doit être d’autant plus prise en compte que :
le traitement n’est pas nécessaire
le traitement n’est pas compliqué
l’intervention est invasive
3. Le droit évolue vers une prise en compte toujours plus importante de l’avis de l’enfant quel que soit son âge
Le droit cantonal
Les droits cantonaux ont tous adopté une solution conforme aux principes exposés dans cet article : le mineur capable de discernement peut consentir seul et il appartient au praticien de trancher, de cas en cas, quant à l’aptitude de l’enfant à décider
Le Tessin fait cependant exception à cette règle. La loi de santé publique tessinoise prévoit que le patient majeur doit consentir à l’acte médical.
L’article 8 de cette loi ajoute que cette disposition est également valable pour les patients âgés de plus de seize ans. Le droit tessinois assimile ainsi aux adultes les mineurs âgés de seize et dix-sept ans. Quant aux patients âgés de moins de seize ans, il appartient au représentant légal de consentir aux soins. Le Tessin instaure ainsi une majorité spécifique au domaine des soins
Les règles exposées ci-dessus sont claires. Le médecin confronté à un patient mineur doit se poser la question de la capacité de discernement et apprécier cette capacité au regard de l’intervention projetée. Si le médecin juge le mineur doué de discernement, il respecte son avis. S’il estime par contre le mineur incapable de discernement, la décision de soins appartient au représentant légal.
L’arrêt cité en introduction illustre cependant le risque que prend le praticien lorsqu’il procède à l’évaluation de la capacité de discernement. Dans cette décision, le praticien a jugé que l’enfant n’était pas capable de discernement. Cette appréciation se fondait sur l’âge de l’enfant (treize ans), son comportement durant la consultation, ainsi que l’attitude de la mère qui ne tenait aucun compte de l’opposition de sa fille. Le praticien a donc respecté la décision de la mère et non celle de l’enfant.
L’autorité disciplinaire a pourtant évalué différemment la capacité de la fillette et considéré qu’elle était apte à décider seule de se soumettre ou non au traitement choisi par sa mère. En conséquence, le praticien a été sanctionné pour ne pas avoir recueilli le consentement du patient avant de procéder au traitement.
Le médecin n’est ainsi jamais à l’abri d’une appréciation différente, a posteriori, de la part de l’autorité appelée à statuer sur la question. La conscience de ce problème doit l’amener à adopter deux comportements. D’une part, il doit être extrêmement prudent dans l’appréciation de la capacité de discernement. En cas de doute, et hormis les cas d’urgence où une intervention est impérativement requise, il est préférable de s’abstenir d’un traitement auquel l’enfant s’oppose. D’autre part, il importe de documenter l’appréciation du discernement et de mentionner, au dossier médical, quels sont les éléments qui ont conduit à admettre la présence, ou au contraire, l’absence de cette capacité.