La rachialgie inflammatoire est plus qu’une simple douleur inflammatoire, mais bien un ensemble de symptômes, dont la présence, chez un lombalgique, doit faire évoquer un diagnostic de spondylarthrite. Prise isolément, elle est toutefois insuffisante pour poser le diagnostic. Dans le cadre d’une stratégie diagnostique, il faut savoir rechercher d’autres éléments cliniques, biologiques ou radiologiques permettant d’obtenir une probabilité diagnostique adéquate, tout en reconnaissant les limites de ces examens.
La lombalgie est une problématique plus que fréquente, avec des chiffres de prévalence effarants. On estime que la prévalence ponctuelle, à un moment donné, varie entre 12 à 33% pour notre population, alors que la prévalence annuelle des lombalgies chez l’adulte est estimée entre 22 et 65%. La prévalence générale, ou la chance d’avoir au cours d’une vie une lombalgie, est supérieure à 85%. Dans le même ordre d’idées, 1 à 2% de la population va bénéficier d’une chirurgie lombaire à un moment donné.1
Néanmoins, si la lombalgie est extrêmement commune, nous n’arrivons à un diagnostic étiologique que chez 15% des patients.2 La grande majorité souffre de lombalgies dites non spécifiques, avec la démonstration, souvent radiologique, de divers troubles dégénératifs, hernies discales, protrusions ou autres signes de micro-instabilité ; troubles dont le rôle pathogénique dans la douleur reste des plus flous. Les douleurs spécifiques ne concernent donc qu’une minorité des patients, avec des étiologies allant de la fracture ostéoporotique aux problèmes oncologiques, infectieux et inflammatoires.3 Le but du triage, ou visite initiale d’évaluation, est donc bien d’identifier la petite minorité de patients souffrant d’une atteinte grave nécessitant une prise en charge rapide et spécifique. Cette notion a été bien exprimée dans les recommandations, aussi bien américaines qu’européennes.4,5 Le but du triage est de catégoriser le patient lombalgique en lombalgie non spécifique, lombalgie potentiellement associée à une atteinte neurologique significative (radiculaire ou canal étroit) ou finalement en lombalgie potentiellement associée à une cause spécifique.
Les outils du triage sont simples et rapides, examen physique limité et anamnèse ciblée, et la présence de douleurs inflammatoires en est un élément-clé. Durant nos études, on nous enseigne à différencier la douleur inflammatoire de la douleur mécanique, avec une douleur inflammatoire caractérisée par des douleurs nocturnes, des douleurs de repos, une amélioration par l’activité physique, la présence de réveils nocturnes ou une éventuelle raideur matinale ; caractéristiques opposées aux douleurs mécaniques d’utilisation, aggravées par les mouvements et soulagées par le repos. Il est néanmoins important d’éviter le piège de la simplification et du raccourci. Une douleur nocturne n’est certainement pas synonyme de douleurs inflammatoires ou d’une lombalgie d’étiologie spécifique. Harding et coll. ont évalué la prévalence des douleurs nocturnes, dans le cadre d’une étude prospective et longitudinale chez 482 patients consécutifs se présentant dans une clinique de triage de lombalgiques.6 Il s’agit d’une plainte fréquente, avec 44% des patients se plaignant de douleurs nocturnes, dont près de la moitié toutes les nuits. Toutefois, un seul cas de spondylarthropathie et deux hémangiomes ont été retrouvés comme étiologie spécifique à l’IRM chez ces patients. Cette étude démontre bien que, si la présence d’une douleur nocturne doit nous faire évoquer une pathologie spécifique, elle n’en est certainement pas synonyme. La présence de douleurs nocturnes est un symptôme important, néanmoins sans grande valeur prise isolément dans le cadre de l’évaluation d’un lombalgique. Ce n’est pas la présence d’une douleur nocturne isolée qui est significative, mais bien l’addition des plaintes diverses, qui ensemble définissent la douleur inflammatoire et où chaque plainte augmente quelque peu la probabilité d’une atteinte spécifique pour finalement devenir suffisamment significative et justifier des investigations.
Comme la douleur inflammatoire qui est plus qu’une simple douleur nocturne, la rachialgie inflammatoire ne peut pas être réduite à une simple douleur inflammatoire du dos. La rachialgie inflammatoire est, il est important de le comprendre, un concept spécifique au diagnostic de la spondylarthrite ankylosante et des spondylarthropathies. Le but est d’identifier, de manière sensible et spécifique, les patients souffrant de ce type de maladies par la présence d’une plainte caractéristique associant divers symptômes comme raideur matinale, douleurs améliorées par l’exercice, réveils nocturnes, sciatalgies à bascule, survenue insidieuse, etc. Si le terme de rachialgies inflammatoires est largement utilisé au quotidien et librement appliqué pour décrire la présence de douleurs présentant plus ou moins une ou quelques caractéristiques inflammatoires, il correspond à une définition claire avec une valeur spécifique. La présence de rachialgies inflammatoires fait d’ailleurs partie intégrante de tous les critères de classification publiés pour la spondylarthrite ankylosante ou les spondylarthropathies.
Néanmoins, la subtilité va plus loin, et il y a rachialgies inflammatoires et rachialgies inflammatoires. Si l’on prend deux sets de critères, selon Calin7 et Rudwaleit,8 sets qui différent légèrement par exemple par l’utilisation pour Rudwaleit d’une définition de la durée minimale de la raideur matinale, on se trouve en présence de deux outils fort différents pour la pratique quotidienne. Les critères de Calin ont une grande sensibilité de 95% et une relativement bonne spécificité de 76%,7 et la présence de rachialgies inflammatoires selon cette définition va nous aider avant tout à suspecter un diagnostic de spondylarthrite ankylosante plutôt que de le confirmer. Il y a peu de faux négatifs, mais de nombreux faux positifs. En comparaison, la sensibilité des critères développés par Rudwaleit n’est que de 33% et leurs utilisations dans un triage seraient inadaptées, avec beaucoup trop de faux négatifs.8 Par contre, leur spécificité de 97% fait qu’en cas de suspicion de spondylarthrite ankylosante, leurs présences augmentent la probabilité de ce diagnostic de manière beaucoup plus conséquente que de « simples » rachialgies inflammatoires définies selon les critères initiaux de Calin (tableau 1).
Si l’hirondelle ne fait pas le printemps, la rachialgie inflammatoire ne fait pas non plus le diagnostic de spondylarthrite ankylosante. La rachialgie inflammatoire est un syndrome cardinal, mais sa seule présence chez un lombalgique chronique n’augmente la probabilité de ce diagnostic que de 5 à 14%, cette probabilité chutant à moins de 2% en son absence.9
Le diagnostic précoce de spondylarthrite ankylosante ou de spondylarthropathie reste donc difficile, et, malgré tous nos efforts, le délai entre les premiers symptômes et le diagnostic est toujours cinq à dix ans. Quels sont donc les autres outils à disposition pour poser ce diagnostic ?
Nous avons été sensibilisés, durant nos études, à l’importance de l’examen clinique. Malheureusement, il est essentiel de se rendre compte également des limites de ce type d’évaluation. La présence d’une anomalie à un test classique d’atteinte sacro-iliaque comme la manœuvre de Mennel ou le test de Faber, ou un Schober lombaire pathologique, n’augmente que marginalement la probabilité d’être en présence d’un Bechterew avéré plutôt que d’une simple rachialgie mécanique non spécifique.2 Les seuls critères cliniques, augmentant significativement la probabilité d’un tel diagnostic, sont une diminution des inclinaisons latérales rachidiennes ou de l’ampliation thoracique, deux signes beaucoup plus spécifiques, toutefois très peu sensibles en particulier dans la phase précoce.2 Les examens biologiques ne sont pas beaucoup plus contributifs. Aussi bien la vitesse de sédimentation que la CRP ne présentent qu’une association faible avec l’activité de la maladie et ne sont élevées que chez environ 40% des patients avec atteinte axiale.10 Un syndrome inflammatoire augmente de manière modérée la probabilité d’une spondylarthrite, alors que la valeur de son absence est inconnue et ne saurait exclure un tel diagnostic.
Si la présence d’une sacro-iliite bilatérale est plus ou moins diagnostique, il s’agit d’un signe tardif et nous utilisons de plus en plus d’examens radiologiques sophistiqués pour pouvoir poser des diagnostics beaucoup plus précoces. L’IRM est largement utilisée et il s’agit d’un excellent examen lorsqu’elle est positive. Une IRM positive augmente fortement, souvent de manière décisive, la probabilité d’une spondylarthrite. Toutefois, si la valeur spécifique d’un examen négatif pour exclure un tel diagnostic n’est pas définie exactement, elle est certainement loin d’être aussi bonne. Dans une étude récente chez des patients souffrant de rachialgies inflammatoires,11 la sensibilité de l’IRM des sacro-iliaques n’était que de 31,7% pour le diagnostic de spondylarthropathie axiale, chiffre chutant à 9,5% chez les patients avec CRP normale, population chez qui typiquement nous pratiquerons ce type d’examen en l’absence d’autres éléments confirmant notre suspicion de rhumatisme inflammatoire.11 La multiplication des IRM n’apporte que peu au processus diagnostique.12 On dénombre encore 38% de faux négatifs lorsqu’on réalise simultanément des IRM des sacro-iliaques et du rachis dans un même type de collectif, avec 117 patients souffrant de spondylarthrite ankylosante probable, mais une radiographie conventionnelle encore normale. Toutefois, près de 50% des cas positifs ne l’étaient qu’au niveau du rachis ou des sacro-iliaques, mais pas les deux en même temps.
Un autre examen, classiquement réputé utile, est la scintigraphie osseuse. Néanmoins, une revue systématique récente nous fait déchanter avec un apport diagnostique faible, la sensibilité n’étant que de 50 à 55% pour une sacro-iliite aiguë.13 De même, l’apport d’un examen négatif n’est que minimal pour l’exclusion du diagnostic. Même la scintigraphie quantitative, souvent mise en avant comme un bien meilleur examen, n’était positive que dans 32%, lorsque comparée à une IRM positive comme étalon.14 Une fois encore, on se rend bien compte des limitations des examens paracliniques pris isolément.
Il est rare qu’un test pris isolément permette de poser un diagnostic précoce. Rudlaweit et coll. ont proposé une démarche intéressante où, si l’on part d’une lombalgie chronique avec rachialgies inflammatoires avec une probabilité de 14% d’être en présence d’une spondylarthrite ankylosante, on peut augmenter de manière significative cette probabilité en associant d’autres éléments diagnostiques comme les pièces d’un puzzle.15,16 En utilisant le produit des rapports de vraisemblance positifs (ou likelihood ratio, LR+), calculés pour divers éléments anamnestiques ou tests variés dans ce contexte, on peut augmenter progressivement la probabilité d’avoir un diagnostic de spondylarthrite. Un produit des LR aux environs de 20 donnera une probabilité diagnostique d’environ 50, alors qu’un produit à 80 aura une probabilité de 80% aussi. Avec un produit > 200, la probabilité diagnostique est > 90%, et le diagnostic peut être considéré comme définitif.15 Quelques valeurs de LR pour des tests couramment utilisés dans ce contexte sont données dans le tableau 2 à titre d’exemples.
Une remarque s’impose. Les LR donnés dans ce texte ne sont connus que dans un contexte bien particulier de rachialgies inflammatoires et ne peuvent pas être utilisés tels quels dans un autre contexte. De même, leurs rapports de vraisemblance négatifs (LR-) sont inconnus, et on ne peut pas réduire la probabilité diagnostique en l’absence d’un examen. En d’autres termes, une IRM négative ne permet nullement d’exclure un diagnostic de spondylarthropathie.
La présence d’une vraie anamnèse de rachialgies inflammatoires chez un lombalgique doit nous faire évoquer un diagnostic de spondylarthropathie. Toutefois, prise isolément, elle est certainement insuffisante pour poser le diagnostic, diagnostic précoce qui reste difficile en l’absence d’une sacro-iliite radiologique. Dans ce contexte, il est important de reconnaître les limites de nos examens complémentaires, dont une excellente valeur prédictive positive ne signifiera pas nécessairement une valeur prédictive négative aussi bonne. Il faudra savoir rechercher et collectionner les différents éléments qui nous permettront d’obtenir une probabilité diagnostique suffisante et adéquate. En effet, s’il est toujours agréable pour un médecin d’avoir un diagnostic de certitude, il semble aussi raisonnable de proposer parfois un traitement, finalement que symptomatique, si la probabilité est suffisante pour que le doute bénéficie au patient dans le cadre d’un risque tolérable.
> La rachialgie inflammatoire correspond à un set de critères dont la présence est très spécifique et sensible pour le diagnostic de spondylarthrite ankylosante
> La douleur nocturne est une plainte fréquente chez le lombalgique et elle n’a isolément que peu de valeur diagnostique
> A l’examen clinique, les examens avec le meilleur rapport de vraisemblance (likelihood ratio) pour le diagnostic de spondylarthrite ankylosante sont une diminution des inclinaisons latérales du rachis et une diminution de l’ampliation thoracique
> Dans un contexte de rachialgies inflammatoires, on peut considérer avoir un diagnostic définitif de spondylarthrite ankylosante si le produit des rapports de vraisemblance des divers examens positifs est supérieur à 200
La rachialgie inflammatoire est plus qu’une simple douleur inflammatoire, mais bien un ensemble de symptômes, dont la présence, chez un lombalgique, doit faire évoquer un diagnostic de spondylarthrite. Prise isolément, elle est toutefois insuffisante pour poser le diagnostic. Dans le cadre d’une stratégie diagnostique, il faut savoir rechercher d’autres éléments cliniques, biologiques ou radiologiques permettant d’obtenir une probabilité diagnostique adéquate, tout en reconnaissant les limites de ces examens.