Le médecin de premier recours est souvent confronté à des pathologies infectieuses chez le patient transplanté d’organe. Beaucoup d’infections sans signes de gravité peuvent être prises en charge ambulatoirement. Néanmoins, certaines situations cliniques spécifiques aux patients transplantés peuvent poser des problèmes au praticien. En particulier, les interactions potentielles entre médicaments immunosuppresseurs et thérapies antimicrobiennes, le risque accru d’une péjoration de la fonction rénale en cas de diarrhée ou d’infection urinaire, ou la possibilité d’une maladie à cytomégalovirus (CMV) comme cause d’état fébrile sans foyer tardivement après transplantation doivent être connus et pris en compte par le praticien. Une collaboration avec le médecin spécialiste en transplantation est conseillée afin de faire bénéficier le patient d’une prise en charge optimale.
Les infections sont des complications extrêmement fréquentes après transplantation d’organe solide.1 Historiquement, la prise en charge des infections du patient greffé s’effectuait essentiellement en milieu hospitalier, en raison de la complexité de l’épidémiologie, du diagnostic et du traitement des infections chez ces patients particulièrement fragiles.2
Néanmoins, les progrès accomplis dans les techniques chirurgicales, l’amélioration des régimes immunosuppresseurs, ainsi que la mise en vigueur de protocoles standardisés de prévention des infections (tableau 1) ont provoqué une nette augmentation de la survie et de la qualité de vie après transplantation.3 En parallèle, nous avons assisté ces dernières années à un changement de l’épidémiologie et de la prise en charge des infections post-transplantation. Par exemple, des prophylaxies efficaces ont permis de retarder de plusieurs mois l’apparition d’infections à cytomégalovirus (CMV) après transplantation.4 Souvent, le patient se présente avec des symptômes non spécifiques qui peuvent être difficiles à reconnaître. Dans ce contexte, le médecin de premier recours peut être confronté à une série de pathologies infectieuses dont il est essentiel de connaître les enjeux afin d’optimaliser le suivi de ces patients particuliers.
Cet article fait le point sur l’épidémiologie, la clinique et les options de prise en charge ambulatoire de certaines pathologies infectieuses associées à la transplantation. En dehors de l’infection à CMV, nous allons traiter de la bactériurie asymptomatique et des diarrhées survenant chez le patient transplanté. Finalement, nous discuterons également des interactions les plus fréquentes entre les médicaments immunosuppresseurs et certains antimicrobiens utilisés en pratique ambulatoire.
Le CMV est un virus de la famille herpès qui est reconnu comme étant le pathogène viral le plus important après transplantation d’organe. Classiquement, la maladie à CMV a été associée à une haute morbidité, parfois avec évolution létale chez le patient greffé. La maladie à CMV est aussi considérée comme un facteur de risque associé à d’autres infections opportunistes (infections fongiques), des épisodes de rejet ou encore avec une dysfonction chronique du greffon.2
La prise en charge de l’infection à CMV a changé considérablement ces dernières années.4 La substitution de la culture virale par des techniques moléculaires avec une haute sensibilité (PCR) a permis de diagnostiquer l’infection à CMV d’une façon plus précoce. De plus, l’apparition d’antiviraux efficaces contre le CMV, montrant une excellente biodisponibilité ainsi qu’un profil toxique adéquat (valganciclovir, Valcyte) a engendré une utilisation systématique des stratégies de prévention (prophylaxie universelle ou traitement préemptif) de la maladie à CMV. La prophylaxie universelle consiste à administrer le médicament antiviral à tous les patients à risque pour le CMV pour une durée déterminée (trois à six mois selon l’organe).5 L’approche préemptive consiste à surveiller la virémie pendant les premiers mois post-transplantation et à administrer un traitement antiviral seulement en cas d’une virémie positive, avant l’apparition des symptômes. La stratégie préférée pour les patients à plus haut risque (patients séronégatifs pour le CMV qui reçoivent un organe séropositif, ou D+/R-) est la prophylaxie universelle, tandis que pour les patients à risque intermédiaire (receveurs séropositifs, R+), les deux approches sont également valides (tableau 1). En ce qui concerne le traitement, la maladie à CMV nécessitait auparavant une hospitalisation et une pose de voie centrale pour l’administration de ganciclovir intraveineux. Actuellement, la grande majorité des patients peut être traitée en ambulatoire avec du valganciclovir avec des taux de succès similaires.6
Malgré l’efficacité prouvée de la prophylaxie chez les patients D+/R-, jusqu’à 30% des patients appartenant à ce groupe vont développer une infection à CMV symptomatique.7 Très rarement la maladie va se manifester pendant la durée de la prophylaxie, mais plutôt après l’arrêt du médicament antiviral (c’est-à-dire trois à douze mois après transplantation) (figure 1). De rares patients peuvent même développer la maladie après la première année post-transplantation. Cette entité est connue comme maladie tardive à CMV (late onset CMV disease) et se manifeste souvent par un syndrome viral (fièvre, fatigue, myalgies associées à une leucopénie, une thrombopénie et une altération des tests hépatiques) ou par une maladie invasive de type gastrite ou colite (fièvre, diarrhées et douleurs abdominales).
Ce changement épidémiologique de l’infection à CMV peut avoir des implications pour les praticiens. Dans une proportion non négligeable de patients, la maladie à CMV va se manifester comme une fièvre sans foyer ou comme une gastro-entérite fébrile plusieurs mois après transplantation. Par conséquent, le patient peut consulter en premier lieu son médecin traitant. A cette occasion, la possibilité d’une infection à CMV devrait être évoquée afin d’éviter des retards diagnostiques. Le médecin spécialiste en transplantation confirmera le diagnostic par une PCR dans le sang et débutera un traitement antiviral, souvent par le valganciclovir de manière ambulatoire. L’évolution de la charge virale par PCR et les effets secondaires médicamenteux (notamment hématologiques) devraient également être suivis par le médecin spécialiste en transplantation.
L’infection urinaire reste la complication infectieuse la plus fréquente après greffe rénale. En effet, malgré l’usage quasi universel du co-trimoxazole comme prophylaxie antipneumocystose pendant les six premiers mois post-transplantation, l’incidence des infections urinaires fluctue entre 26 et 79% dans cette population.8 Ces infections ont été associées avec une sérieuse morbidité (néphropathie chronique du greffon, perte du greffon) et une augmentation de la mortalité.9 Les germes les plus fréquemment isolés sont des Escherichia coli et des Enterococcus faecalis. Alors que les bactériuries du patient non greffé sont classifiées en colonisation versus infection haute ou basse sur la base de critères cliniques (pollakiurie, dysurie, douleurs dans les loges rénales, fièvre), du sédiment urinaire (leucocyturie) et de la culture quantitative (> 105 germes/ml d’urine), ces distinctions ne sont pas appliquées chez le transplanté rénal.10 En effet, l’exposition à des immunosuppresseurs, la dénervation du greffon et la neuropathie avancée des greffés diabétiques rendent les symptômes cliniques moins fiables. D’un autre coté, le greffé rénal est clairement prédisposé à des complications lors d’infection urinaire en raison de la haute prévalence de reflux et de la fragilité particulière du greffon pendant les trois premiers mois posttransplantation. Pour ces raisons, la bactériurie asymptomatique du greffé rénal est souvent traitée de manière très libérale par des antibiotiques, alors que potentiellement une partie de ces épisodes ne justifient pas de traitement spécifique. L’exposition répétée à des antibiotiques qui en découle n’est pas anodine. En effet, il n’est pas rare que les souches initialement sensibles deviennent résistantes ou soient remplacées par des pathogènes plus résistants, en particulier des bactéries Gram négatives produisant des β-lactamases à spectre élargi, des entérocoques multirésistants ou des levures. Ceci rend potentiellement le traitement d’infections urinaires avérées plus difficile.
Ces considérations ont été étayées dernièrement par une étude genevoise rétrospective de bactériuries asymptomatiques survenues plus de trois mois après transplantation chez des greffés rénaux. Il a été observé qu’en l’absence de symptômes clairs d’infection et/ou d’une leucocyturie importante, 50% des bactériuries non traitées avaient évolué favorablement avec disparition de la bactériurie au prochain contrôle. Seulement 7% avaient progressé vers une forme plus sévère. Par contre, dans 60% des épisodes traités, la bactériurie persistait avec sélection de germes résistant aux antibiotiques utilisés. Ces données soulignent que la distinction entre colonisation et infection des voies urinaires devrait également être faite dans la population des greffés rénaux. Il est probable que beaucoup d’épisodes de bactériuries asymptomatiques représentent des colonisations qui évoluent spontanément favorablement et que l’usage abusif d’antibiotiques dans cette situation est à long terme délétère au patient. Par conséquent, en dehors des bactériuries survenant dans les trois premiers mois après la transplantation qui justifient toutes un traitement antibiotique, le praticien devrait toujours se poser la question de la justification du traitement d’une bactériurie asymptomatique et considérer des contrôles rapprochés dans certaines situations au lieu de prescrire d’emblée un traitement antibiotique.
Les symptômes gastro-intestinaux, et en particulier la diarrhée, sont de fréquents motifs de consultation chez les patients transplantés.11 Bien que ces symptômes soient dans la plupart des cas d’une intensité légère et spontanément résolutifs, ce collectif de patients est à risque accru de développer des complications (figure 2). L’insuffisance rénale due à la déshydratation apparaît de manière plus fréquente chez les transplantés (spécialement chez les transplantés rénaux), en raison de la haute incidence de dysfonction rénale chronique secondaire à l’usage des inhibiteurs de la calcineurine (ciclosporine et tacrolimus). La diarrhée peut aussi favoriser une altération de l’absorption des inhibiteurs de la calcineurine avec une augmentation de l’absorption du tacrolimus (et, par conséquent, une péjoration de la fonction rénale)12 et une diminution de l’absorption de la ciclosporine (qui peut être un facteur de risque pour le développement de rejet aigu). Finalement, la péjoration de la fonction rénale peut entraîner une accumulation des métabolites du mycophénolate (CellCept ou Myfortic) responsables d’effets secondaires digestifs.
Le diagnostic différentiel de la diarrhée chez le patient transplanté est plus large que dans la population générale (tableau 2). Notamment, les médicaments immunosuppresseurs, comme le mycophénolate ou la ciclosporine sont reconnus pour occasionner un taux important de diarrhées.13 Souvent d’autres médicaments que les immunosuppresseurs, tels que les antibiotiques, peuvent provoquer également une augmentation du transit intestinal. En plus des étiologies médicamenteuses, les infections sont une cause importante de diarrhées dans cette population. Malgré un grand nombre de pathogènes potentiels, le diagnostic différentiel de la diarrhée infectieuse ne diffère pas trop de celui de la population générale. Une étude belge montrait que chez 108 transplantés rénaux,14 la cause de diarrhée était infectieuse dans environ la moitié des cas. La plupart des pathogènes identifiés étaient des bactéries entéropathogènes (Campylobacter jejuni, Salmonella spp.) et le CMV. L’incidence de la diarrhée due à Clostridium difficile après transplantation est également élevée.15 A l’heure actuelle, il n’y a pas de données qui montrent que l’infection à Norovirus soit plus grave chez le patient immunocompromis qu’au sein de la population générale. Finalement, les parasites (Cryptosporidium, Microsporidia), la maladie lymphoproliférative post-transplantation (PTLD), la prolifération bactérienne ou le cancer apparaissent comme des causes moins fréquentes de diarrhées (souvent chroniques). A signaler que dans cette étude belge, la diarrhée pouvait se manifester à n’importe quelle période post-transplantation.14
Tout patient transplanté avec des diarrhées importantes (par exemple ≥ 3 selles par jour pendant sept jours) devrait être évalué avec un bilan biologique (créatinine, potassium, formule sanguine). Une hydratation adéquate devrait être instaurée afin d’éviter une dysfonction rénale. Le médecin traitant devrait avoir un seuil bas pour réaliser des cultures de selles, rechercher la toxine à C. difficile et administrer une thérapie empirique en cas de suspicion de diarrhées d’origine infectieuse. Une éventuelle modification du régime immunosuppresseur devrait toujours s’effectuer en collaboration avec les spécialistes en transplantation, étant donné le risque important de complications.
Après transplantation d’organe, même en l’absence de complications, les patients ont un risque accru de développer des infections communautaires, en particulier des infections respiratoires et urinaires. Une partie de ces patients auront besoin d’un traitement antibiotique ou antifongique en ambulatoire. Certaines classes d’agents antimicrobiens ont des interactions avec l’immunosuppression que le praticien doit connaître afin d’éviter des toxicités (tableau 3).16 A titre d’exemple, les macrolides sont souvent utilisés pour traiter des infections respiratoires acquises dans la communauté. Toutefois, la plupart des macrolides, et surtout la clarithromycine, sont des inhibiteurs puissants du cytochrome P450, pouvant induire une augmentation significative des concentrations sériques des inhibiteurs de la calcineurine (ciclosporine et tacrolimus). Par conséquent, dans ces situations le choix devrait se porter soit sur l’azithromycine, soit sur les fluoroquinolones dites «respiratoiresi» (lévofloxacine ou moxifloxacine) qui n’ont pas d’interactions significatives avec les immunosuppresseurs. Finalement, certains greffés reçoivent un traitement prophylactique ou préemptif antifongique avec un azolé (fluconazole, voriconazole ou posaconazole). Ceux-ci sont des inducteurs puissants du cytochrome P450. L’arrêt de ces traitements peut donc provoquer une diminution brusque des concentrations sériques des médicaments immunosuppresseurs, avec une augmentation conséquente du risque de rejet.16
> Suite à l’amélioration de la survie et de la qualité de vie après transplantation d’organe solide, le médecin de premier recours est de plus en plus consulté pour des complications infectieuses survenant chez le patient greffé d’organe
> La maladie à cytomégalovirus (CMV) peut se manifester sous la forme d’un syndrome viral ou d’une colite quelques mois, voire quelques années après transplantation. Un index élevé de suspicion est nécessaire afin d’éviter des retards dans le diagnostic, qui pourraient provoquer une morbidité significative
> La bactériurie asymptomatique chez le patient transplanté rénal est une cause fréquente de consultation. En dehors de la période des trois premiers mois post-transplantation une administration systématique d’antibiotiques n’est pas toujours nécessaire
> La diarrhée est un symptôme très fréquent après transplantation, dont la gravité est supérieure par rapport à la population générale en raison du risque d’insuffisance rénale aiguë. Les causes les plus usuelles de diarrhée chez cette population sont médicamenteuses et infectieuses
> Les interactions médicamenteuses entre les médicaments immunosuppresseurs et les antimicrobiens sont une cause fréquente de toxicité chez le patient transplanté. En particulier, l’usage de la clarithromycine doit être évité et les doses d’immunosuppresseur doivent être adaptées après instauration ou arrêt d’un traitement antifongique avec un azolé
The primary care physician is frequently consulted in first line for infectious complications in organ transplant recipients. Many infections without signs of severity can nowadays be managed on an outpatient basis. However, a number of clinical situations specific to transplant recipients may require special attention and knowledge. In particular, the general practitioner must be aware of the potential interactions between immunosuppressive and antimicrobial therapies, the risk of renal dysfunction as a consequence of diarrhea or urinary tract infection, and the diagnostic of CMV disease as a cause of fever without obvious source occurring several months after transplantation. Collaboration with the transplantation specialists is recommended in order to assure an optimal management of these patients.