Le syndrome des ovaires polykystiques est la pathologie endocrinienne la plus fréquente de la femme préménopausée. Une résistance à l’insuline est fréquemment retrouvée chez les patientes affectées par ce syndrome, jouant probablement un rôle physiopathologique important. Cet article fait le point sur l’association maintenant bien reconnue entre insulino-résistance et syndrome des ovaires polykystiques, et discute le risque augmenté d’intolérance au glucose, de diabète de type 2 et de syndrome métabolique présenté par les patientes atteintes de ce syndrome. Des propositions de stratégies pratiques de dépistage et de suivi des dysfonctions métaboliques liées au syndrome des ovaires polykystiques sont émises à la lumière des rares recommandations de la littérature internationale.
La prévalence du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) a été estimée entre 4 et 12%1,2 ce qui en fait l’un des désordres endocriniens les plus fréquents chez la femme en âge de reproduction. Ses manifestations cliniques caractéristiques ont été décrites pour la première fois en 1935 par Stein et Leventhal, dans une publication décrivant sept patientes présentant une infertilité secondaire à une anovulation chronique associée à un hirsutisme et une obésité. Cette association représente encore de nos jours un trait caractéristique du syndrome, mais au cours des décennies écoulées, il est apparu de plus en plus clairement qu’elle constitue une des extrémités du spectre d’expression phénotypique du SOPK.2,3
Une conférence de consensus qui réunissait à Rotterdam des experts de deux sociétés savantes, l’européenne ESHRE (Société européenne de reproduction humaine et d‘embryologie) et l’américaine ASRM (American society for reproductive medicine),4 a récemment précisé les modalités du diagnostic de syndrome des ovaires polykystiques. Selon les recommandations de cette conférence, la présence de deux des trois critères suivants permet de poser ce diagnostic :
• Evidence d’oligo- ou anovulation.
• Présence de signes cliniques ou biochimiques d’un excès d’androgènes.
• Morphologie ovarienne polykystique.
On notera également l’importance d’exclure une autre étiologie d’anovulation et d’hyperandrogénisme (syndrome adréno-génital, syndrome de Cushing ou tumeur virilisante).
Cette définition relativement souple du syndrome tient compte de la variabilité de son expression phénotypique, puisqu’aucune des caractéristiques cliniques mentionnées ci-dessus n’est retrouvée de manière constante. Elle est toutefois encore combattue par de nombreux auteurs, et ce débat risque de perdurer tant qu’un mécanisme physiopathologique unificateur du syndrome n’aura pas été identifié avec certitude.
En effet, deux hypothèses étiopathogéniques différentes ont été proposées historiquement. La première suggère un désordre primairement ovarien, lié à une production exagérée d’androgènes.5 Cette surproduction conduit les stéroïdes sexuels circulants à exercer un rétrocontrôle anormal sur la sécrétion des gonadotrophines hypophysaires, pouvant expliquer l’altération du rapport entre l’hormone lutéinisante (LH) et l’hormone folliculo-stimulante (FSH) souvent rapportée. La seconde est l’hypothèse «neuroendocrine». Celle-ci présuppose qu’une sécrétion exagérée de LH stimule une production augmentée d’androgènes par l’ovaire.6 L’ovaire et l’unité hypothalamus-hypophyse entrent alors dans un cercle vicieux qui aggrave le phénomène. Certains travaux récents de notre groupe indiquent que l’hyperinsulinémie pourrait participer, par une action hypothalamique directe, à ce défaut de régulation de la sécrétion des gonadotrophines,7 et que cet effet est probablement relevant chez l’humain.8 Malgré l’existence de ces différentes hypothèses, il faut reconnaître que le mécanisme physiopathologique précis à la base du syndrome des ovaires polykystiques n’est toujours pas élucidé en 2009, ce qui participe probablement à ces difficultés diagnostiques.
Le récepteur à l’insuline, un membre de la famille des récepteurs à activité tyrosine kinase, est activé par la liaison de son ligand. Cette activation stimule la phosphorylation de substrats intracellulaires qui initient la transduction du signal. Des études in vitro ont permis de démontrer la présence d’une variante du récepteur à l’insuline dont l’activité est diminuée chez certaines patientes présentant un SOPK. Cette variante semble spécifique du syndrome et n’est pas retrouvée dans d’autres formes d’insulino-résistance telles que l’obésité ou le diabète de type 2. Il convient toutefois de noter que ce défaut n’est pas retrouvé, de loin, chez toutes les patientes avec SOPK, et qu’il ne permet pas d’expliquer à lui seul la résistance à l’insuline dans ce syndrome.
Les patientes présentant un SOPK ont ainsi des taux d’insuline basale et stimulée plus élevés que des contrôles appariés pour l’âge et le poids.9 Ce tableau compatible avec une résistance à l’insuline a été confirmé dans des études de patientes aussi bien minces qu’obèses, et des études par clamps hyperinsulinémiques et euglycémiques ont montré que la résistance à l’insuline des patientes présentant un SOPK est comparable à celle de patientes avec un diabète de type 2.
Les concentrations intra-ovariennes d’androgènes représentent un élément important de la stéroïdogenèse, car ils sont indispensables à la biosynthèse de l’estradiol, obtenue par aromatisation de l’androstènedione. Leur excès peut toutefois interférer avec la maturation folliculaire. Une corrélation positive a d’autre part été rapportée dans le syndrome des ovaires polykystiques entre les taux circulants d’insuline et les taux circulants d’androgènes, suggérant une relation causale. Comme une baisse des taux circulants d’insuline s’accompagne dans certaines études d’une amélioration de l’hyperandrogénisme, ces observations corroborent l’hypothèse que l’insuline compte parmi les facteurs impliqués dans la production ovarienne d’hormones stéroïdiennes. Comme l’hyperandrogénisme semble participer à l’insulino-résistance, ces diverses interactions ont le potentiel d’aboutir à un cercle vicieux dans lequel l’hypersinulinisme induirait une production exagérée d’androgènes, qui à leur tour participeraient à l’aggravation de la résistance à l’insuline. Au final, l’hyperinsulinisme, l’hyperandrogénisme et l’anovulation chronique confèrent ensemble un risque cardiovasculaire à long terme significativement augmenté.
Ces mécanismes physiopathologiques expliquent qu’une intolérance au glucose soit observée chez environ 30% des patientes présentant un SOPK, un diabète étant retrouvé chez 10% d’entre elles. Ces données dérivent d’observations obtenues à partir de patientes d’origine nord-américaine, en majorité obèses, population au sein de laquelle la prévalence globale du diabète de type 2 est d’environ 2% (femmes appariées pour l’âge). Il semble d’autre part que la progression vers un diabète de type 2 soit plus rapide chez les patientes avec SOPK que chez les contrôles.10 Ces données concernant la prévalence de la résistance à l’insuline sont dépendantes de l’ethnie considérée, puisque chez des femmes d’origine asiatique, l’intolérance au glucose n’est retrouvée que chez environ 20% des patientes présentant un SOPK. Les données épidémiologiques européennes à ce sujet sont malheureusement très lacunaires. Globalement, le risque pour une patiente avec un syndrome des ovaires polykystiques de développer un diabète est environ sept fois plus élevé que celui de la population contrôle.
Le risque de développer un diabète gestationnel est aussi augmenté, de deux à trois fois par rapport à la population féminine générale. A part ces troubles glycémiques, d’autres facteurs de risque cardiovasculaire sont plus fréquemment pathologiques, comme une tension artérielle élevée, des taux de cholestérol-HDL abaissés ou des triglycérides augmentés. Pour toutes ces raisons, il n’est pas étonnant que la prévalence du syndrome métabolique puisse atteindre jusqu’à 50% chez ces patientes malgré leur jeune âge.
Malgré leur étroite association avec le SOPK, les troubles du métabolisme glucidique ne font pas partie des critères diagnostiques du syndrome. Toutefois, au vu de leur prévalence élevée, leur dépistage revêt une grande importance dans la prise en charge de ces patientes. La plupart des recommandations publiées ne proposent de pratiquer un dépistage glycémique ou des paramètres du syndrome métabolique qu’en présence d’un autre facteur de risque de diabète : surpoids, respectivement obésité (risque clairement élevé), anamnèse familiale ou personnelle (diabète gestationnel) positive. A contrario, il semble assez bien établi qu’une patiente ayant des cycles menstruels réguliers présente probablement un risque métabolique très faible, malgré le diagnostic de SOPK. Finalement, le dépistage de l’hyperglycémie est également reconnu utile en présence d’un autre facteur de risque cardiovasculaire. Ces diverses recommandations4,11-14 sont résumées dans le tableau 1.
Malheureusement, les recommandations internationales disponibles concernant les modalités du dépistage de l’hyperglycémie et/ou des paramètres du syndrome métabolique ne sont pas unanimes. En ce qui concerne la glycémie, les avis divergent sur le choix du test de dépistage : la mesure d’une glycémie à jeun est-elle suffisante ou estil nécessaire de pratiquer chez toutes ces patientes un test oral de tolérance au glucose ? Au sein du Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), nous avons adopté les pratiques suivantes, basées sur les recommandations disponibles et détaillées dans le tableau 1 :
• Pour toutes les patientes présentant un diagnostic de syndrome des ovaires polykystiques : mesure du poids, de la taille (avec calcul de l’index de masse corporelle – IMC), du tour de taille et de la pression artérielle.
• Si l’IMC > 25 kg/m2 ou en présence d’une anamnèse familiale ou personnelle positive : pratiquer une hyperglycémie provoquée orale (HGPO), ainsi qu’un bilan lipidique à jeun. Pour l’HGPO, nous demandons systématiquement aux patientes d’avoir un régime riche en hydrates de carbone et de s’abstenir d’exercice physique durant les trois jours précédent le test, qui est pratiqué à jeun le matin.
Seules deux associations internationales se positionnent sur le suivi recommandé après avoir pratiqué un tel dépistage métabolique. L’Association américaine du diabète (American diabetes association) propose de le répéter tous les trois ans s’il est normal. La Société d’étude sur l’excès d’androgènes (Androgen excess society) propose de répéter une HGPO tous les ans en cas d’intolérance au glucose, tous les deux ans si elle est normale. En l’absence d’informations plus précises ou de consensus international, le suivi clinique à notre consultation ambulatoire du CHUV des patientes présentant un dépistage initial normal est pratiqué comme suit :
• Annuellement : mesure du poids, de la taille (avec calcul de l’IMC), du tour de taille et de la pression artérielle.
• Si l’IMC > 25 kg/m2 ou en présence d’une anamnèse familiale ou personnelle positive : répétition de la glycémie et du bilan lipidique à jeun tous les ans ; répétition d’une HGPO tous les trois ans.
Finalement, toutes les patientes présentant un SOPK devraient bénéficier d’un dépistage du diabète gestationnel avant la douzième semaine de grossesse. En cas de résultat normal en début de grossesse, il devrait être répété entre les semaines 24 et 28.
Les patientes présentant un syndrome des ovaires polykystiques sont souvent diagnostiquées à la fin de l’adolescence ou à l’âge de jeune adulte. Cette caractéristique constitue peut-être une opportunité à saisir pour les sensibiliser très tôt aux aspects métaboliques de leur maladie. Une description détaillée de la prise en charge de tous les aspects du SOPK dépasse toutefois le cadre de cet article. D’une manière générale, il est admis que non seulement les complications métaboliques et cardiovasculaires peuvent bénéficier d’une amélioration de la sensibilité à l’insuline, mais également les manifestations plus purement endocriniennes du syndrome.
La prise en charge précoce des complications métaboliques associées au SOPK se base en première intention sur des adaptations classiques du mode de vie : contrôle pondéral, changements dans les habitudes alimentaires, promotion de l’activité physique. Si un antidiabétique oral doit être introduit, la metformine devrait être privilégiée car cette substance a été particulièrement bien étudiée chez les patientes avec SOPK.15 La plupart des études publiées confirment que ce médicament améliore la sensibilité à l’insuline et diminue l’hyperinsulinémie dans le SOPK d’une manière similaire à ce qui est connu pour les patients diabétiques de type 2. De plus, la réduction de l’insulinémie s’accompagne de changements hormonaux : augmentation de la SHBG, diminution des taux circulants de LH et de l’hyperandrogénisme, avec souvent une amélioration de l’ovulation. Finalement, les différents autres facteurs de risque cardiovasculaire doivent également être pris en charge de manière spécifique.
La résistance à l’insuline est maintenant bien identifiée comme une composante très importante du syndrome des ovaires polykystiques. Le corollaire est que ce syndrome est devenu autant un désordre métabolique qu’un trouble de la fertilité, et qu’il représente probablement une cause significative de morbidité à long terme pour les patientes affectées. Les effets bénéfiques d’une diminution de l’insulinémie chez ces patientes s’exercent aussi bien sur les aspects purement métaboliques que sur les paramètres hormonaux, et il apparaît indispensable de prendre en charge d’un point de vue métabolique glucidique et lipidique toutes les patientes avec un SOPK. En l’absence de recommandations internationales unifiées, nous proposons ici un schéma pratique de suivi à long terme de ces patientes, qui pourra être modulé en fonction des cas particuliers, aussi bien que d’éventuelles nouvelles données concernant le devenir de ces patientes.
> Une hyperglycémie, une dyslipidémie ou un syndrome métabolique peuvent être associés au syndrome des ovaires polykystiques
> La résistance à l’insuline associée au syndrome explique la prévalence augmentée de troubles métaboliques chez les patientes avec syndrome des ovaires polykystiques
> Cette association implique de dépister et éventuellement de prendre en charge les troubles métaboliques chez toutes les patientes présentant un syndrome des ovaires polykystiques
> Si le bilan initial est négatif, un suivi au long cours est indiqué chez toutes les patientes
Le syndrome des ovaires polykystiques est la pathologie endocrinienne la plus fréquente de la femme préménopausée. Une résistance à l’insuline est fréquemment retrouvée chez les patientes affectées par ce syndrome, jouant probablement un rôle physiopathologique important. Cet article fait le point sur l’association maintenant bien reconnue entre insulino-résistance et syndrome des ovaires polykystiques, et discute le risque augmenté d’intolérance au glucose, de diabète de type 2 et de syndrome métabolique présenté par les patientes atteintes de ce syndrome. Des propositions de stratégies pratiques de dépistage et de suivi des dysfonctions métaboliques liées au syndrome des ovaires polykystiques sont émises à la lumière des rares recommandations de la littérature internationale.