Depuis 1967, on sait que les acariens de la poussière de maison (house dustmites) sont responsables de la majeure partie des allergies auparavant attribuées à la poussière domestique. Dans nos régions, c’est surtout Dermatophagoides pteronyssinus et Dermatophagoides farinae qui sont prépondérants. On les retrouve par millions dans notre literie et ils sont responsables de maladies allergiques telles que l’asthme, la rhinite et la dermatite atopique. Différents traitements sont disponibles. Certains ont fait leurs preuves, comme l’immunothérapie spécifique sous-cutanée et les traitements symptomatiques standards. Par contre, les mesures d’éviction des acariens sont sujettes à une importante controverse et à un récent débat animé dans la littérature médicale. Nous avons donc estimé qu’une mise au point s’imposait.
L’allergie à la poussière de maison est décrite depuis 1921 par Kern qui l’utilisait pour réaliser des tests cutanés. Mais ce n’est qu’en 1967 que Voorhorst et Spieksma démontrent que les acariens sont la source majeure des allergènes dans la poussière domestique.1 Les consultations chez le spécialiste comme chez le médecin de premier recours pour une maladie allergique représentent une part non négligeable des rendez-vous. En effet, on estime qu’en Suisse 32,3% des adultes et 35,7% des enfants sont atopiques,2 c’est-à-dire qu’ils ont une prédisposition génétique pour développer des allergies. En ce qui concerne les acariens, 8,9% des adultes et 12,4% des enfants y sont sensibilisés, ce qui signifie qu’ils ont des tests cutanés ou des IgE spécifiques positifs à ces allergènes.
Les acariens font partie de l’embranchement des arthropodes et de la classe des arachnides comme les araignées et les scorpions.1 Il en existe plus de 50 000 espèces répertoriées. Les plus répandus dans la poussière de maison sont Dermatophagoides pteronyssinus (DP) (figures 1A et B), Dermatophagoides farinae (DF) et dans une moindre mesure Euroglyphus maynei qui font tous trois partie de la famille des Pyroglyphidae (figure 2). Dans les régions tropicales et subtropicales (par exemple : Brésil, Floride) il faut également mentionner Blomia tropicalis.
Les acariens sont de minuscules organismes d’environ 0,3 mm de longueur et ne sont juste pas visibles à l’œil nu. Ils vivent en moyenne trois mois et se nourrissent principalement de débris cutanés. Un gramme de poussière peut contenir 10 000 acariens et 0,25 g de squames peut nourrir plusieurs millions d’acariens pendant trois mois. L’environnement favori d’un acarien est chaud et humide, notamment en raison d’une balance hydrique précaire dépendant uniquement de l’humidité ambiante.3,4 Ils se développent idéalement à une température de 25-30 ˚C et une humidité de 70-80% pour DP et 50-60% pour DF. On retrouve ce microenvironnement principalement dans les matelas et le reste de la literie ainsi que les tapis et les meubles rembourrés. En raison de leur taille relativement importante (10 à 35 μm de diamètre) les allergènes des acariens ne sont retrouvés qu’en taux très faible dans l’air, contrairement aux allergènes d’animaux domestiques nettement plus petits. On les respire donc lors d’activités ménagères ou la nuit dans le lit où les allergènes sont proches des voies respiratoires.
Il existe de nombreux antigènes produits par les acariens, mais peu sont allergéniques, c’est-à-dire capables d’induire des IgE. Les allergènes proviennent des enzymes du tractus digestif et de la salive. On les retrouve donc principalement dans leurs particules fécales. On compte à ce jour 21 groupes d’allergènes recombinants.5 Parmi eux, certains sont considérés comme des allergènes majeurs (par exemple : Der p 1 et 2, Der f 1 et 2, tropomyosine : Der p 10 et Der f 10), avec lesquels plus de 50% des patients allergiques symptomatiques sont sensibilisés. Une certaine homologie de séquence peut exister entre les allergènes du même groupe (80% entre Der p 1 et Der f 1, 88% entre Der p 2 et Der f 2, 98% entre Der p 10 et Der f 10). En ce qui concerne la tropomyosine, on retrouve également une homologie de 75% avec celle des autres arthropodes (expliquant certaines réactions allergiques alimentaires liées à une réactivité croisée). Elle n’est que de 60% avec la tropomyosine des mammifères.
Chez un patient allergique, l’inhalation d’allergènes d’acariens provoque en premier lieu une rhinite et un asthme. Les symptômes sont présents tout au long de l’année (perannuels, persistants), mais prédominent à l’automne et en hiver, période pendant laquelle les appartements sont moins souvent aérés et plus chauffés. C’est surtout dans la chambre à coucher, plus particulièrement dans le lit, ou lors d’activités ménagères que le patient sera le plus symptomatique. Par contre, en altitude, en raison du climat sec et froid, leur nombre est considérablement limité. La conjonctivite allergique aux acariens est habituellement moins sévère qu’avec les pollinoses (rhume des foins) car les allergènes d’acariens sont peu présents dans l’air. Il est admis chez l’adulte que les pneumallergènes, notamment les acariens, sont un facteur de risque de sévérité et d’exacerbation de la dermatite atopique.6
De manière analogue au syndrome d’allergie orale croisée pollens/fruits (où les patients allergiques à certains pollens développent également des symptômes lors de l’ingestion de certains fruits ou légumes en raison de leur similitude protéique structurelle), il est aussi décrit une réaction similaire pour les acariens et certains aliments. Ceci s’explique par l’homologie structurelle élevée de la tropomyosine présente dans l’appareil musculaire des acariens et de certains crustacés (crevettes) et mollusques (escargots).
Certains acariens, différents des acariens de la poussière domestique et appelés acariens de stockage, sont responsables d’allergies professionnelles. Ces derniers se nourrissent principalement de foin, de grains et de paille et touchent surtout les fermiers, agriculteurs et boulangers. Les plus importants sont Glycyphagus domesticus, Lepidoglyphus destructor, Acarus siro et Tyrophagus putrescentiae.
Le diagnostic d’allergie aux acariens doit être principalement recherché en cas d’exacerbation des symptômes la nuit, lors d’activités ménagères ou professionnelles ainsi qu’en cas d’amélioration à l’extérieur ou en altitude. Il est également utile de rechercher à l’anamnèse la présence de «nids à poussière» tels que : meubles rembourrés, tapis, moquettes, peluches, etc. dans la chambre à coucher. Les tests cutanés (prick test) avec des extraits commerciaux d’acariens sont souvent suffisants pour confirmer le diagnostic. En cas de besoin, les IgE spécifiques sont facilement réalisables. En cas de doute, des tests de provocation conjonctivaux et même nasaux ou bronchiques, bien que plus risqués, peuvent être organisés dans les centres spécialisés. Les atopy patch tests pour les patients avec rhinite ou asthme n’ont pas leur place car leur sensibilité est très mauvaise.7
Plusieurs approches thérapeutiques peuvent être proposées aux patients allergiques aux acariens. D’une part, les traitements non pharmacologiques comme par exemple les mesures d’éviction chimiques et physiques des acariens. D’autre part, l’approche pharmacologique que l’on sépare en deux catégories : premièrement les traitements symptomatiques de l’asthme, de la rhinite et de la dermatite atopique et deuxièmement l’immunothérapie spécifique (désensibilisation). Certains de ces traitements ont fait leur preuve depuis de nombreuses années et d’autres sont sujets à une importante controverse et à un débat dernièrement très animé dans la littérature médicale. Nous avons donc décidé de revoir en détail ces différentes approches ainsi que les mesures de prévention.
On sait que la sensibilisation aux acariens chez un patient à risque dépend du taux d’allergènes présents.8 Le seuil estimé est de 2 à 10 μg d’allergènes du groupe 1, soit environ 100 à 500 acariens par gramme de poussière. Rappelons qu’un gramme de poussière peut contenir jusqu’à 10 000 acariens. Il semble donc logique à première vue qu’une réduction du nombre d’acariens permette une amélioration des symptômes.
Les mesures d’éviction habituellement proposées sont les mesures physiques (tableau 1) : housses pour matelas et literie antiacariens, retirer tapis, moquettes, peluches et meubles rembourrés et autres nids à poussière de la chambre à coucher, maintenir une température ambiante dans la chambre de 18 à 19° C et une humidité de moins de 50% (aération, air conditionné, déshumidificateur, vivre en altitude), lavage régulier à 60° C de la literie (draps, fourres de duvet et d’oreiller 1 x/semaine ; oreiller, duvet, couverture en matière synthétique ou coton tous les deux mois), passer l’aspirateur si possible avec filtre HEPA (High efficiency particulate air filter) une fois par semaine avec masque (ou par le conjoint).1
Les mesures d’éviction chimiques par l’intermédiaire d’acaricides sont déconseillées car elles peuvent avoir un effet adverse. Les filtres à air n’ont pas d’utilité étant donné qu’il n’y a pratiquement pas d’allergènes d’acariens dans l’air non ventilé. Il est prouvé que les mesures d’éviction, si elles sont bien conduites, c’est-à-dire faites de manière scrupuleuse, permettent une réduction du nombre d’acariens et donc du nombre d’allergènes. Mais sont-elles réellement efficaces sur les symptômes ?
Une méta-analyse récente publiée notamment dans la revue Cochrane en 2008 par Gøtzsche9,10 tend à montrer que si on veut faire une médecine basée sur les preuves (evidence based medicine), les mesures d’éviction des acariens ne sont pas efficaces pour le traitement de l’asthme. Il en va de même pour la rhinite, même si cela a été moins bien étudié, selon une autre méta-analyse de la revue Cochrane par Sheikh.11 Par ailleurs, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a décidé de ne plus rembourser les housses antiacariens pour les patients asthmatiques depuis le 1er janvier 2006 (compter environ CHF 700.– pour un lit à deux places). De plus, un éditorial publié dans The Lancet en avril 200812 critique le fait que lesguidelines pour la prise en charge de l’asthme (même récents) comportent toujours des mesures d’éviction des acariens. Tout ceci est sujet à un intense débat dans la communauté scientifique. En effet, d’autres critiquent de manière virulente ces méta-analyses et le biais dans le choix des études sélectionnées.13
Il en va donc du médecin praticien ou du spécialiste de décider, selon la motivation et la compliance du patient, sa situation financière et la sévérité de ses symptômes, de proposer ou non des mesures d’éviction. Ces dernières ne sont probablement pas inutiles, mais si elles sont suggérées, il faut impérativement qu’elles soient suivies de manière très scrupuleuse pour qu’elles puissent éventuellement être efficaces par l’intermédiaire d’une diminution très importante du taux d’allergènes. Une légère diminution de la charge allergénique n’aura aucun effet clinique. Pour les acariens de stockage, dans les maladies professionnelles, l’éviction reste le traitement de choix et nécessite occasionnellement un reclassement professionnel en cas d’asthme.
Cette approche thérapeutique est efficace tant pour l’asthme, la rhinite et la dermatite atopique. Elle est donc à proposer dans un premier temps chez tous les patients allergiques aux acariens. La prise en charge de l’asthme s’effectue selon les guidelines habituels (β2 agonistes de courte et longue durées d’action, corticostéroïdes bronchiques inhalés ou systémiques, antileucotriènes, théophylline, anti-IgE) tout comme pour la rhinite (antihistaminiques, corticostéroïdes topiques nasaux, antileucotriènes). Ce traitement reste purement symptomatique et ne modifie pas le cours naturel de l’allergie.
Depuis 1970, l’immunothérapie spécifique sous-cutanée (SCIT) par des extraits d’acariens, appelée aussi désensibilisation, a remplacé celle réalisée par la poussière domestique. Elle est le seul traitement qui puisse guérir une rhinite ou un asthme allergique aux acariens. Elle permet chez les enfants monosensibilisés de limiter le développement de nouvelles sensibilisations à d’autres aéroallergènes. Finalement, elle peut prévenir l’aggravation des symptômes comme l’apparition d’un asthme chez un patient atteint uniquement de rhinite. La SCIT a prouvé son efficacité par plusieurs études en double aveugle avec groupe placebo tant chez l’adulte que l’enfant avec rhinite, conjonctivite et/ou asthme.14 Son utilité chez les patients atteints de dermatite atopique et sensibilisés aux acariens semble avoir une certaine efficacité, même si plus d’études sont nécessaires.15 Ce traitement est long et relativement coûteux, mais est pris en charge par les caisses-maladie. Il est donc à proposer à chaque patient, surtout si le traitement symptomatique est insuffisant.
L’immunothérapie sublinguale (SLIT) pourrait aussi être efficace, même si les résultats des études sont contradictoires.14 L’efficacité de la désensibilisation dépend du taux d’allergènes administré.16 Ce taux est inférieur dans les produits commercialisés en Suisse par rapport à ceux des autres pays où ils ont été étudiés. Nous ne la recommandons donc pas en première intention pour le moment.
Il est décrit que la SCIT contre les acariens pourrait induire des sensibilisations avec les escargots ou les crevettes, par l’intermédiaire d’une réactivité croisée avec la tropomyosine comme c’est le cas dans le syndrome d’allergie orale croisée. La littérature médicale est assez pauvre sur ce sujet. Toutefois, une étude randomisée ne semble pas le confirmer pour la crevette.17 Nous ne savons pas si le risque de réaction anaphylactique au cours d’une désensibilisation aux acariens est plus élevé chez les patients porteurs d’une allergie primaire aux crevettes ou aux escargots.
Il est prouvé qu’une éviction soigneuse des acariens dès la naissance chez les enfants à risque d’atopie diminue le taux de sensibilisation. De nombreux programmes d’éviction primaire des acariens juste avant ou à la naissance ont été entrepris avec l’idée que la diminution de l’exposition entraînerait une baisse de la prévalence de l’asthme. Les résultats de ces études sont négatifs et montrent qu’il n’y a pas d’incidence sur l’asthme,18,19 mais uniquement une légère réduction du risque de dermatite atopique.
> Le diagnostic d’allergie aux acariens doit être recherché surtout en cas d’exacerbation des symptômes d’asthme et de rhinite la nuit, lors d’activités ménagères ou professionnelles ainsi qu’en cas d’amélioration des symptômes à l’extérieur ou en altitude
> Les tests cutanés (prick test) avec des extraits commerciaux d’acariens sont souvent suffisants pour confirmer le diagnostic. En cas de besoin, les IgE spécifiques sont facilement réalisables
> Une méta-analyse récente tend à montrer que si on veut faire une médecine basée sur les preuves, les mesures d’éviction des acariens ne sont pas efficaces pour le traitement de l’asthme et de la rhinite
> La décision de proposer au patient de faire des mesures d’éviction ou non en incombe au médecin. Elles doivent être suivies scrupuleusement pour espérer une possible efficacité
Since 1967, house dust mites have been shown to be the main allergens to be blamed in household dust allergy. In our countries, Dermatophagoides pteronyssinus and Dermatophagoides farinae are predominant. We find them by millions in our bedding. They are responsible of allergic reactions like asthma, rhinitis and atopic dermatitis. Different treatments are available of which some have proved there effectiveness, like subcutaneous immunotherapy and standard symptomatic treatments. On the other hand, the control measures remain controversial and led recently to a lively debate in the medical literature. We felt therefore that it was necessary to set the record straight.