L’avènement des trithérapies représente une avancée thérapeutique majeure qui a révolutionné la vie des personnes infectées par le VIH au cours de ces quinze dernières années. A la violence d’une maladie jadis rapidement fatale succède aujourd’hui la lourdeur de la maladie chronique. Les problématiques sont nouvelles pour les personnes porteuses du virus, mais les défis également nouveaux pour les soignants. Par manque d’accès aux médicaments dans certains contextes, ou par des difficultés d’adhésion au traitement antirétroviral, le plein potentiel de ces thérapies reste difficile à atteindre. Nous présentons ici l’expérience d’un programme d’éducation thérapeutique pour personnes porteuses du VIH qui vise d’une part à développer les compétences des patients pour trouver un équilibre entre leur vie et la maladie, et d’autre part, à améliorer les compétences des soignants face aux aspects de la chronicité de la maladie.
La vie des personnes infectées par le VIH a été bouleversée depuis 1996, date de l’avènement des trithérapies. Celles-ci ont permis un contrôle de l’évolution de la maladie qui a fait entrer l’infection VIH dans le monde des maladies chroniques. Un monde où le patient est au centre de la prise en charge, responsable de son traitement, replaçant ainsi le soignant dans une position d’accompagnateur et de ressource, dans une perspective de suivi à long terme. La problématique de l’adhésion au traitement est bien évidemment prépondérante dans cette maladie où l’efficacité du traitement nécessite une prise régulière des médicaments et où plane la menace de l’apparition de souches résistantes du virus.1,2 Parmi les facteurs influençant l’adhésion au traitement d’une maladie chronique, il est d’une part, et bien évidemment, l’acceptation d’une vie avec la maladie mais aussi une relation de qualité avec un thérapeute ou une équipe soignante.3 Une relation qui permette au soignant d’aider le patient à explorer ses représentations de la maladie et de son traitement, à utiliser ses ressources personnelles, à développer des compétences nouvelles que requiert la vie avec la maladie ou encore, à gérer sa motivation à se traiter dans le long terme. Tout un travail qui représente le champ de l’éducation thérapeutique du patient (ETP).
Au printemps 2002, un programme d’ETP est né d’une collaboration entre les soignants de la consultation VIH-SIDA et du Service d’enseignement thérapeutique pour maladies chroniques (SETMC) des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ce programme vise à mieux comprendre les besoins des patients et à leur apporter les connaissances et compétences qui pourront les aider à mieux vivre avec leur maladie chronique et leur traitement. Ceci représente donc un double objectif : d’une part la formation des malades, mais également le développement des capacités des soignants à appréhender la perspective des patients.
L’exemple de l’infection VIH illustre remarquablement comment les progrès de la thérapeutique ont transformé une maladie d’évolution rapidement fatale il y a encore à peine plus de dix ans, en une maladie chronique, traitable et bien souvent silencieuse aujourd’hui.4 Si cette évolution a bien évidemment radicalement changé les perspectives du patient, elle a également redéfini la position du soignant.
Pour le patient, toute maladie chronique renvoie à la perte du sentiment d’intégrité, à la perte d’une condition antérieure impliquant donc un processus d’acceptation de la maladie chronique bien décrit par A. Lacroix dans son modèle s’inspirant de celui d’E. Kubler-Ross décrivant le processus de deuil.5 En contraste des symptômes et des souffrances de la maladie aiguë, la maladie chronique s’illustre par la menace de détérioration, de décompensation. Elle impose bien souvent un traitement ou des changements visant à maintenir un capital de santé plutôt qu’à améliorer une condition actuelle. Alors que la maladie aiguë nécessite un traitement limité dans le temps, pouvant parfois être prodigué par une tierce personne, la maladie chronique implique un traitement s’inscrivant dans la durée et assumé principalement par le patient lui-même. Dans l’histoire de la personne, arrive un jour où la maladie chronique fait irruption dans le quotidien comme un hôte indésirable avec lequel il va falloir apprendre à composer pour poursuivre son projet de vie. Au coût psychologique s’ajoute encore celui des répercussions familiales et socioprofessionnelles.
Pour le soignant, s’occuper d’un malade chronique représente un réel changement de paradigme. En nécessitant un traitement au long cours, le VIH fait à ce jour figure d’exception en infectiologie. En effet, habituellement dans le cadre de maladies infectieuses, le médecin peut prescrire un traitement qui, très généralement, fait disparaître les symptômes et est limité dans le temps. Dans le contexte du VIH, avec cette perspective de chronicité, le traitement est pris pour conserver un capital de santé et non pour soulager un symptôme, ce qui redéfinit très directement la posture de chacun des partenaires de la relation thérapeutique. Notamment le médecin qui doit abandonner son rôle de «médecin-guérisseur» pour celui «d’accompagnateur ressource». Sans la prise de conscience de ce changement de posture, médecins et patients s’exposent au risque de grandes frustrations.
En France, depuis la fin des années 1990, C. Tourette-Turgis et M. Rebillon se sont intéressées à l’accompagnement des personnes sous traitement antirétroviral.6 Leurs travaux soulignent l’importance pour les intervenants dans la prise en soins de ces patients de développer des compétences nouvelles et proposent des outils pour aider les soignants à travailler la motivation de leurs patients.7 Ces auteures décrivent notamment un modèle d’intervention sur l’adhésion thérapeutique, baptisé MOTHIV, qui proposent quatre cofacteurs déterminant l’adhésion au traitement : cognitifs, émotionnels, comportementaux et sociaux. L’exploration de ces quatre domaines permet d’identifier là où la personne rencontre le plus d’obstacles et d’ainsi tenter avec elle de les réduire, d’évaluer si certains cofacteurs peuvent contrebalancer l’influence négative des autres et, si tel est le cas, de tenter de renforcer les cofacteurs positifs. L’exemple de ce travail souligne combien la prise en charge des personnes porteuses du VIH implique aujourd’hui une approche centrée sur la personne dans une perspective bio-psycho-sociale. En clinique, l’utilisation de ce modèle d’intervention a montré son efficacité dans une étude randomisée contrôlée avec un impact significatif sur l’adhésion thérapeutique et sur la virémie à six mois.8
Nous avons évoqué ci-dessus certains aspects de la problématique de la personne infectée par le VIH qui sont communs à d’autres maladies chroniques (acceptation de la maladie, adhésion au traitement, motivation, etc.), toutefois, il nous semble important de souligner certaines caractéristiques qui sont certainement plus spécifiques à l’infection VIH. Il s’agit d’une maladie très médiatisée, dont les messages sont devenus plus complexes, soulignant la tension qui existe entre la nécessité de prévention et l’information au sujet des succès thérapeutiques majeurs. Cette médiatisation peut être utile mais comporte certainement des revers. L’écho dans le grand public a permis une mobilisation importante, notamment des récoltes de fonds pour la recherche. Cet écho a probablement également permis à certains patients de lever des tabous, de sortir du poids du secret. Mais dans le grand public, les réactions ont pu passer d’un extrême à l’autre : d’une peur panique de la contamination jusqu’à une certaine banalisation depuis l’arrivée de traitements efficaces. Par ailleurs, l’infection à VIH touche aux comportements sexuels, avec le spectre de la mort qui menace des êtres humains en bonne santé. Une maladie pour laquelle on parle de «comportements à risque» avec toute la part de culpabilité et de responsabilité que cela sous-entend. Une maladie où l’on décrit une catégorie de «patients victimes» qu’ils soient conjoints ignorants, victimes de viols ou encore de transfusions contaminées. Le sentiment de rejet, de stigmatisation décrit par les patients malades chroniques est certainement ici renforcé par la crainte de contamination. Enfin, nous avons également déjà relevé la rapidité avec laquelle les progrès scientifiques ont fait évoluer la réalité clinique des patients. A ceci viennent encore s’ajouter des facteurs culturels et sociaux nombreux et variés. A Genève, ville internationale avec une importante population migrante, la consultation VIH des HUG fait face quotidiennement à des difficultés liées aux barrières culturelles, ainsi qu’à des détresses sociales extrêmes.
Si tous ces aspects sont autant de souffrances qui alourdissent avant tout le quotidien des personnes porteuses de la maladie et leur entourage, ils représentent aussi une complexité nouvelle pour les soignants. C’est pourquoi, comme mentionné en introduction, ce programme vise non seulement à améliorer les compétences des patients dans la gestion de leur maladie et de leur traitement, mais également à développer les compétences des soignants dans l’identification des besoins, qu’il s’agisse des besoins de leurs patients ou de leurs propres besoins de thérapeute.
En collaboration avec les infectiologues de l’hôpital, nous avons élaboré une journée annuelle d’éducation thérapeutique dont le déroulement est le suivant.
La journée débute par une séance d’accueil lors de laquelle, après une brève présentation de l’équipe, sont décrits les objectifs et le déroulement de la journée. Les participants sont ensuite invités à se présenter au groupe en partageant leurs attentes à propos de cette journée. Toujours en plénière, une première séance d’enseignement est conduite par deux animateurs sous la forme d’un échange avec les participants dans le but de faire émerger leurs propres connaissances et expériences antérieures. Les thèmes abordés sont les paramètres de suivi, tels que les notions de virémie et de lymphocytes CD4, ainsi que les objectifs et critères d’efficacité du traitement. Il est important que les patients comprennent les liens entre résultats biologiques et le risque de développer des maladies opportunistes. Sont également discutées l’infectiosité et les cibles thérapeutiques des différentes classes d’antirétroviraux. Cette séance est également souvent le lieu de questions ayant attrait aux perspectives thérapeutiques futures. Les objectifs de cette séance sont d’utiliser un langage commun, de réactualiser ou d’augmenter les connaissances des patients et de promouvoir des messages de prévention.
Les participants sont ensuite vus en entretien individuel par un duo de soignants dans le but de mieux identifier les besoins de chacun. Lors de cet entretien le patient choisi, avec l’aide des soignants, les ateliers auxquels il participera au cours de l’après-midi (deux parmi neuf à choix) (tableau 1).
En parallèle de ces entretiens individuels, les patients suivent un atelier sur le thème de la nutrition (équilibre alimentaire, choix des graisses, compléments vitaminiques).
A la mi-journée, pendant que les patients prennent le repas de midi, l’équipe se réunit pour la séance d’objectifs et d’organisation du programme de l’après-midi. Chaque duo présente ses patients aux autres soignants et propose les ateliers choisis par le patient. Le planning des ateliers de l’après-midi se construit donc en fonction des besoins des patients. Certains ateliers pourront être proposés deux fois alors que d’autres ne le seront peut-être pas. Les ateliers de l’après-midi durent 45 minutes chacun et réunissent deux à cinq participants environ. Ils sont animés par deux soignants provenant des deux services.
Le programme des patients se termine par une dernière séance en plénière lors de laquelle il est demandé à chaque participant de rapporter quel est le point important de la journée qui l’a marqué.
Chaque paire de soignants se réunit ensuite pour rédiger un court rapport sur les activités suivies par chaque patient, rapport qui sera adressé à leurs médecins traitants respectifs.
La journée des soignants se termine par une séance de mise en commun, permettant un partage des expériences de chacun et de chaque équipe ainsi que d’éventuels réajustements pour les prochains programmes.
En questionnant les patients et les soignants infectiologues, nous avons répertorié les principales difficultés rencontrées dans le suivi des patients VIH et avons conjointement élaboré des ateliers selon ces mêmes difficultés. Vivre avec le VIH aujourd’hui requiert de multiples compétences et implique certains changements de comportement au quotidien. Dans notre programme, nous avons cherché à répondre aux besoins fréquemment exprimés par les patients ou identifiés par les soignants de la consultation VIH en fonction des difficultés repérées. Nous avons identifié neuf points fondamentaux qui nous ont amenés à construire neuf ateliers (tableau 1).
Le problème de la non-adhésion au traitement est récurrent dans le domaine des maladies chroniques. Dans le cas du VIH, la préoccupation est double. L’efficacité peut en être grandement diminuée, car l’adhésion au traitement doit être au moins de 95% pour garantir son efficacité.9 De plus, la dangerosité du virus peut être augmentée car une exposition partielle aux traitements favorise l’émergence de souches résistantes, réduisant ainsi les possibilités thérapeutiques futures. Dans l’atelier Prendre un traitement tous les jours nous abordons au cours d’une discussion en groupe les quatre points du Health belief model de Rosenstock10 (tableau 2). Ce modèle est particulièrement intéressant pour comprendre les représentations qui sous-tendent les comportements de santé des patients. Dans un travail de Malcolm et coll., il a notamment été utilisé pour étudier des patients qui avaient une excellente adhésion à leur trithérapie.11
Dans notre expérience, à propos de la perception de la maladie et de sa menace sur la vie, il apparaît clairement deux groupes de patients, selon qu’ils aient ou non souffert de maladies opportunistes. En effet, un patient porteur du VIH peut avoir de la difficulté à se sentir «malade» et peut ne pas voir clairement la nécessité de se traiter à long terme. Il lui est également difficile de percevoir l’efficacité du traitement d’une maladie silencieuse. Par contre, l’efficacité des traitements est bien perçue et comprise par les patients qui ont souffert de maladies opportunistes. Bien évidemment selon leurs expériences et leur vécu, les patients sont plus ou moins prêts à supporter les inconvénients de leur traitement. Ce partage d’expériences a notamment permis à certains de légitimer leurs difficultés à s’astreindre à leur traitement. Accompagner le patient dans l’exploration de ses propres représentations vise également à l’aider à résoudre son (ses) ambivalence(s) face au traitement au long cours. Ceci représente un point essentiel dans le travail motivationnel. Un autre aspect de se travail motivationnel consiste à aider le patient à trouver très concrètement ses propres stratégies dans la gestion de son traitement. Lors de l’atelier Trucs et astuces pour mon traitement les patients échangent leur savoir-faire pour résoudre des difficultés telles que les horaires irréguliers, la conservation de certains médicaments, etc.
Dans l’objectif de favoriser le dialogue médecin-patient tout en respectant l’autonomie du patient, l’atelier Interactions médicamenteuses offre un espace de questions et de discussion sur les risques et bénéfices de l’automédication, qu’il s’agisse de médecine classique ou de médecine alternative. Dans la même idée de décision thérapeutique partagée l’atelier Je veux arrêter mon traitement aborde les possibilités et conditions pour des interruptions de traitement. Il permet aussi de vérifier quelles attentes résident dans une telle démarche. Nous verrons plus loin que l’évolution du consensus médical sur la question a modifié très directement cet atelier. Les difficultés liées à l’image de soi sont abordées au cours de deux ateliers différents. L’atelier Vivre avec mes lipodystrophies propose de répondre aux préoccupations importantes liées à cet effet secondaire stigmatisant, alors que l’atelier Image de soi consiste en un moment de partage animé par une psychologue à l’aide d’un photo-langage et permet aux patients d’aborder leurs difficultés liées tant à d’éventuels changements de leur apparence physique qu’à l’idée de vivre avec une maladie transmissible et largement stigmatisée socialement. L’atelier Les différentes facettes du secret propose un espace de parole où les patients partagent leurs expériences positives ou négatives de la vie avec un tel secret ou encore de sa révélation. Un atelier Sexualité, procréation et protection permet d’aborder les questions ayant attrait à la sexualité, au risque de transmission du virus ou encore, au désir de grossesse. Ce domaine est sujet de nombreuses préoccupations et l’impact de la formation des patients peut être important puisque les comportements rapportés par les patients vont de rapports non protégés à l’abstinence complète. Enfin, un atelier coanimé par une infirmière de santé publique et une juriste du Groupe sida Genève, propose une Aide sociale pour orienter les patients dans leurs problèmes assécurologiques ou juridiques.
La prise en charge des personnes infectées par le VIH évolue, nous l’avons déjà souligné. Depuis la mise en place de notre programme, la prise des traitements s’est considérablement simplifiée, les nouvelles molécules présentant moins d’effets secondaires. Ces quelques progrès changent déjà considérablement les besoins des patients. L’arrivée de nouveaux traitements continuera de faire évoluer ces besoins et donc notre programme. En quelques années, l’évolution du consensus médical a notamment modifié le message aux patients au sujet des interruptions de traitement,12 remettant en question le propos d’un de nos ateliers, mais pas la pertinence de l’atelier lui-même puisque, si la réponse médicale a changé, le désir des patients d’avoir une réponse individuelle à leur souhait d’alléger ou d’interrompre leur traitement demeure.
Comme déjà mentionné, la population des patients fréquentant la consultation VIH-SIDA des HUG a elle aussi également évolué, avec notamment une proportion grandissante de patients migrants. Cette réalité, soulève de nouveaux besoins, tant pour les patients que pour les soignants. La dimension transculturelle doit également être incluse dans ce programme.
Ce programme propose un travail en groupe qui favorise le partage d’expériences, la confrontation des savoirs, le soutien par les pairs. Les patients participants à ces journées soulignent toujours cet aspect enrichissant du programme. Toutefois, en raison de la problématique du secret déjà soulignée dans cet article, la dimension du groupe représente probablement un frein pour bon nombre de patients qui pourraient bénéficier de cette prise en charge, ce qui se traduit parfois par des difficultés de recrutement. Enfin, l’articulation de tels programmes avec le suivi individuel de chaque personne est encore à améliorer.
Etre capable de s’adapter pour évoluer, voilà une compétence commune que doivent développer tant les patients malades chroniques que les soignants qui les accompagnent.
> L’adhésion au traitement antirétroviral au long cours représente aujourd’hui un très grand défi de la prise en charge de la personne porteuse du VIH
> La maladie VIH est aujourd’hui une maladie chronique, généralement silencieuse, dont les ressentis sont essentiellement liés aux effets secondaires des médicaments
> L’éducation thérapeutique doit permettre au patient de trouver du sens dans la démarche de soins, notamment en l’aidant à faire des liens entre ses traitements et les paramètres de suivi
> Les problématiques du secret, de la stigmatisation et de l’image de soi sont prépondérantes et méritent une attention qui nécessite souvent une approche interdisciplinaire
The advent of antiretroviral therapies represent a major therapeutic progress which dramatically modifies HIV seropositive people’s life during the past fifteen years. After the violence of a formerly rapidly fatal disease comes nowadays the heaviness of a chronic disease. If some problems are new for the patients, it also represents new challenges for the caregivers. Due to the lack of access to medications in certain context or because of non-adherence to treatment, the full potential of these therapies is difficult to reach. We present here the experience of a therapeutic patient educational program for HIV seropositive persons. This program aimed not only to develop patient’s skills to elicit them to find a balance between their life and their disease, but also to improve the skills of the caregivers to face the problem of chronicity.