Le recours fréquent à l’imagerie abdominale génère une augmentation de la découverte fortuite de lésions tumorales hépatiques. La majorité de ces dernières sont asymptomatiques et ne nécessitent aucun traitement. Grâce aux examens radiologiques dynamiques, la nature de la plupart de ces tumeurs peut être précisée de manière non invasive. En cas de doute, une résection complète de la lésion, permettant d’obtenir un diagnostic définitif, doit être préférée à une ponction-biopsie percutanée. De telles pathologies doivent être traitées dans des centres expérimentés, par des équipes interdisciplinaires.
Une lésion hépatique peut être découverte fortuitement par une imagerie réalisée, par exemple, pour investiguer des symptômes abdominaux aspécifiques, hors du contexte d’une hépatopathie chronique ou d’antécédents oncologiques. Cet article passe en revue les structures rencontrées dans de telles circonstances. Le cholangiocarcinome extrahépatique (CC) et les métastases ne sont pas abordés.
Plus de la moitié des tumeurs hépatiques bénignes sont asymptomatiques ou se présentent de manière non spécifique. Les symptômes évoqués doivent ainsi faire l’objet d’investigations étendues, avant de conclure à une origine hépatique.
L’hémangiome (HA) correspond à la tumeur hépatique solide bénigne la plus fréquente et concerne 10-20% de la population. Son incidence, comme celle de toute néoplasie hépatique bénigne, est plus élevée chez la femme. L’HA est constitué de cavités remplies de sang de taille variable, tapissées de cellules endothéliales et entourées d’un stroma fibreux. La transformation maligne d’une telle lésion n’est pas connue, mais des métastases survenues au sein d’un HA hépatique ont été décrites.1
La probabilité qu’un HA soit symptomatique, sous forme de douleurs, augmente avec sa taille, particulièrement si celle-ci dépasse 5 cm. Le syndrome de Kasabach-Merritt associé à un HA géant représente une autre circonstance de découverte d’un hémangiome. Une coagulopathie de consommation et une thrombopénie sévère sont alors présentes. L’hémorragie d’un HA ou sa rupture sont rares, entraînant une mortalité élevée, pouvant atteindre 60%.2
La spécificité radiologique de l’HA repose sur sa cinétique de rehaussement après injection de produit de contraste (US, CT, IRM). On observe une prise de ce dernier à partir de la périphérie, avec remplissage centripète et rehaussement persistant, homogène, sur les temps tardifs. A l’IRM, on observe de plus un signal hyperintense en pondération T2, ce qui en fait l’examen de choix avec sensibilité et spécificité de 85-95%. Une lésion de moins de 4 cm, découverte dans un contexte d’antécédent oncologique, peut être difficile à distinguer d’une métastase hypervasculaire. Les HA peuvent également se rencontrer dans un foie cirrhotique, posant alors le diagnostic différentiel avec un carcinome hépatocellulaire (CHC).3
L’indication à une résection chirurgicale repose sur les symptômes, la présence d’un syndrome de Kasabach-Merritt ou un doute diagnostique. Dans cette dernière situation, une exérèse doit être préférée à une biopsie percutanée, en raison du risque d’hémorragie. La technique la plus adéquate est une énucléation respectant le parenchyme hépatique sain péri-lésionnel. Dans une série récente, 96% des patients ont signalé la disparition des symptômes après chirurgie.1 Une autre étude a montré que 54% des patients présentant un HA symptomatique avaient, en fait, un diagnostic différent, soulignant l’obligation d’exclure toute autre cause avant de conclure à une telle hypothèse.4 La radiothérapie et l’embolisation transartérielle représentent des alternatives thérapeutiques moins efficaces. Une transplantation hépatique a été réalisée pour de rares HA symptomatiques non résécables.5
L’hyperplasie nodulaire focale (HNF) est un nodule hépatocellulaire, une cicatrice centrale et des cordons fibreux radiaires conférant un aspect stellaire à la lésion. L’HNF correspond à la deuxième tumeur hépatique bénigne par ordre de fréquence, avec une prévalence de 1-3%. La contraception orale semble être un facteur de risque, il est toutefois moins net que pour l’adénome hépatocellulaire (AHC).
Le plus souvent asymptomatique et donc de découverte fortuite, il s’agit d’une lésion solitaire mesurant < 5 cm dans 80% des cas. La rupture spontanée avec hémorragie est extrêmement rare.6 La transformation maligne d’une HNF n’a jamais été rapportée.
Comme pour les HA, la cinétique de rehaussement après injection de produit de contraste est caractéristique (figure 1). Une cicatrice centrale n’est en soi pas spécifique à l’HNF, pouvant s’observer dans d’autres lésions hépatiques focales. L’IRM est supérieure aux autres techniques d’imagerie, ayant une spécificité de 98% et une sensibilité de 70%, ce qui permet de poser le diagnostic avec une grande fiabilité et d’éviter des résections inutiles.3
Les sujets asymptomatiques ne nécessitent pas de traitement. En cas de doute, dans un contexte asymptomatique avec imagerie d’HNF atypique, une résection diagnostique est conseillée si la lésion est d’accès facile ; un suivi radiologique sera préféré si la localisation est difficile d’accès ou le risque opératoire important.
L’adénome hépatocellulaire (AHC) est rare, sa fréquence dans la population générale est de 0,3‰. Classiquement associé à une contraception orale ou à l’utilisation de stéroïdes anabolisants,7 il prédomine chez la femme de 15-45 ans. Solitaire dans 60-70% des cas, plus de la moitié sont asymptomatiques. En présence d’AHC multiples, on parle d’adénomatose hépatique, associée aux glycogénoses.
Le diagnostic radiologique d’un AHC est plus difficile, en particulier sa distinction avec l’HNF atypique et le CHC. Ce dernier survient, dans environ 10% des cas, en foie sain, surtout dans sa variante fibro-lamellaire.8 Aucun moyen radiologique ne permet de poser le diagnostic avec suffisamment de spécificité. La cinétique de rehaussement de l’AHC n’est pas typique, contrairement à l’HA et l’HNF.3
Le risque de l’AHC est lié à ses tendances à la rupture hémorragique ou à la transformation maligne. Cette dernière survient plus souvent chez l’homme, pour des lésions de > 4 cm.9 En présence d’un AHC, la contraception hormonale doit être interrompue. Une résection est indiquée lorsque la taille dépasse 4 cm, en cas de symptômes ou s’il existe, au sein d’un nodule de dimension moindre, une suspicion de transformation maligne, telle une croissance rapide, une altération des caractéristiques radiologiques ou une augmentation de l’α-FP.10 En cas de rupture avec hémorragie, on peut tenter une angiographie avec embolisation artérielle. La résection peut alors être réalisée dans un contexte électif, avec une morbidité et une mortalité moindres. Le recours à la transplantation hépatique est rare, sauf pour d’exceptionnelles formes d’adénomatose symptomatique.
Les tumeurs hépatiques malignes surviennent rarement en foie sain. Les facteurs prédictifs de malignité d’une lésion hépatique sont le sexe masculin, l’âge > 50 ans et une taille dépassant 4 cm.11
La très grande majorité des carcinomes hépatocellulaires (CHC) (90%) surviennent dans le contexte d’une cirrhose hépatique. Les facteurs de risque sont alors une hépatopathie chronique (VHC, VHB, hémochromatose, alcool), le sexe (H > F), l’âge, une obésité et un diabète. En présence d’hépatite B chronique, le taux de virémie est particulièrement important. Un programme de vaccination contre l’hépatite B a permis de diminuer l’incidence du CHC à Taïwan.12
La vascularisation tumorale représente la clé diagnostique radiologique du CHC. Si la lésion mesure > 2 cm, l’imagerie par CT-scan est diagnostique. Typiquement, le CHC a un aspect hypervascularisé en phase artérielle précoce, avec élimination rapide en phases portale et tardive. L’identification d’un CHC dans un foie cirrhotique peut être difficile, au sein de nodules dysplasiques et régénératifs pouvant être impossibles à distinguer d’un petit carcinome.
Les options thérapeutiques curatives sont la transplantation (TP) hépatique, la résection ou l’ablation par radiofréquence (RF). La TP traite la tumeur maligne et, simultanément, la maladie hépatique de base. Ses indications reposent sur les critères de Milan,13 postulant que le volume tumoral ne doit pas dépasser une lésion unique de 5 cm ou trois lésions de 3 cm de diamètre chacune. Moins de 30% des malades satisfont à ces critères. Pour éviter que des patients en attente de greffe ne répondent plus aux critères ci-dessus, en raison de la progression tumorale ou afin d’obtenir une cytoréduction permettant de réaliser une TP, des stratégies néoadjuvantes ont été proposées.14 Celles-ci n’ont toutefois pas démontré leur efficacité, bien que ce concept ait été validé pour les métastases hépatiques d’origine colorectale. La résection chirurgicale est le traitement de choix pour le foie non cirrhotique, avec des taux de survie sans récidive à cinq ans atteignant 50%. Une résection est aussi envisageable en cas de cirrhose, si la fonction hépatique le permet. Par rapport à la tumorectomie, la résection anatomique procure un avantage en termes de survie libre de récidive. Des marges de résection de 2 cm doivent absolument exister, sans quoi la survie à cinq ans diminue significativement.15 Une approche laparoscopique est réalisable, mais son avantage en termes de diminution d’ascite ou d’adhérences postopératoires, rendant une éventuelle future TP plus aisée, reste à démontrer. Dans le cas particulier d’un CHC unique de < 3 cm associé à une cirrhose Child A, la TP, la résection et l’ablation par RF sont grevées d’une survie globale identique. Dès lors, en raison de la pénurie de greffons, une TP ne se justifie pas d’emblée en pareille situation. La RF est efficace, avec destruction complète de la tumeur, si celle-ci mesure < 3 cm. Au-dessus de 5 cm, la destruction est rarement complète (30-50%). Cette technique est normalement réservée aux patients non transplantables et non résécables. Le taux de récidives en cas de résection ou de RF est > 70% à cinq ans. Pour les CHC avancés, on a pu montrer une amélioration significative de la survie pour les cas traités par le sorafénib.16
Rarement intrahépatique (5-10%), le cholangiocarcinome (CC) entre dans le diagnostic différentiel des tumeurs solides, surtout en foie sain. S’agissant d’adénocarcinome dans > 90% des cas, il représente 15% des tumeurs primaires malignes du foie. Les CC sont découverts entre 50 et 60 ans, avec répartition égale entre les sexes. Les facteurs de risque sont la cholangite sclérosante, les maladies kystiques congénitales des voies biliaires, ainsi que les hépatites virales, avec ou sans cirrhose. En Asie, deux entités particulières sont reconnues : la lithiase biliaire intrahépatique (cholangiohépatite orientale), qui a une prévalence de 20% dans cette région ; elle est associée, dans 10% des cas environ, à un CC intrahépatique ; l’autre circonstance est l’infestation parasitaire des voies biliaires (Opistorchis Viverrini, Clonorchis Sinensis).17 Dans la majorité des cas, spécialement dans les pays occidentaux, il n’existe aucun facteur de risque.
Un CC intrahépatique est habituellement découvert lors d’un examen radiologique, alors que son homonyme extrahépatique provoque un ictère indolore. Au CT-scan, le CC intrahépatique est hypodense, aux contours irréguliers, prenant peu de contraste en périphérie en phase portale, avec rehaussement diffus en phase tardive. A l’IRM, il est hyperintense en T1 et T2. Le PET-CT joue un rôle important dans la détection de métastases à distance, avec une sensibilité de 70-100%.
Seule option curative, la chirurgie est indiquée en l’absence de métastases, si le bilan préopératoire laisse prévoir une résection en tissu sain.18 Actuellement, la survie globale à cinq ans est de 15-40%. La TP hépatique est une thérapie émergente pour les CC non résécables. Les premières expériences ont été décevantes, avec taux de récidives > 50% et une survie à cinq ans de 10-20%. Récemment, des résultats encourageants ont été rapportés pour la TP après radio-chimiothérapie néoadjuvante.19 Actuellement, la TP hépatique pour CC n’est réalisée que dans quelques centres spécialisés.
Les lésions hépatiques survenant dans un foie sain peuvent, le plus souvent, être caractérisées avec efficacité par imagerie. En cas de doute, selon les circonstances cliniques, on peut observer la lésion, procéder à sa biopsie percutanée ou à une résection diagnostique. La biopsie est controversée, ne permettant pas le plus souvent de faire la différence entre un AHC, un CHC bien différencié ou une HNF ; de plus elle peut générer un saignement. Il existe de surcroît, en cas de malignité, un risque d’ensemencement métastatique sur le trajet de ponction d’environ 2%. La laparoscopie permet de diminuer la morbidité des résections diagnostiques, s’élevant à 30% par laparotomie, même dans des centres spécialisés.20 Les lésions hépatiques en général doivent bénéficier d’une évaluation interdisciplinaire dans un centre spécialisé disposant d’un chirurgien, d’un radiologue interventionnel, d’un gastroentérologue et, idéalement, d’un pathologue, tous spécialisés en hépatologie.
> Les tumeurs bénignes du foie sont plus fréquentes chez la femme. Un lien clair existe entre la prise de contraceptifs oraux et les adénomes hépatocellulaires
> La cinétique de rehaussement des lésions hépatiques lors des examens radiologiques dynamiques est un élément clé du diagnostic
> Le diagnostic ne nécessite que rarement une confirmation histologique. Si un doute persiste, l’exérèse de la lésion entière doit être préférée à une ponction
> Les tumeurs hépatiques bénignes sont rarement symptomatiques. Avant de réséquer une telle lésion, un diagnostic alternatif doit être activement recherché
> Les hémangiomes sont fréquents mais ne nécessitent que rarement un traitement
> Les adénomes hépatocellulaires sont associés à un risque de transformation maligne et de saignement proportionnel à leur taille
> Les facteurs prédictifs de malignité sont le sexe masculin, l’âge > 50 ans et une taille de la lésion > 4 cm
> Le carcinome hépatocellulaire ne survient que dans 10% des cas sur foie sain
> La prise en charge du carcinome hépatocellulaire est dictée par le volume tumoral et la fonction hépatocellulaire
Le recours fréquent à l’imagerie abdominale génère une augmentation de la découverte fortuite de lésions tumorales hépatiques. La majorité de ces dernières sont asymptomatiques et ne nécessitent aucun traitement. Grâce aux examens radiologiques dynamiques, la nature de la plupart de ces tumeurs peut être précisée de manière non invasive. En cas de doute, une résection complète de la lésion, permettant d’obtenir un diagnostic définitif, doit être préférée à une ponction-biopsie percutanée. De telles pathologies doivent être traitées dans des centres expérimentés, par des équipes interdisciplinaires.