Le fonctionnement des neurones est-il perturbé chez les fumeurs ? C’est ce qu’affirme une étude récente qui révèle que l’activité des monoamines oxydases (MAO) diminue fortement dans le cerveau des fumeurs.1 Responsables de ces modifications : les inhibiteurs de monoamines oxydases (IMAO) présents dans la fumée de cigarette. Ces substances pourraient participer, avec la nicotine, à la mise en place de l’addiction au tabac (figure 1).
Le tabagisme tue une personne toutes les six secondes dans le monde et représente un problème majeur de santé publique dans nos sociétés. Rien qu’en Suisse, 8000 personnes décèdent chaque année des nombreuses complications qu’il provoque (13% de l’ensemble des décès survenus dans la population !).2 En dépit de ces chiffres affolants et de campagnes de prévention agressives, beaucoup ne parviennent pas à se défaire définitivement du besoin « d’en griller une ». En moyenne, sur cent individus qui tentent d’arrêter de fumer, seuls onze n’auront pas retouché à la cigarette six mois plus tard. Ce pourcentage est amélioré par l’usage de patchs et autres substituts à la nicotine mais ce succès reste néanmoins limité (17% d’abstinents après six mois).3 Une étude genevoise récente vient d’ailleurs s’ajouter à la longue liste des publications ne décelant aucun effet positif des substituts à la nicotine.4
Si les substituts à la nicotine sont si peu efficaces, c’est peut-être que la nicotine n’est que l’un des facteurs de la dépendance au tabac. C’est l’hypothèse que sous-tendent certaines études sur le rôle d’autres substances contenues dans la fumée de cigarette. Parmi celles-ci se trouvent les IMAO. Récemment, Lanteri et coll. ont mis en évidence le rôle de ces inhibiteurs dans l’établissement de la dépendance à la nicotine chez des souris5 (voir commentaires6,7 dans la RMS des 21.01.09 et 25.03.09). Dans ces expériences, des souris exposées de façon répétée à des substances addictives comme les amphétamines ou l’alcool présentent des modifications comportementales durables. En particulier, elles font preuve d’une hyperactivité motrice, réaction assimilable à celle d’un toxicomane en quête de drogue. De façon surprenante, des injections de nicotine répétées n’induisent pas ce comportement de dépendance, ce qui indique que la nicotine seule n’agit pas comme une drogue addictive. Cependant, lorsque la nicotine est associée à des IMAO, elle induit ce comportement typique de l’addiction (figure 2).
Malgré la difficulté d’extrapoler à l’homme des analyses faites chez des rongeurs, cette étude suggère que c’est l’effet combiné de la nicotine et des IMAO qui serait responsable de l’addiction au tabac.
Cette synergie entre nicotine et IMAO se produit-elle chez l’être humain ? C’est ce que laisse penser une étude publiée en février 2009 dans le Journal of Clinical Psychopharmacology.1 Les chercheurs ont comparé le niveau de MAO-A (une sous-classe de la famille des MAO), chez les fumeurs et les non-fumeurs, en injectant aux treize participants un ligand sélectif des MAO-A, le [11C]Befloxatone. L’analyse du taux de [11C]Befloxatone par PET-scan a ensuite permis de mettre en évidence une diminution de 60% de la quantité moyenne de MAO-A dans le cortex cérébral des fumeurs. Même si le nombre d’individus examinés était faible (sept fumeurs, six non-fumeurs) et les résultats hétérogènes, les différences observées apparaissaient statistiquement significatives (p < 0,01). A noter que les participants dans le groupe « fumeur » ne souffraient d’aucune autre addiction, fumaient plus d’un demi-paquet par jour, et avaient tous fumé une cigarette environ une demi-heure avant les mesures.
Cette étude renforce l’idée que les inhibiteurs de MAO présents dans la fumée de cigarette jouent un rôle dans l’installation de l’addiction au tabac. On peut d’ores et déjà imaginer des traitements de substitution qui prendraient en considération ces nouvelles données. Ainsi, les patchs à la nicotine essaient de mimer l’effet addictif de la nicotine pendant une période transitoire, pour faciliter le sevrage. Leur relative inefficacité pourrait être due au fait que l’action de la nicotine n’est pas potentialisée par la présence d’IMAO. A l’avenir, peut-être verrons-nous apparaître des patchs combinant nicotine et IMAO ?